Issu d'une famille de rugby, Aref Belkhiria a fait un retour fracassant pour sauver le rugby tunisien de sa décadence et ce après avoir eu un héritage désastreux. Ex-international des différentes sélections tunisiennes, Aref Belkhiria est aujourd'hui l'homme de la situation pour structurer ce sport olympique sur des bases solides. Le président de la FTR évoque la place du rugby dans le paysage sportif, les objectifs de la FTR, l'apport du rugby-monde et rugby-Afrique dans le rugby tunisien et ses ambitions à l'échelle africaine et mondiale. Quel est votre bilan après une année et demie à la tête de la FTRugby ? C'est un bilan très moyen, surtout qu'on a fait un mauvais héritage. Au cours de ces 18 mois, nous avons déployé beaucoup d'efforts pour redonner à notre sport un second souffle. Avec le bureau fédéral et la direction technique, nous avons structuré notre discipline par le biais du sport scolaire et des centres de formation. Le programme Get Into Rugby a été une réussite totale, surtout que les jeunes se sont vite appuyés sur la culture du rugby. Certes, la compétition nationale n'a pas été compétitive. Il y a eu beaucoup de forfaits, un manque de fair-play de la part des équipes et surtout de la part des dirigeants qui ont perdu les principes de notre sport. L'arbitrage a manqué de conviction, vu la retraite des arbitres chevronnés. Les jeunes arbitres manquent d'expérience, et n'ont pas été aidés par les clubs qui ne cherchent que la victoire à tout prix. D'après vos dires, la situation de notre rugby est catastrophique. Qu'en pensez-vous? La situation de notre rugby n'est pas catastrophique. C'est trop fort, mais il est très malade, à cause des clubs et des joueurs qui ne travaillent pas assez, à un manque de structuration de la part des équipes. La FTR est incapable de faire face à cette situation sans l'appui des clubs. Nous ne sommes pas des sorciers. Je vais vous choquer en vous affirmant que si notre discipline ne retrouve pas les ressources matérielles, techniques et morales, le rugby tunisien disparaîtra du paysage sportif en Tunisie. Nous sommes en alerte. Le moment est venu pour redresser la barre pour que la tutelle, les médias et les sponsors fassent le nécessaire pour nous aider à être à la hauteur des sports collectifs tels que le football, le handball, le basketball et le volleyball. Le rôle des clubs est primordial pour sauver notre rugby de la dérive. Avez-vous des solutions pour remédier à cette situation alarmante ? Le salut de notre rugby passe par les clubs, ces derniers doivent absolument retrouver les valeurs et les vertus éducatives de notre sport, à savoir l'intégrité, la honnêteté, la solidarité, le respect mutuel, la passion et surtout la discipline. Les équipes ont été indisciplinées tout au long de la saison à part trois ou quatre clubs qui ont émergé du lot. Il faut que les équipes retrouvent la joie de jouer, en respectant leurs adversaires et surtout organiser cette 3e mi-temps, qui est très sacrée pour tous les rugbymen. Pourquoi les objectifs de la FTR sont-ils focalisés sur le rugby à 7? Les racines du rugby en Tunisie viennent du rugby à 15 et on ne va pas le délaisser pour autant. Mais l'avenir de la discipline est dans le rugby à 7. Nous avons les joueurs qu'il faut pour honorer nos engagements en Afrique et dans le monde. Mais il faut parfois revoir les priorités en s'engageant plus pour le rugby à 7. Pour nous, les deux sont tout aussi importants. Le rugby à 7 est pratiqué par les joueurs les plus rapides et les plus jeunes, dans un format qui séduit et enflamme les spectateurs. Je vous souligne qu'on a une très bonne sélection féminine qui possède un potentiel de très haut niveau pour s'illustrer dans le monde. Même la Fédération internationale de rugby a fait étalage des qualités de nos joueuses. Il y des joueurs expatriés qui jouent pour l'équipe de Tunisie, comment mettez-vous en place cette politique sportive avec les joueurs nationaux? C'est effectivement une politique à double tranchant. D'un côté, il faut