Le secteur énergétique est un secteur stratégique qui représente un poids considérable dans l'économie tunisienne. A fin septembre 2017, le déficit de la balance énergétique était de 2700 MDT, représentant 23,5% du total du déficit de la balance commerciale, selon l'Institut national de la statistique (INS). De même, pour le taux d'indépendance énergétique qui est passé de 59% à fin juillet 2016 à 52% à fin juillet 2017, d'après le ministère des Mines, de l'Energie et des Energies renouvelables. Une situation à laquelle les autorités tunisiennes voudraient remédier par le renforcement de la part des énergies renouvelables dans la consommation électrique, pour atteindre 12% en 2020 et 30% en 2030, ainsi que par l'implication du secteur privé. Des questions qui ont été pleinement débattues lors de la conférence organisée le 17 octobre 2017 par Afek Tounes, en collaboration avec la Fondation allemande Friedrich Naumann sur «Le secteur de l'énergie en Tunisie : réalités et perspectives». Selon Mohamed Hédi Amara, expert en énergie, le déclin de la production énergétique a commencé depuis 1984, suivi du déclin des réserves en hydrocarbures dans les années 90. Il indique que le pic de la mise en production des découvertes de gaz a été atteint en 2010, alors que le champ Nawara, prévu en 2016, n'est pas encore entré en production et n'assurera à son démarrage que 0,6 MM Tep par an. Il estime que le non-renouvellement des réserves correspond au départ des grandes compagnies pétrolières, qui ont découvert la majorité des champs en production. Actuellement, le domaine minier des hydrocarbures est dominé par de petites compagnies de capacité technique et financière limitée, selon lui. Pour ce qui est de la production électrique, elle est assurée à hauteur de 97% par le gaz naturel alors que la part des énergies renouvelables ne représente que 3%. L'expert souligne que la puissance installée a évolué considérablement pour atteindre 5224 Mégawatt en 2015, s'interrogeant sur la faisabilité des objectifs d'augmenter la couverture des énergies renouvelables, tel que préconisé dans le Plan Solaire Tunisien, avec l'installation de 3810 MW additionnels pour un coût de 8 milliards d'euros. Il estime que la réalisation d'un plan ambitieux de développement des énergies renouvelables pour atteindre 30% de la production électrique à l'horizon 2030, ne comblerait que moins de 2 millions TEP de la consommation et que ceci n'éviterait pas d'investir dans de nouvelles centrales thermiques de 400 à 600 MW. Il ajoute que le déficit en hydrocarbures augmenterait davantage en 2030 pour atteindre 12 millions TEP contre 4,5 millions TEP en 2015, alors que la Tunisie ne dispose pas de contrats d'approvisionnement ni d'infrastructures nécessaires pour le combler. Insuffisances M. Amara affirme ainsi qu'il est impératif de renouveler les réserves en gaz et en pétrole pour pouvoir renverser la tendance. Mais il indique qu'il existe des insuffisances à plusieurs niveaux. Au niveau du cadre administratif, les missions de l'Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap) reste orientée vers la promotion et non pas l'exploration, bien qu'elle ait plusieurs filiales opératrices de champs en association qui peuvent servir de base pour un rôle d'opérateur. Les avancées pour la réorganisation administrative restent lentes, bien qu'une nouvelle organisation du ministère des Mines, de l'Energie et des Energies renouvelables prévoie une direction des hydrocarbures et une direction stratégie. Au niveau du cadre législatif et contractuel, l'expert souligne que le secteur reste régi par le Code des hydrocarbures datant de 1999. De même, le cadre contractuel de l'exploration permet deux systèmes contractuels, l'association et le partage de production, et qui sont appliqués indifféremment aux blocs d'exploration sans réserves prouvées et à des découvertes et champs existants. Ajoutons à cela un cadre fiscal qui reste complexe. Au niveau de la gouvernance, M. Amara parle d'un overlap entre les rôles de la direction générale de l'énergie et l'Etap, cette dernière est juge et partie, selon lui. Il indique que les paramètres fiscaux restent complexes et discrétionnaires et rendus plus favorables aux investissements sans donner de résultats. D'où l'urgence de réviser le Code des hydrocarbures et la refonte de la mission et de l'organisation de l'Etap. Préoccupations du privé Ces complexités peuvent mettre à mal le plan de promotion des énergies renouvelables, où le secteur privé est appelé à jouer un rôle fondamental dans la mise en place des installations pour la production électrique. Des préoccupations qu'a partagées Ahmed Ben Romdhane, représentant d'une société opérant dans les énergies renouvelables, en soulignant qu'il est difficile d'atteindre l'objectif de 12% d'ici 2020, vu les complexités et la lenteur des procédures et que l'environnement d'investissement n'est pas encore favorable. « En tant que secteur privé, nous sommes régis par la loi 12-2015, qui a prévu dans l'un de ces articles que les textes d'application devraient être promulgués six mois après l'adoption, mais ceci a pris deux ans et demi. La loi a également prévu un contrat type d'achat de l'électricité par la Steg, mais qui est loin de répondre aux standards internationaux », estime-t-il. Il précise également que les conditions d'accès au réseau n'ont été mis au clair que récemment, ajoutant que c'est la Steg qui s'est chargée d'évaluer le raccordement et non pas, comme prévu, des bureaux d'étude, faisant d'elle «juge et partie». Sur le plan foncier, M. Ben Romdhane affirme que de grandes difficultés se présentent, puisque le ministère de l'Agriculture n'avait pas été associé. « On se trouve avec des terrains dits zones d'interdiction ou à vocation agricole. Tout le monde sait que le changement de vocation demande beaucoup de temps. Ce qui complique les choses pour les investisseurs», indique-t-il. En ce qui concerne la constructibilité des projets, il affirme que les entreprises locales n'ont pas assez d'expérience dans ce genre de projets qui nécessitent une grande technicité. De même, il évoque la question du contrat Purchasing Agreement, qu'il estime être un contrat non bancable, surtout dans un marché bancaire inexpérimenté dans le Project financing. Il ajoute que la banque doit s'assurer que le contrat est suffisamment solide pour qu'elle puisse se projeter en matière de réception des cash flow et que les clauses d'arbitrage international soient suffisamment claires. Ce qui n'est pas le cas actuellement, selon M. Ben Romdhane.