A l'affiche du nouveau film de Elyès Baccar Tunis by night, Raouf Ben Amor semble devenir, ces derniers temps, l'acteur fétiche de la nouvelle génération. Son rôle d'intellectuel incompris l'a vraiment passionné et il en parle avec attachement. Tunis by night continue à être sur nos écrans. Comment avez-vous reçu le rôle de «Si Youssef» ? Elyès était mon voisin, on se voyait régulièrement. De Tunis by night, il m'en a parlé, puis il m'a donné à lire. J'ai adhéré dès la première lecture, chose qui n'est pas dans mes habitudes. Et ce n'est que plus tard, vers la fin du tournage, que Elyès m'a avoué que le personnage de Si Youssef était, dés le départ, écrit pour moi. Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce personnage ? Ce qui m'a attiré dans ce personnage, c'est la nuance, le tiraillement, un rôle important qui m'a passionné et c'est ce genre de plaisir qui fait que je vais continuer à jouer et à travailler jusqu'à la fin de ma vie. C'est aussi sa nouveauté par rapport aux autres rôles que vous avez joués... Un rôle comme celui de Youssef, je n'en ai jamais eu et cette nouveauté m'a procuré le désir et la force de donner le meilleur de moi-même. Il est vrai qu'on vous a collé un rôle qui revient dans beaucoup de vos travaux... Ceci est vrai dans les feuilletons télévisés, mais au cinéma j'en ai eu de beaux rôles comme dans Aziza, de Abdellatif ben Ammar ou La nuit de la décennie, de Rachid Ferchiou et surtout j'ai joué dans plusieurs films étrangers et je me suis vraiment éclaté à jouer le rôle de Judas dans Le Messie, de Roberto Rossellini. Pour la télé, un seul rôle me colle à la peau, c'est celui de Chedly Tammar dans El khottab al bab, d'ailleurs tout le feuilleton est resté dans les mémoires. Ces dernières années, on vous voit plus souvent au grand écran. Vous êtes devenu un acteur fétiche de la nouvelle vague ? Les deux dernières années j'ai enchaîné 4 longs métrages : St-Augustin, Tunis by night, L'amour des hommes de Mehdi Ben Atia, El Jaïda de Salma Baccar. Mais je suis une sorte d'acteur fétiche pour Salma Baccar et pour Kalthoum Bornaz et je trouve ce rapport que j'ai avec ces deux femmes cinéastes très mignon. Entre le théâtre et le cinéma, que préférez-vous ? J'adore jouer et tous les jours s'il le faut. Pour moi, c'est toujours une première. Mais le cinéma est plus stressant pour moi que le théâtre parce qu'il faut donner le meilleur de soi pendant le tournage et il n'y a pas moyen de se rattraper. Pour le théâtre j'ai le trac tous les soirs mais il y a toujours moyen de s'améliorer à chaque représentation. J'ai eu la chance de faire partie de pièces qui tiennent plusieurs mois et qui créent un lien au quotidien avec le public. Le théâtre c'est la base de tout, c'est la recherche quotidienne, une richesse dans les émotions et chaque soir on se ressource. On dit que vous êtes un éternel amateur, qu'en pensez-vous ? J'ai compris que je ne pouvais pas faire de l'art un métier duquel on vit, je vois des comédiens fabuleux qui peinent à assurer leur quotidien dans un pays où le métier d'acteur est une grosse arnaque sans droits d'auteur et sans rétribution aucune. Je me rappelle quand j'étais à Gafsa, Rossellini m'a demandé de partir à Rome faire une carrière d'acteur, mais dans les années 70 on était engagé, on croyait changer le monde, on croyait être des prophètes et rien d'autre ne comptait. Après, j'ai fait mon choix, j'ai eu un métier qui assurait le côté matériel et je continuais à jouer avec passion les rôles qui m'accrochaient. En 50 ans de carrière je ne regrette rien et si c'était à refaire, je referais tout pareil. Que représente pour vous le personnage de Si Youssef dans Tunis by night ? Youssef, je l'ai composé en ayant dans la tête toute une génération d'artistes peintres écorchés vifs, acteurs sans grands rôles, cinéastes sans films. La tragédie de l'intellectuel, j'ai ramassé tous ces personnages incompris, j'ai joué pour eux... ces gens qui ont fait de moi ce que je suis. C'est là que le film a pris pour moi cette dimension plus grande que le personnage. Tunis by night se prête à une lecture politique ? Le film c'est le croisement de quatre personnages, la mère, le père, la fille et le garçon, tout ce qui les unit c'est le fait qu'ils vivent sous le même toit... une relation familiale sans lueur d'espoir. La lecture politique, oui, bien entendu, c'est toute l'histoire de la Tunisie qui se remet à chaque fois sur ses pieds, mais ça prend du temps de se relever et de reprendre sa marche. Quel regard posez-vous sur la Tunisie d'aujourd'hui ? Je reste optimiste, je crois en ce peuple, en nos vieux qui nous donnent des leçons de sagesse, je suis toujours ébloui par la jeunesse qui bouillonne dans les arts et excelle avec les nouvelles technologies. Une jeunesse qui n'a besoin de personne pour s'affirmer. Et même si le budget pour la culture ne cesse de diminuer, les capitaux nationaux et les hommes d'affaires n'investissent pas ou très peu dans la culture, nos films ramènent des prix internationaux et notre théâtre circule tout le temps. Ce sont les artistes qui résistent et gagnent chaque jour de nouveaux espaces. En attendant que le politique se réveille et qu'il y ait une volonté politique claire et une vision pour les 20 ans à venir.