« Les plages sont quasi désertes à Hammamet ! » : le député Mami fustige rumeurs et alarmisme    Faouzi Ben Abderrahman : une souveraineté nationale sans cohésion intérieure est un seau percé    Grève à l'Office des céréales : le syndicat menace et réclame justice sociale    Le Groupe Chimique Tunisien régularise la situation de ses ouvriers    À 64 ans, Samia Chaari obtient son baccalauréat avec brio    Baccalauréat: 56 élèves pris en charge par l'Etat ont réussi à la session de contrôle    Mondial 2030: une ville espagnole renonce à l'organisation des matchs    Vers une banque postale en Tunisie : une proposition de loi examinée par le Parlement    Prime de livraison rapide d'orge et de triticale: les délais prolongés    La Transtu réceptionne 189 nouveaux bus chinois    Consommation d'eau d'origine inconnue: la vigilance est de mise    Décès de l'ancien secrétaire d'Etat Ameur Ghedira    Jusqu'à vingt ans de prison pour quatre ex-membres du syndicat de la Garde nationale    Taux de remplissage des barrages : les derniers chiffres    Tunisie : la BAD s'attend à une croissance de 2,3% en 2026    Carthage annonce deux projets de loi pour faciliter l'accès au logement    La conférence de l'ONU sur la solution à deux Etats aura lieu à la fin du mois    Liverpool retire le numéro 20 après le décès de Diogo Jota    Météo : ce qui vous attend ce week-end    Le Club Africain lève l'interdiction de recrutement imposée par la FIFA    L'UE envisage une nouvelle taxe sur les grandes entreprises pour alimenter le budget européen    Logement social : Saïed donne le feu vert à des mesures historiques    Japon : plus de 1 800 secousses enregistrées en 3 semaines dans les îles Tokara    L'UNESCO inscrit deux nouveaux sites culturels en Afrique sur la Liste du patrimoine mondial    Trump relance la guerre commerciale, les Bourses plongent    Information importante pour notre clientèle: Changement au sein de notre réseau d'agents    Atef Ben Hassine prédit un « séisme de mesures » pour le 25 juillet    Conférence internationale sur le rôle des forces armées dans la protection des civils: Adoption de la Déclaration de Tunis    Hamoud Boualem rachète Rouiba et écarte le français Castel    Rendez-vous visa : l'Ambassade d'Italie met en garde contre les arnaques payantes    Superman Trump : plus fort que la réalité !    4 ans de prison et plus de 5 millions de dinars d'amende pour Lazhar Sta    Programme officiel de la 37e édition du Festival international de Nabeul    Tunisie – Bac 2025 : taux général de réussite pour les 2 sessions principale et de contrôle    Hend Mokrani : il devient très difficile de programmer des artistes internationaux en raison de leurs positions relatives à la Palestine    Patrouiller et saluer les gens ne suffit pas pour rassurer les populations civiles : il faut les écouter, les informer et mériter leur confiance (Album photos)    Netanyahu propose une trêve pour désarmer Gaza… ou l'écraser    Festival de Carthage : Mekdad Sehili dénonce l'utilisation de son nom sans accord    UNESCO : Trois sites africains retirés de la Liste du patrimoine mondial en péril    Abdelaziz Kacem: Vulgarité, mensonge et gangstérisme    Attijari Bank signe la plus belle publicité qui touche le cœur des Tunisiens de l'étranger    Habib Touhami: François Perroux, l'homme et le penseur    Mercato : Le Club Africain renforce sa défense avec Houssem Ben Ali    Nor.be et l'Orchestre de Barcelone font vibrer Dougga entre tradition et création    Tunisie Telecom félicite Walid Boudhiaf pour son nouveau record national à -118 mètres    Tunisie Telecom félicite Walid Boudhiaf pour son nouveau record national à -118 mètres    Tunisie - Walid Boudhiaf établit un nouveau record national à -118 mètres    Diogo Jota est mort : choc dans le monde du football    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Mon cinéma se range du côté des réprimés»
Entretien avec Ridha Tlili
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 04 - 2018

Ridha Tlili est un cinéaste qui se démarque par sa démarche filmique. De la production à l'approche cinématographique, il propose à ses compatriotes et au monde, à la caméra, à l'objet filmé et au spectateur, une autre façon de faire et de voir. La sienne dont il nous parle dans cette interview.
Comment est né et a évolué votre rapport à l'image, sous toutes ses formes, de l'enfance en arrivant au cinéma ?
