«Vous savez, bien avant, le plus beau but était souvent une passe décisive. J'annonce la couleur car, pour moi, l'idéal du football est le collectif avant tout. La finalité du football, le but, est supplantée par la passe qui découle évidemment d'une action de groupe, du travail de tous les joueurs et non pas d'une individualité. C'est pour cela que ce sport collectif est populaire. Je m'insurge ainsi et je me place en porte-à-faux par rapport à ce sport-roi vampirisé par le "foot-business", l'exigence de résultat à tout prix qui dénature l'essence même de ce phénomène de société. Moi, je décris le football comme la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. Ce n'est pas une jolie aberration. Mais une thèse, une base qui doit ériger à terme le plaisir en tant qu'objectif absolu. Certes, ce sport, comme tous les autres, ne se résume qu'à un affrontement à la fois simple et complexe, entre deux équipes censées prendre le dessus l'une sur l'autre. Mais il ne doit pas se limiter à un voyage triste du plaisir au devoir ! En football, empiriquement parlant, le but a toujours été la victoire, la gloire et le prestige. Et bien avant, les scores fleuves de l'époque ancienne , ce plaisir de l'âge d'or du football ne mettait en lumière que l'amateurisme tactique, physique et organisationnel d'une ère révolue. Cependant, c'est à cette même époque que le frisson traversait les tribunes et que la magie du football opérait. Pourquoi ? Parce que l'on laissait libre cours au talent pur et aux prouesses techniques. Maintenant, si l'on se risque à une comparaison entre le football d'antan et le football moderne, je pense que dans le contexte actuel, le souci du beau jeu est devenu tantôt utopique. La magie du football a progressivement cédé la place à l'idée jugée plus réaliste selon laquelle une équipe devrait d'abord être organisée pour ne prendre aucun but, même si cela impliquait qu'on réduise le nombre de joueurs à vocation offensive (à commencer par les ailiers de métier) afin de densifier la défense et le milieu de terrain ». «Primauté absolue du moment défensif, un non-sens» «Le football, c'est l'histoire d'un sport en perpétuelle évolution. Un sport qui montre aussi ses incohérences. Moi, j'ai une vision plutôt romantique du football. Et pas seulement une perspective qui mélange schéma tactique et projet de jeu qui oublient par exemple que les ailiers possèdent désormais une part prépondérante dans le football moderne. Certains disent que par rapport au bon vieux temps, omettre de densifier son milieu de terrain n'empêche pas de créer un jeu agréable et vivant. Il faut aussi comprendre que maintenant, la plupart du temps, la nécessité de marquer des buts ne repose plus sur des phases construites et apprises à l'entraînement, mais parfois sur les erreurs de l'adversaire et les coups de pieds arrêtés. Pour certains nostalgiques, il est difficile d'adhérer à une telle explication ou conception du football. Beaucoup pensent même que la réflexion ne tient tout simplement pas. Le football moderne n'échappe pas à la règle aussi. C'est vrai qu'à l'ère de ce que j'appellerais l'industrie footballistique, jeter un regard critique sur la qualité du jeu offert se croise de plus en plus avec l'industrie médiatique qui est contrainte de dramatiser à outrance l'intérêt des rencontres qu'elle couvre. Passons aussi les aspects négatifs du football où seule la victoire est rentable. Car dés lors, tous les moyens sont bons pour s'imposer: le supportérisme impulsif, le jeu dur, toutes ces formes généralisées de tricherie devenues naturelles, depuis la chute simulée dans les surfaces de réparation (que tout footballeur en herbe doit maîtriser dès le centre de formation) jusqu'à la main de Dieu ! Ça fait cliché peut-être, mais bon, il ne faut pas aussi nier totalement l'évolution du football et précisément la part moderne du ballon rond. Car le football moderne a bel et bien enfanté quelques génies tactiques et que, pour la plupart de ces personnalités, le plus beau but était aussi une passe. Le football, depuis sa création, se métamorphose selon les époques et se complexifie naturellement. Certains résultats de matchs retentissants prouvent et indiquent que l'émotion et le résultat conditionnent à la fois le présent et le futur tout en marquant une fracture avec le passé. Réduire le ballon rond d'aujourd'hui en affirmant qu'il est dépourvu de toute imagination et fondé sur la primauté absolue du moment défensif est donc forcément un non-sens absolu».