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Des rencontres avec l'Histoire, un entrecroisement des destins
Entretien du lundi avec Habib MESTIRI
Publié dans La Presse de Tunisie le 26 - 03 - 2018

Cinéaste dont les débuts remontent à 1977 dans le cadre du cinéma amateur, en 1994, il fit partie de l'équipe fondatrice de la première chaîne de cinéma arabe en Italie Orbit. Après une longue expérience dans la télévision, Habib Mestiri renoue avec le cinéma avec une série de documentaires où art et histoire sont omniprésents, son premier long-métrage de fiction, «Vagues brisées», sera sur nos écrans la semaine prochaine. Nous l'avons rencontré pour parler de ses débuts, du cinéma et de Vagues brisées, un film longtemps porté en lui.
Comment êtes-vous venu au cinéma ? Avez-vous suivi des études, une formation ?
J'ai fait mes débuts de cinéaste dans le cadre du cinéma amateur, et ce, depuis 1977, en réalisant pas moins d'une dizaine de courts-métrages.
Après l'obtention d'un diplôme de réalisation auprès de la Fondation Cimefor (France), j'ai participé à plusieurs stages, dont l'un auprès de la Femis (ex-Idhec), pour l'écriture de scénario, et l'autre auprès de l'Institut Goethe à Tunis sur l'adaptation des œuvres littéraires au cinéma.
Après quelques essais dans le cadre du cinéma amateur, j'ai entamé une longue expérience professionnelle dans le monde de la télévision, c'était avec «Orbit», en Italie, où j'ai été sélectionné par la chaîne pour faire partie de l'équipe fondatrice de «Orbit Al Oula», la «première chaîne de cinéma arabe».
J'y ai assuré la production d'émissions centrées sur le cinéma, et ce, à côté de la réalisation de documentaires pour la chaîne. C'est dans ce contexte que j'ai participé à une opération de restauration et de sauvegarde de films arabes, menacés de disparition. Durant ma collaboration avec «Orbit», je n'ai épargné aucun effort pour faire connaître et promouvoir le cinéma tunisien, entre autres, dans les pays du Golfe.
Parlez-nous de vos premiers films et plus précisément de ce que vous avez fait dans le cadre du cinéma amateur ?
J'ai réalisé, au début des années 90, un court-métrage sur «Bayram Ettounsi», poète et compositeur égyptien d'origine tunisienne. J'y ai restitué son séjour en Tunisie dans les années 30, et ce, à travers des documents d'archive et des interviews de personnes qui l'ont côtoyé.
Après mon expérience avec Orbit, j'ai renoué, en 2007, avec le cinéma tunisien.J'ai réalisé deux courts-métrages : «Le retour du marin» et «Le petit cercle magique». Je me suis lancé ensuite dans une expérience de restauration d'une copie de travail d'un court-métrage «El Mekkirama» que j'avais initié en 1990, et qui est un hommage au peintre tunisien Hatem El Mekki.
Comment avez-vous fait pour passer du cinéma amateur et vous engager dans le cinéma professionnel ?
Il faut dire que mon passage par la télé et par le cinéma amateur m'ont aidé dans mon expérience de cinéaste professionnel. C'est ce dont témoigne mon premier grand projet professionnel «Images saccadées», un long-métrage documentaire, projet initié en 2006 et sorti en 2011.
Le film témoigne de l'histoire de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (Ftca) et du Festival national du film amateur de Kélibia. Ainsi, grâce à mon expérience dans le domaine du sauvetage et de la restauration des films anciens détériorés, j'ai pu rendre «visibles» de vieux films en 16 mm ou en super 8.
Mon second long-métrage, «Chroniques de la révolution», est lui aussi un film documentaire. Sorti en 2012, il fait parler des enfants qui ont échangé des séquences vidéo sur «Facebook», pendant les jours qui ont précédé la révolution. Certains d'entre eux ont réalisé des courts-métrages amateurs. La parole est aussi donnée à des adultes, dont, en particulier, des artistes tunisiens internationaux interviewés à Paris. (Claudia Cardinale, feu Georges Wolinski, Françoise Gallo, Michel Boujenah, Georges et Albert Memmi).
Ma troisième expérience, toujours dans le cadre du cinéma documentaire, est «Heureux le Martyr...». Un film hommage à Chokri Belaïd, assassiné en février 2013. Sorti en 2014, il regroupe des témoignages d'amis, de membres de la famille et de camarades du martyr, une année après son assassinat, et leur donne la parole.
Venons-en à «Vagues brisées», pouvez-vous parler de la genèse du film et dire en quelques mots l'histoire qu'il raconte ?
