Ce sont une vingtaine d'articles qui créent la discorde entre le Parlement et les forces porteuses d'armes. Ces dernières réclament depuis des mois l'adoption du projet de loi relatif à la répression des atteintes perpétrées contre elles. Hier, les participants à la séance d'audition organisée, au Bardo, par la commission de la législation générale, dont des représentants de la société civile, se sont attachés à la nécessité de trouver un équilibre entre la protection des sécuritaires et la préservation des libertés, mais sans toutefois suggérer des solutions concrètes Déposé par le ministère de l'Intérieur depuis avril 2015, le projet prévoit des peines de prison allant jusqu'à dix ans pour diverses situations considérées comme des «atteintes» aux forces de l'ordre et à la sécurité nationale. A titre d'exemple, l'article 12 du projet dispose que toute personne qui, sciemment, dénigre ou dévalorise les forces de sécurité est passible de deux ans d'emprisonnement et de 10 mille dinars d'amendes. Hier, les policiers ont manifesté devant le Parlement au moment même où les représentants de la société civile étaient entendus sur ce sujet par la commission de législation générale. Cependant, la position de la police semble avoir évolué vers plus de souplesse. Hier, le porte-parole du Syndicat régional des forces de sécurité intérieure, Youssef Dhaoui, a estimé que le projet de loi proposé par le gouvernement comporte des articles inconstitutionnels qui restreignent les libertés». Toutefois, il demande à ce qu'on réponde aux inquiétudes des agents des forces de l'ordre et que l'on adopte au plus vite une loi pour les protéger. Les réactions à l'Assemblée des représentants du peuple ont mis en exergue, hier, le clivage entre détracteurs et défenseurs de ce projet de loi. Alors que des députés appellent à la modification de certains articles, d'autres réclament carrément le retrait du projet de loi. Plusieurs élus ont exprimé leur refus du projet dans sa version actuelle. Pour le magistrat et député Karim Helali, il est primordial de protéger les agents des forces de sécurité durant l'exercice de leur fonction. «Mais, dit-il, le projet de loi actuel est inacceptable. Il faudrait un nouveau projet de loi plus respectueux des droits des citoyens». Pour l'ex-secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Faten Kallel, connue pour ses positions en faveur des libertés publiques et individuelles, ce projet de loi, s'il est voté en l'état, annonce un «retour de la dictature». «Il risque de maintenir un sentiment de haine et de méfiance entre le citoyen et les forces de l'ordre, une manière de morceler la société pour mieux la maîtriser, dit-elle. Contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, cette loi ne protège pas le corps sécuritaire, ni sur le plan social ni en termes de procédures d'intervention, mais elle légalise la répression d'Etat», avance-t-elle. Dispositions du Code pénal Pour le député Nedhir Ben Ammou, membre de la Commission de législation générale, il existe certes de vrais problèmes liés à la sécurité des forces de l'ordre, mais le projet de loi actuelle ne pourrait être la solution adéquate pour répondre à ces menaces. En tant qu'avocat, il estime que certaines dispositions du projet de loi portent atteinte aux libertés fondamentales. Il cite notamment l'article 12 relatif au dénigrement, ainsi que l'article 18 qui dédouane les forces de l'ordre de toute responsabilité et les protège de toute poursuite judiciaire s'ils venaient à blesser ou à tuer une personne qui aurait tenté de les agresser. «D'abord, le Code pénal actuel contient des dispositions ayant trait aux cas de légitime défense, explique-t-il. Ensuite, dans ces cas, il ne faut pas que la force utilisée soit disproportionnée par rapport à l'acte d'agression. On ne peut pas tuer quelqu'un par ce qu'il a jeté une pierre lors d'une manifestation par exemple». Le député appelle à renforcer la protection sociale des forces de l'ordre, en termes de retraite et de prise en charge des victimes et de leurs familles, tout en renforçant leurs moyens d'action. Il appelle cependant à dépassionner le débat, à laisser le temps nécessaire à la Commission de législation générale, afin d'examiner le texte et, le cas échéant, l'amender. Le parti d'opposition Al-Tayar appelle le gouvernement à retirer tout bonnement le texte en discussion, car il représente «un danger pour la démocratie». Le parti appelle aussi au renforcement de la protection sociale de la police. Ghazi M'rabet, avocat et défenseurs des droits et libertés, appelle lui aussi au retrait du texte, d'autant plus que, selon lui, l'actuelle loi antiterroriste, votée en 2015 protège suffisamment les forces de sécurité. «S'il est voté tel quel, le projet de loi sera certainement jugé inconstitutionnel, explique-t-il. Plusieurs articles sont en contradiction avec le chapitre des droits et libertés inscrit dans la Constitution tunisienne». Pour lui, aucune loi ne peut réellement protéger les forces de l'ordre, si la guerre contre le terrorisme n'est pas menée à son terme.