L'image avec laquelle j'ai grandi est celle d'un paysage ouvert, une étendue montagneuse et des maisons espacées les unes des autres. Tout se passait dans l'imaginaire, autour d'un ailleurs et des lumières de la ville, des mythes et des contes de ceux qui nous ont précédés. J'ai été bercé par les histoires et les chants de grands-mères. Une culture orale basée sur l'immatériel et le sensoriel. Il n'y avait pas de salles de cinéma et il n'y en a toujours pas à Sidi Bouzid. A Sidi Ali Ben Aoun, mon village, il n'y a même pas de maison de la culture. Seuls les livres nous étaient accessibles grâce à la bibliothèque publique. C'est pour cela que je suis féru de littérature. Plus tard, j'ai découvert le théâtre, vu que notre région était riche en compagnies et en production, et j'en ai fait. Quand j'ai eu mon bac, j'ai vu qu'il y avait une nouvelle école, une école de multimédia, et le mot m'a attiré et intrigué. Je voulais faire quelque chose que je ne connais pas. Je l'ai choisi par curiosité et envie de découverte.
J'ai donc étudié à l'Institut supérieur des arts multimédia de La Manouba (Isaam) puis à l'Ecole supérieure de l'audiovisuel et du cinéma à Gammarth (Esac), puis j'ai décidé d'arrêter les études parce qu'on mon objectif n'était pas de suivre une carrière académique mais de m'exprimer à travers l'art. J'ai été assistant réalisateur mais j'ai vite arrêté car je voulais raconter mes propres histoires. Nourri par cette conviction, j'ai réalisé mon premier court-métrage « Ayan ken» avec «Exit Production», puis d'autres courts-métrages d'expérimentation faits avec très peu de moyens. En 2011, j'ai travaillé avec l'Arte avant de réaliser mes documentaires «Révolution moins 5» et «Jiha». Ensuite en 2014 «Controling and punishement», puis, en 2017, « Forgotten», tous réalisés à travers ma boîte de production «Ayan Ken», du nom de mon premier court-métrage.
Vous avez fait partie de l'une des premières générations de cinéastes tunisiens issus des écoles de cinéma. Parlez-nous de cette expérience, de ce qu'elle a représenté pour vous et pour le cinéma en Tunisie en général.
Je n'ai jamais été un bon élève. Mon rapport à l'institution éducative est resté le même : de l'école, au lycée et à l'université. A l'école de cinéma, les cours étaient tristes et sans âme. On manquait de moyens et on ne pouvait pas expérimenter comme on l'aurait souhaité. Seuls quelques enseignants se différenciaient et donnaient une valeur ajoutée aux cours. C'étaient l'une des plus mauvaises expériences de mon parcours. On ne peut pas gérer une école de cinéma comme on gère une académie militaire. C'est supposé être un espace de liberté alors que, par exemple, l'accès aux spécialités dépend des notes et des moyennes. Je suis contre le fait d'appliquer un système de notation. Le modèle actuel des écoles de cinéma en Tunisie doit changer. D'autres modèles existent, comme celui appliqué par la Danish Film School où personne ne redouble et où il n'y a pas de classement. Le modèle actuel est né sous Ben Ali et la création même de ces écoles était pour des raisons politiques. Mais cela ne nous a pas empêché de tracer notre chemin et d'évoluer. Nous avons complété notre formation ailleurs grâce entre autres aux ciné-clubs. J'ai appris de la pratique et de la vie beaucoup plus que j'en ai appris de l'école de cinéma.
Dans votre parcours, il semblerait que vous soyez passé du court-métrage au long-métrage et de la fiction au documentaire depuis la révolution. Ce cheminement a-t-il été réfléchi ou s'est-il fait naturellement pour vous ?
Mon premier film était un court-métrage de fiction, le deuxième également. En 2009, au vu des problèmes d'accréditation de l'époque et d'un modèle unique de production, j'ai voulu œuvrer différemment. J'ai décidé de passer à des films expérimentaux. Ma démarche d'expérimentation portait autant sur les canaux de production que sur le contenu. Des films sans dialogues, réalisés sous un pseudonyme. Cette expérimentation est pour moi le moteur de l'expression de soi et de son art. Arrive à ce moment-là la révolution (2011), qui s'est imposée à ma perception de la réalité. Cela m'a ouvert les yeux sur un nouvel angle à traiter. C'est là que j'ai commencé à filmer le premier groupe de street art en Tunisie. Les événements de l'époque ont été maintes fois décrits et décortiqués, par les anthropologues, les sociologues, la presse et même par la police. En tant que cinéastes, nous avons la responsabilité de proposer un autre point de vue de cette réalité, un point de vue plus personnel. C'est ce que j'ai essayé de faire avec mes quatre films, en prenant à chaque fois un angle diffèrent. Mon film « Révolution moins 5» (2011) était d'ailleurs plus un questionnement sur ce qui se passait et ce qu'il adviendrait de l'euphorie post-révolution.
