Combien chanceux sont ceux qui, partis, ont laissé derrière eux, pas seulement un nom flottant, mais une œuvre indélébile marquée d'une pierre blanche. Oui... Mais Seoud nous a laissé en prime une profonde cicatrice au cœur ! Ce n'était, à ses yeux, ni un défi, ni une obligation, ni, surtout pas, une occupation quelconque ou un simple passe-temps : il se sentait investi d'une mission dont il faisait une affaire personnelle et qu'il prenait à bras-le-corps : faire rayonner en continu la culture à Tazarka. Il ne pouvait pas admettre que sa ville natale qui a donné naissance au grand Mahmoud Messaâdi (1911–2004) pût sombrer dans l'anonymat culturel. Bien sûr, ni Tazarka ni, au demeurant, la Tunisie entière ne peuvent enfanter toutes les décennies un monstre sacré da la littérature de la trempe de l'auteur du Barrage. Mais tout de même : l'élève remercie très mal son professeur s'il reste toujours élève. Et justement, Tazarka semblait, à un moment de son Histoire, se contenter de la fierté d'avoir offert au pays l'illustre Messaâdi. Le neveu de celui-ci ne voyait pas les choses du même œil, il frémissait à l'idée que, ‘‘Oncle Mahmoud'' étant resté une icône de la Tunisie entière, il ne subsistât plus rien à, et de, Tazarka. Il retrousse les manches de sa chemise et s'engage dans un vaste programme culturel à seul dessein de doter la région d'une dynamique, d'une âme et d'une identité sui generis et impérissables. Après des études de Droit à la Faculté de Montpellier (France), Abou Seoud (Seoud tout court pour le commun de ses amis) entame sa carrière en tant qu'Agent Général aux Assurances Comar jusqu'à sa mise à la retraite. Mais déjà, à l'aube des années 1990, il s'attelle à la tâche de redonner son prestige culturel à sa ville natale. Il crée le Festival international de la Bande dessinée de Tazarka, un rendez-vous annuel qui, depuis vingt ans, n'a cessé de prendre de l'ampleur saison après saison et auquel étaient constamment invités artistes tunisiens et étrangers. Ce premier jalon étant posé avec succès, il est pris comme dans une frénésie inextinguible l'ayant amené à toucher à tout. Il crée l'Association des amis du Livre ; il est l'un des fondateurs de l'Union nationale des associations du Livre et des Ecrivains ; il crée l'Association Mahmoud El Messaâdi de la Culture et des arts ; il s'entiche du domaine de l'édition et, avec Bibliomed, sa maison, il publie, entre autres, un excellent ouvrage du Professeur Kamel Gaha ; il crée le Club de lecture auquel il fait participer certains poètes ou romanciers, à charge pour les membres de prendre connaissance de l'ouvrage proposé et de le discuter en présence de l'auteur ; tout récemment, il a pris part au noyau fondateur de la Mutuelle des Artistes pour laquelle il travaillait sur le statut et le texte constitutif. Et jusqu'à la dernière semaine de sa vie, il me parlait de ses nouveaux projets ; il voulait du théâtre pour Tazarka ; il voulait du cinéma pour sa ville ; il voulait... il voulait... Une dizaine de jours plus tard, le destin en a décidé autrement. A l'aube du 10 janvier, en silence, il fut arraché à sa famille et ses amis. Violent, l'effet de surprise de l'annonce de son décès a plongé toutes ses connaissances dans la stupeur totale, personne n'ayant réalisé aujourd'hui encore son éclipse si impromptue, si brutale. Mais aujourd'hui, la sympathique ville de Tazarka devrait se prendre en charge. Les affaires culturelles d'une région ne sont pas l'apanage d'un seul homme, si fervent et dynamique qu'il ait été. A elle maintenant de prendre et d'assurer la relève. Il y va du rayonnement culturel de toute une région, il y va du devenir culturel de ses enfants. C'est seulement ainsi qu'elle remerciera comme il se doit le très cher Seoud.