Ce film, je l'ai longtemps porté en moi. Il est dédié à tous ceux qui ont pris des risques, dans l'ombre et au quotidien, pour venir en aide au mouvement de libération nationale en Tunisie et qui ont été, par la suite, ignorés et dont le courage et la prise de risque n'ont pas été reconnus.
Tel est le cas de Hassoun, sous-officier tunisien, engagé, jusqu'à l'indépendance du pays, dans l'armée française —gagne-pain oblige— et qui aura soutenu concrètement les militants nationalistes en leur communiquant des informations précieuses.
Victimes d'une injustice, blessés dans leur amour-propre, floués, ces «oubliés de l'histoire» seront, en partie, tentés par l'alcool, l'exil ou, plus grave encore, le suicide. Tandis que d'autres vont se mettre à l'affût de la moindre occasion pour se réhabiliter et administrer la preuve que leur patriotisme est au-dessus de tout soupçon. Hassoun est un de ceux-là.
Telle est la raison d'être de ce film, ravivée par l'actualité récente... En effet, tous les combats, passés ou présents, motivés par un idéal de liberté et de justice, se rejoignent par-delà les ans, par-delà les hommes qui les mènent, ceux qui découvrent, en dépit des dangers et des affronts, que le véritable honneur est dans la vérité...
Parlez-nous des autres personnages principaux en dehors du héros ou anti-héros Hassoun...
Disons brièvement que «la mer» est un personnage à part entière du film. C'est aussi l'un des lieux essentiels du film. Cela permettra de classer «Vagues brisées...» parmi les films de mer, mais il est fait, aussi, dans ce film, une large place à l'amour, à la tendresse et à l'amitié.
Comme la mer, Hassoun se veut libre, indomptable, sauvage. Comme elle, il porte en lui les mêmes abîmes, les mêmes secrets, les mêmes richesses intimes. Hassoun s'appuiera un moment sur la mer, pour fuir, changer de peau, changer de vie. Cela n'apaise pas pour autant sa douleur, ne cicatrise pas pour autant sa blessure. Hassoun est un homme blessé. Il est un homme qui ne se résigne pas. Un homme qui s'emploie toujours à dire non pour exister, pour arracher sa place au soleil, mais à l'image de ces vagues qui viennent, fougueuses, portées par l'espoir le plus fou de franchir tous les obstacles, tous les barrages, il finit par se briser et mourir doucement sur le rivage...
Hassoun aime Chantal, qui l'aime ; il est l'ami de Ridha, l'avocat; il rencontre Am Ali, qui l'initie comme un fils à la pêche et au fantastique de la Mer... Hassoun est ami avec des Tuniso-Franco-Italiens, nés en Tunisie ; en cela, il est le parfait exemple de la cohabitation entre les diverses communautés de Tunisie.
Chantal est une Italo-Française (on est tenté de dire tuniso-italo-française). Elle a un côté artiste, sensible, elle aime Hassoun, elle y est attachée et aimerait faire sa vie avec lui. Les deux essayent de relever le défi de rester ensemble, à un moment où l'histoire du pays bascule. Ils se battent pour vivre leur amour et puis telles les vagues brisées, ils plient sous le poids de la Fatalité, de l'Histoire et de ses vicissitudes.
Ridha est un militant nationaliste. Il a, outre ses qualités humaines (solidaire et généreux) et intellectuelles (un homme cultivé et ouvert), les défauts propres aux nouveaux maîtres du pays. Ils ont la légitimité des gens qui ont lutté, au risque de leur vie contre le colon, mais cela leur suffira-t-il?
Khadija, une femme que le Destin a frappée, se retrouve «coupable» d'être ce qu'elle est : une veuve, non originaire du village où elle habite, une femme solitaire, une victime des préjugés sociaux. Sa rencontre avec Hassoun la réhabilite, lui redonne sa dignité et sa «féminité».
Autre personnage, Bourguiba, c'est un personnage historique, il est présent - absent dans le film, l'Histoire servant juste d'arrière-fond.
Au-delà de l'histoire, des personnages... parlez-nous des lieux...
L'action se déroule entre Tunis, La Goulette, La Chebba et Bizerte. Traqué, Hassoun quitte La Goulette et se réfugie à La Chebba, petite ville côtière du Sahel tunisien, située à 200 kilomètres au sud de Tunis. C'est une petite ville aujourd'hui, un gros village dans le temps, bordé par la mer, les oliveraies et une forêt de mimosas.
Parmi les vestiges de la ville, émerge Borj Khadija - tour carrée bordant la mer et datant du VIe siècle. Le bordj occupe une place incomparable dans le cœur des habitants de La Chebba, surtout des pêcheurs. C'est un point de repère le jour, et un guide la nuit.