veiller à ne pas oublier nos jeunes talents et nous le faisons. Nous menons cette politique aujourd'hui pour hausser le niveau du rugby en Tunisie et aussi pour avoir une équipe nationale assez performante. Nous sommes conscients que ce modèle peut être durable avec l'expérience des expatriés et l'enthousiasme des jeunes. Il est aussi à souligner qu'avec les bons résultats des sélections masculines et féminines, on peut attirer les sponsors et cela crée dans tous les cas un effet d'entraînement pour les jeunes rugbymen qui arrivent. Les Tunisiens sont-ils intéressés par le rugby? Jadis, il y a eu un engouement extraordinaire pendant la période de feu Béchir Salem Belkhiria, qui était la catalyseur de ce sport dans toute la République. Hélas, il y a eu une coupure puis le rugby est revenu avec ses difficultés d'infrastructures et financières. Actuellement, notre discipline vit une renaissance positive, surtout avec la volonté des clubs de bien se réhabiliter. Que représente le rugby dans le paysage sportif, par comparaison avec d'autres sports? Le rugby a été et est encore aujourd'hui un sport marginal en Tunisie. Il est en croissance, nous sommes devenus aussi olympiques. Nous progressons dans les licences et aussi dans les résultats de nos équipes nationales. Mais si vous regardez le paysage sportif, aujourd'hui, le football écrase tout, suivi du handball et du basket. Le rugby est classé à la 5e place dans les sports collectifs. Notre objectif est d'augmenter le nombre de nos licenciés, mais il faut rester réalistes, cela va prendre quelques années pour atteindre le niveau des autres sports collectifs. La différence est pour l'instant trop grande. Comment décririez-vous les relations entre la FTR, Rugby Afrique et Rugby World. Que pensez-vous de leur apport au rugby tunisien ? Nos relations avec le Rugby Afrique et Rugby World sont excellentes. Nous sommes reconnaissants de tout ce qu'ils ont investi dans le rugby tunisien. Beaucoup de fonds sont versés pour la formation et aussi pour les recyclages des arbitres et des entraîneurs. Nous avons eu récemment des discussions avec les responsables du Rugby Afrique et Rugby World pour aider davantage le rugby tunisien en organisant aussi des stages pour nos sélections. Les moyens économiques et humains qui sont investis sont énormes et, encore une fois, sans toutes ces aides, nous n'aurons jamais eu ce niveau, c'est certain. Il ne faut pas oublier que la confédération africaine de rugby a été créée par feu Hamda Belkhiria et l'Union arabe de rugby a vu le jour grâce à Fathi Hachicha. Le mérite de la Tunisie est grand. Le rugby tunisien a-t-il un modèle étranger? Peut-il s'inspirer du rugby français, britannique ou sud-africain ? Nous n'avons pas de modèle direct car il n'y a pas un modèle que nous pouvons copier. Partout dans le monde, il existe différentes façons de travailler ou de percevoir les choses et il faut toujours se demander comment cela fonctionne, on s'inspire et on essaye de s'adapter, c'est le modèle d'Afrique du Sud qui nous est le plus proche, mais nous l'avons adapté en fonction de nos possibilités et de nos structures. Nous sommes toujours à la recherche d'améliorations. Quels sont les objectifs de la Fédération tunisienne de rugby? Nous avons d'abord un objectif de croissance. Je l'ai déjà évoqué, mais nous avons besoin de plus de licences, de plus de joueurs pour atteindre nos objectifs sportifs. Ils sont très ambitieux, il faut l'avouer, le premier d'entre eux est de participer à la Coupe du monde de rugby à 15 en 2019 au Japon. Donc, il faut y être en 2023 en France. Pour le rugby à 7, les objectifs ne vont pas aussi loin. Nous voulons nous qualifier pour les Seven World series, et aussi pourquoi pas aux Jeux olympiques 2020 à Tokyo. Le potentiel existe mais il faut l'exploiter à bon escient. Je souhaite que tous les clubs soient plus structurés avec leurs bureaux directeurs et j'espère que la tutelle fera un petit effort pour avoir plus de considération et plus d'égards pour notre sport olympique.