Fredj Lahouar traque le Phénix qu'il espère ancré au plus profond de l'être tunisien pour exorciser tous les démons et les corbeaux qui traquent l'étoile des prairies, notre absolu, et la lumière illuminant notre existence. Un roman lyrique, mi-conte, mi-odyssée, où l'ennemi est une part de nous-mêmes, celle de l'ombre et de la décadence. Le Phénix et l'étoile des prairies ne sont pas les deux côtés d'une même pièce mais la pièce comme une entité avec deux côtés, une essence unique. C'est une insistance de l'auteur que nous ne pouvons manquer de saisir, une nuance à laquelle il tient et avec laquelle il colore cet ouvrage en sept livres, à la mode des anciens temps. C'est là qu'auréolés d'un lyrisme saisissant, surgissent le ciel comme une portière de l'absolu et le corbeau, antithèse du Phénix et présage omniprésent du risque de déchoir dans la face sombre. Un corbeau que la foule voit désormais comme un sceptre alors que pèsent sur nous les incertitudes de l'histoire. Un trait entre alpha et oméga Ce ne sont pas les seuls personnages de l'ouvrage car il en est repu, apparents et dissous. Le texte-même en est un. C'est le personnage ouvert sur d'autres comme lui, le personnage qui sonne l'alarme. Il a aussi ses faiblesses comme tout personnage et s'il est parfois alerte et fringuant, il est d'autres fois recroquevillé sur lui-même, peinant à se faire entendre car l'ouvrage est tissé comme un conte populaire sans se départir d'un lyrisme assorti d'une sorte de romantisme tempéré par un surréalisme dérangeant. En vérité, l'auteur n'hésite pas à creuser en profondeur dans l'Histoire de la Tunisie, ancienne et moderne, pour lier le tout d'un trait d'alpha à oméga et pour démontrer que la lutte est perpétuelle à propos du processus et du sens de l'existence, entre ceux qu'il appelle ‘'les épris des vastes horizons'' et ‘'ceux qui habitent les cavernes et qui ne sont attachés qu'aux vestiges''. Une quête symboliste où les horizons du bien sont étroits, où l'assassinat du héros prédit la fin de l'innocence, même si ce héros ressuscite pour un moment afin de conter sa version de l'histoire à l'auteur qui écoute le martyr et réalise peu à peu que le Phénix pourrait ne pas avoir disparu complètement des esprits torturés des Tunisiens. Les Tunisiens enfin sur le qui-vive Une thèse particulièrement défendue par l'auteur est que l'intellectuel a le devoir insigne de repêcher la masse du fond de la torpeur. C'est le syndrome de Chokri Belaïd, car l'assassinat de cette figure emblématique de gauche représente pour lui la disparition de l'étoile des prairies qui illuminait la voie, l'enrouement du moteur des questionnements comme outil de réflexion, l'inaptitude du Phénix à éclore de nouveau de ses cendres, la prolifération de l'indécidable et la naissance du terrorisme. Un rappel des terribles moments de l'incertitude et des accusations, des manifestations et des appels au soulèvement, alors que les Tunisiens devenaient la cible de toutes sortes de trafics de toutes sortes, y compris le trafic d'influence. C'est le moment où les gouvernés sont à la recherche des âmes des gouvernants et où le doute plane sur tout ce qui bouge. Des pages étonnantes de lyrisme montrent à quel point l'auteur a transporté la description du stade narratif à un large brassage à pleins poumons où le souffle des mots laisse souvent persister un saisissement comparable à ce que l'on ressent devant les textes antiques. Le style ne vous évite pas et vous regarde dans les yeux ; à vous de lire entre les lignes qui signifient pourtant que tout va mal, ou presque. Une chance pour relancer la lutte entre le bien et le mal, car telle est la nature des choses, alors que d'innombrables signes indiquaient que tout un pays avait sombré dans l'arrogance, sœur de l'ignorance, et qu'il lui était impossible de recouvrir toute sa lucidité. Mais l'auteur semble convaincu que les Tunisiens sont enfin sur le qui-vive car, malgré tout, la révolution ne pourra jamais être le synonyme du néant et que la Tunisie ne sombrera pas, comme beaucoup l'espèrent, dans l'anomie et le négativisme catatonique. Bir el Abd, 227 p., mouture arabe Par Fredj Lahouar Editions Zayneb, 2017 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.