La Goulette, ville de la banlieue nord de Tunis, ayant hébergé un mélange harmonieux de communautés sud-européennes (Français, Maltais et Italiens...) et en demeure le meilleur témoin, et ce, en particulier durant cette période, de lutte de libération nationale dans les pays du Sud et de décolonisation. C'est à La Goulette et plus précisément à «La Jetée», dans ce café-bar mythique, que se déroule le gros des rencontres entre les personnages principaux dans la première partie du film.
Bizerte, un port maritime et militaire. C'est aussi le symbole d'une longue lutte, l'enjeu d'une dure et meurtrière bataille entre les militaires français et les volontaires et soldats tunisiens.
Pouvez-vous nous parler de votre approche, de votre démarche...
Le film relate des rencontres avec l'Histoire et l'entrecroisement des destins. C'est une approche qui m'est familière. J'y ai eu recours lors de mes précédents films, où des personnages réels côtoient la fiction. Nous partons de la fiction pure et prenons pour cadre le pays natal. Nous faisons naître, entre la fiction et la réalité, des liens faits d'enthousiasmes, de mélancolies, de fidélités et de ruptures. Ce faisant, nous visons à dévoiler, petit à petit, la violence de l'Histoire et son effet sur les êtres.
Nous avons eu recours comme à l'accoutumée à des stratégies de «minimalisations créatives». Dans «Vagues brisées...», nous avons voulu aller plus loin, en relatant des rencontres avec l'Histoire et en assurant l'émergence fantastique de la nation tunisienne, dans l'intimité d'un destin individuel d'un laissé-pour-compte.
Parlez-nous du casting du film...
Le casting du film s'est fait conformément à une planification pour certains personnages et au pied levé pour d'autres.
Ahmed Hafien joue le rôle de Hassoun, personnage masculin principal, un homme blessé dans son amour-propre, qui ne recule pas devant les difficultés et n'abandonne pas l'espoir d'être reconnu et réhabilité. L'itinéraire d'Ahmed Hafien, son parcours, son physique et son potentiel créatif ont été les atouts principaux. Sa présence, sa générosité et son savoir-faire ont confirmé le talent de ce très grand acteur.
Ivana Pantaleo est une jeune actrice italienne qui a répondu à notre proposition de collaboration pour camper le rôle de Chantal, à un moment où nous étions pris de court. Il nous fallait pallier un contre-temps nous privant de la participation de l'actrice initialement prévue pour ce rôle. Ivana a relevé le défi en un laps de temps très court, réussissant à camper le personnage de Chantal avec conviction, sincérité et générosité.
Fatma Nasser joue le rôle de Khadija, deuxième personnage principal du film. Je ne la connaissais pas. Dès le premier contact j'ai été frappé par sa beauté naturelle et convaincu qu'elle était l'actrice qu'il fallait pour camper Khadija, une veuve, solitaire, belle, mystérieuse, vivant en marge du village et à qui on attribue des pouvoirs hautement maléfiques et dont la rencontre avec Hassoun constitue tant pour lui que pour elle une promesse de résurrection.
Atef Ben Hassine, à titre de participation spéciale, campe le rôle de Fredj, un militant «communiste», un instituteur respecté par les habitants du village, et ce, en dépit de son côté anticonformiste et frondeur.
Pour la première fois, au cinéma, nous verrons le grand acteur Mohamed Sayari, dans le rôle de Ridha, un militant du Néo-Destour, ami de Hassoun, militant pour l'Indépendance au départ et devenu membre de l'establishment par la suite. Sayari endosse le rôle avec conviction et professionnalisme.
C'est aussi un film qui a eu lieu dans des conditions de production particulières pour ne pas dire difficiles...
Nous avons été confrontés à des difficultés multiples. On peut, pour résumer, dire qu'il nous a fallu nous jeter à l'eau, en novembre 2015, pour entamer le tournage du film, tournage que nous avions maintes fois reporté auparavant. N'eussent été les sacrifices et le dévouement de tous les membres de l'équipe (interprètes, techniciens et autres) et la pleine solidarité des habitants de La Chebba qui ont apporté une aide multiforme lors du tournage du film, celui-ci n'aurait pas pu être tourné. L'apport d'amis italiens doit être cité également, celui-ci n'est pas non plus négligeable. Nous pouvons dire que le film a été fait dans la douleur, et ce, à toutes les étapes de sa fabrication. Nous sommes conscients que nous recourons à une formule «usée», mais ce n'est pas le cas en ce qui nous concerne, car ce film a été fait vraiment dans la douleur.


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