Les opinions publiques qui ont donné de la voix ces dernières années pourraient déclencher un processus de changement dans le cours de l'histoire des contrées africaines pour se rattraper. La Tunisie n'a, au demeurant, qu'à penser le chemin de la relève et du salut, en évitant de rentrer dans sa coquille, bien évidemment. La visite d'Etat qu'effectue le président français, Emmanuel Macron, en Tunisie remet au jour les relations et la coopération bilatérale entre les deux pays, dans un monde multipolaire. Et bien des Tunisiens pourraient s'interroger sur la nature et l'évolution de ces relations avec l'ancien colonisateur (1881-1956). A ces Tunisiens aussi « curieux » qu'attentifs, on peut répondre que la valeur globale des échanges entre les deux pays a atteint 18 milliards de dinars, selon les dernières statistiques officielles de l'année écoulée, Au cours de la même période, les importations tunisiennes depuis la France ont augmenté de 16,4% au terme de 2017 par rapport à 2016. Alors que les exportations tunisiennes vers ce pays ont connu une hausse de 12,9% par rapport à 2016. La France est également le premier investisseur, hors secteur énergétique, tant en nombre d'entreprises créées qu'en montant d'investissement réalisé. D'ailleurs, en 2017, 1.300 entreprises françaises opérationnelles en Tunisie ont, en effet, permis la création de plus de 135.000 emplois. Ces entreprises évoluent dans des secteurs comme le textile-habillement, les industries mécaniques, électriques et électroniques, l'agroalimentaire, la plasturgie, le tourisme et les services. Mais qu'en est-il du revers de la médaille ? Imposant leurs conditions, — l'adage étant la raison du plus fort est toujours la meilleure — ces entreprises étrangères se réservent toute la plus-value qui en découle, la Tunisie n'a, quant à elle, qu'à garantir une main-d'œuvre qualifiée et peu coûteuse ainsi que des conditions « très attractives », avantages fiscaux et autres facilités, à l'appui. Changer de logiciel Les règles régissant le partenariat économique entre la Tunisie et la France consacrent iniquité et prévalence des intérêts français. Ce n'est point un secret à divulguer, l'économiste tunisien Moncef Guen en a suffisamment décortiqué les différentes expressions. Dans ce sens, l'expert tunisien pointe des cadres stratégiques et législatifs reléguant au second degré, dans le meilleur des cas, les intérêts de la Tunisie. Des cadres qui, plus est, ne tiennent pas compte des décalages technologiques, scientifiques, industriels et des besoins spécifiques de la Tunisie en matière de développement. En d'autres termes, qui dit relations tuniso-françaises dit, encore aujourd'hui, prédominance économique de l'ancienne Métropole dans les secteurs productifs les plus rapporteurs face à une économie primaire (basée sur l'ensemble des activités qui produisent des matières premières non transformées). Ainsi conçue, la logique de la coopération tuniso-française ne fait que nourrir la dépendance du pays nord-africain pour ainsi rester une source d'approvisionnement en matières premières. Toujours est-il que les choses ont changé, tant pour la Tunisie nouvelle que pour la France de Macron, dans un monde qui va à mille à l'heure et dans un continent où se bousculent toutes les grandes puissances pour s'y faire une place. D'où la nécessité de changer de logiciel pour ensuite instaurer une véritable coopération privilégiant « le multilatéralisme, la réciprocité commerciale, la transition énergétique et la lutte contre les inégalités », tout comme l'a affirmé le président Macron dans un entretien paru, hier, sur ces mêmes colonnes. La France a intérêt à accompagner les profondes mutations africaines En perte de vitesse face à d'autres grandes puissances classiques et émergentes, la France n'a qu'à se muer. Car bien des Africains réalisent aujourd'hui que l'Afrique évolue à deux vitesses. C'est qu'il y a d'un côté l'anglophone qui cartonne et de l'autre sa sœur francophone qui peine à décoller. D'ailleurs, le classement établi par la Fondation Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance 2015 fait savoir que les pays qui occupent la tête du peloton sont tous anglophones : l'Ile Maurice, le Cap-Vert, le Botswana, l'Afrique du Sud, la Namibie, les Seychelles et le Ghana. Alors que ceux qui ferment le classement sont majoritairement francophones. L'écart séparant les deux Afriques est, de surcroît, déchiffrable à travers certains indicateurs. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les pays anglophones ont longtemps expérimenté une croissance de 6 à 7% en 2016-2017. En 2010 et 2011, leur croissance a même atteint 7,9 et 7,1%, hors produits pétroliers. Alors que les pays de la zone franc, à savoir les huit membres de l'Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) et les cinq Etats de la Cemac (Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale) ont enregistré une croissance moyenne beaucoup plus faible, durant la même période, passant de 3,4% en 2009 à 4,9% en 2015, avec un pic de 6,1% en 2012. Rompre avec une économie de services peu rentable S'attardant sur les raisons de ce « retard accusé par les Africains d'expression française par rapport à ceux d'expression anglaise», le professeur béninois des Relations internationales à l'Institut pratique du journalisme de France (IPJ), Francis Laloupo, évoque bien des facteurs. «A l'origine de cet écart, il y a le politique et par conséquent l'économique et le culturel », a-t-il expliqué dans des déclarations à la presse internationale. Pour lui, « les anciennes colonies françaises ne se sont pas bien préparées à l'Indépendance ». Ces pays peinent toujours, a-t-il poursuivi, à s'assurer une autonomie complète. Ce qui explique, en partie, les incessants déplacements de certains chefs d'Etat à destination de Paris. La dépendance de ces pays d'Afrique francophone à l'égard de la France est régie, a expliqué Laloupo, par un « pacte colonial qui sert en premier les intérêts français ». Si bien que les pays francophones se contentent jusque-là d'une économie de services peu rentable, à grande échelle. S'armer pour la mondialisation Se référant à un exemple réussi, le géopoliticien a parlé d'un «Nigeria qui pèse lourd, aujourd'hui, sur le plan économique et à l'échelle continentale et mondiale, après avoir très tôt investi dans l'industrialisation ainsi que dans la migration d'une économie de consommation vers une autre de transformation ». Volet culturel, le même analyste a estimé que les anglophones sont mieux armés pour la mondialisation, vu que la langue de Shakespeare domine le monde. D'autant qu'ils disposent d'un système éducatif mieux ouvert et plus adapté au marché de l'emploi, selon lui. Reste à dire que les opinions publiques qui ont donné de la voix ces dernières années pourraient déclencher un processus de changement dans le cours de l'histoire de ces contrées africaines pour se rattraper. La Tunisie n'a, au demeurant, qu'à penser le chemin de la relève et du salut, en évitant de rentrer dans sa coquille, bien évidemment.