Youssef Chahed poursuit ses consultations dans une atmosphère empreinte de «conseils désintéressés», de pressions douces et de rappels à l'ordre. Parallèlement, le bal des noms ne fait que commencer Youssef Chahed, le chef du gouvernement d'union nationale désigné, continue à consulter, à écouter les propositions des uns et des autres et à noter sur son calepin les idées à même de lui permettre d'opter pour les meilleurs choix possibles des ministres qui vont l'aider à exécuter le programme commun contenu dans le Pacte de Carthage. Hier, dans une brève déclaration accordée à Mosaïque FM, il a notamment souligné: «Pour le moment, mes rencontres avec les partenaires du Pacte de Carthage n'ont pas évoqué de noms. J'ai reçu des propositions sur la structuration du prochain gouvernement. Certaines parmi ces propositions parlent de la création de pôles ministériels, d'autres préfèrent l'intégration d'un ministère dans un autre ministère aux attributions rapprochées, alors que le reste veut que la structuration actuelle soit maintenue. J'ai pris acte de toutes les suggestions et rien ne sera décidé avant la clôture des consultations». Qu'en est-il des ministres qui seront maintenus et aussi des partis signataires du Pacte de Carthage qui n'ont pas encore pris de décision définitive quant à leur participation au prochain gouvernement ? La réponse de Youssef Chahed est claire. «La question des noms vient en second lieu. Certains ministres du gouvernement Essid peuvent être maintenus comme ils peuvent être tous remerciés. Quant à ceux qui hésitent encore, la porte leur reste ouverte». Entre les conseils «désintéressés» et les pressions douces Parallèlement à ce qui se passe à Ksar Edhiafa, les Tunisiens découvrent quotidiennement aussi bien les «conseils désintéressés» qu'on livre gratuitement à Youssef Chahed, les «pressions douces» amicales qu'on exerce sur lui ou les déclarations qui lui rappellent qu'il est là pour mettre à exécution un programme déjà ficelé par près de 90% de l'électorat tunisien version les législatives du 26 octobre 2014. Ainsi, Borhane Bessaïess, le communicateur qui dit avoir conduit la formation politique de Slim Riahi et la promotion de Nabil Karoui, le boss de Nessma TV qui a divorcé d'avec le monde de la télé pour se consacrer à la politique, délivre-t-il à Youssef Chahed le conseil suivant : «Délaissez les partis politiques qui n'ont rien à vous apporter. Ils ne possèdent rien sauf leur cupidité. Adressez-vous plutôt aux sages de l'intérieur du pays et aux jeunes de Sidi Bouzid, Gafsa et Kasserine et du Nord-Ouest. Ne méprisez pas leur sagesse et ne faites pas l'erreur que nous avons commise (il parle du RCD dissous) quand nous avons sous-estimé leur poids». De son côté, Houcine Abassi, le secrétaire général de l'Ugtt pour encore moins de six mois, martèle à Sfax à l'occasion de la commémoration des événements du 5 août 1947 : «L'Ugtt ne donnera pas un chèque en blanc au gouvernement de Youssef Chahed, lequel gouvernement est obligé de mettre en application l'accord de Carthage». Et il rappelle : «L'Ugtt défendra toujours les réformes dont les Tunisiens ont grandement besoin dont en premier lieu la justice fiscale et la justice sociale». Quant à Rached Ghannouchi, le président d'Ennahdha, qui passe un été bien chaud à Montplaisir du fait de la fronde continue conduite par Abdellatif Mekki et Mohamed Ben Salem, il insiste sur la nécessité pour Youssef Chahed «de prendre en considération les résultats des législatives d'octobre 2014 quand il va former son gouvernement». Une petite phrase douce mais chargée de significations : cette fois, les nahdhaouis ne se contenteront pas d'un ministère, d'un secrétariat d'Etat ou d'un poste de conseiller auprès du chef du gouvernement. Afek Tounès fait passer l'idée selon laquelle son président Yacine Brahim a accompli sa mission à la tête du ministère du Développement et de la Coopération internationale en remettant l'économie nationale sur les rails et en dotant le pays d'un code d'investissement digne de la révolution (le code en question n'est pas encore adopté et risque de sauter à la prochaine rentrée parlementaire). «Maintenant, il faut que Yacine Brahim prenne en charge un autre département ministériel à la mesure de ses compétences et de ses réussites», assurent les responsables du troisième larron de la coalition quadripartite. Chaouki Tabib, Rym Mahjoub, Safi Said et les autres Et comme la course aux ministères bat son plein même si Youssef Chahed et ses interlocuteurs veulent faire croire que ce ne sont que des rumeurs, une lecture analytique des noms qui circulent sur les médias ou sur les réseaux sociaux montre que ces candidats remplissent au moins une condition parmi celles définies par Youssef Chahed lui-même : la jeunesse et le casier politique vierge. C'est le cas, par exemple, de Chaouki Tabib, pressenti pour «vaincre la corruption» (l'expression est de Youssef Chahed), de Rym Mahjoub, une jeune députée connue pour ne pas avoir sa langue dans la poche, Chokri Mabkhout, l'universitaire qui accumule à un rythme régulier les prix littéraires, de Mohamed Trabelsi, le plus jeune membre du bureau exécutif de l'Ugtt au temps de Ismaïl Sahbani et Abdessalem Jerad, d'Oussama Sghaïer, l'un des jeunes loups d'Ennahdha new look, ou de Imed Hammami, le nouveau porte-parole des nahdhaouis décidés à faire de la politique et rien que la politique. Et puisque Youssef Chahed a ouvert la voie à tout le monde pour proposer leurs candidats, voilà que les intellectuels de l‘avenue Bourguiba, les éternels boudeurs de toutes les institutions, s'invitent à la messe générale et avancent le nom de l'un des leurs, le journaliste et politologue Safi Saïd, même s'il leur a faussé compagnie en se portant candidat à l'élection présidentielle en 2014 et a découvert amèrement qu'il est impossible de battre «les machines dormantes qui se réveillent en temps opportun».