Dans vos films, vous mettez beaucoup l'accent sur les personnages. Mais comment composez-vous avec l'espace et quel rôle a ce dernier ?
Faire un film est, pour beaucoup, synonyme de décrire la réalité. Pour moi, c'est plutôt le fait de parler de l'ombre d'une réalité, l'ombre d'un événement, l'ombre de la révolution par exemple !
Cette ombre ne se projette pas dans l'espace mais plutôt dans la vie des gens, dans leurs caractères et leurs spécificités. Mon obsession d'artiste est de donner forme à ces vies, de montrer au plus près possible les traits de ces visages sur lesquels ces ombres apparaissent, de donner une voix à ceux qui vivent et subissent les événements. Ce qui m'intéresse en fin de compte n'est pas global et n'a rien de complet. Il réside plutôt dans le détail de la vie des gens, des gens simples mais qui essaient de changer leur réalité et leur environnement, dans la douleur, et qui essaient encore et encore malgré la difficulté d'atteindre ce changement. J'ai voulu leur rendre hommage et laisser une trace d'eux, de leur façon de penser à des moments précis. Ces aspects-là ont peut-être plus relation avec la géographie qu'avec l'espace en tant que tel d'ailleurs. Etre dans un studio en Allemagne ou en Tunisie donne pour moi la même sensation d'espace. Mais la géographie, étant différente, donne une réalité qui l'est aussi ! Les gens que je filme essaient de dépasser ces barrières géographiques. Cela fait partie de leur combat au quotidien et c'est un peu leur façon d'affronter leur réalité. C'est ce qui m'interpelle le plus en eux, cette façon de se proposer par eux-mêmes une alternative, de se créer plus d'espace, et je pense que cela peut se faire à travers l'art.
Ces personnages guident-ils la narration dans vos films, ou est-ce que c'est vous qui décidez ?
Je ne décide de rien. Je me rends dans un endroit et je vois comment cet endroit interagit avec moi. Cela nécessite d'avoir confiance dans les gens mais aussi dans son propre instinct. J'accompagne ces gens, je leur donne suffisamment de temps pour arriver à quelque chose de tangible, de suffisamment précis pour être perçu par le spectateur. Je suis sûr d'ailleurs que ce temps passé avec eux fait qu'ils influent sur moi, et je suppose que je dois influer sur eux à mon tour. Cela fait par exemple que je reste toujours en contact avec eux après le film. Une relation de continuité s'installe entre nous. Ces gens m'ouvrent leur cœur, assument la responsabilité de leurs paroles tout autant que moi qui les achemine vers le spectateur. Le temps est un facteur clé pour arriver à ce type de résultat.
Comment faites-vous pour faire transparaître cette relation et cette démarche au montage? Et comment arrivez-vous à conserver ce genre de rapport avec l'objet filmé dans le résultat final?
Le montage est une opération difficile qui vous met devant vos responsabilités de cinéaste et d'être humain capable de filtrer et de garder les éléments essentiels. L'idée est de rester concentré sur le sujet, d'essayer de rester le plus fidèle à ses propres sentiments face aux gens que nous filmons, d'essayer de donner le plus d'éléments de compréhension aux spectateurs sur la personnalité et le background de ceux que nous filmons, à travers les détails, sans être démagogue. Nous avons une responsabilité face aux spectateurs, celle de rester le plus honnête possible et le plus objectif possible. Nous ne devons exprimer notre point de vue qu'à partir de nos choix cinématographiques, comme le choix du lieu de tournage par exemple. Il faut surtout garder ses distances et éviter de tomber dans la manipulation et l'orientation du spectateur. En exprimant sa propre approche, celle que le cinéaste voit dans ce qu'il filme et celle de sa perception de la réalité, le choix des gens filmés et des endroits en sont des outils majeurs. Ces choix artistiques sont à l'image de ma position face à mon sujet. Elle exprime ma perception du sujet parmi les innombrables angles de vue possibles, comme par exemple de choisir de filmer les événements de 2011 en filmant les street artistes.
En 2011, vous avez organisé le festival de la révolution de Regueb. Pensez-vous que ce genre d'engagement social fait partie du rôle de l'artiste ou s'agit-il d'une autre facette de votre personnalité ?
Nous étions nombreux à participer à ce festival, en 2011, 2012 et 2013. C'est un festival citoyen financé par des citoyens tunisiens. 300 invités ont été pris en charge par les citoyens de la région, des artistes venus apporter leur soutien bénévolement et j'ai fait partie de l'organisation. J'ai eu en charge, pour ma part, la partie cinématographique. J'ai eu aussi le plaisir de participer aux Journées cinématographiques de Carthage en coordonnant, entre autres, la section «Ecrans d'à venir» en 2012. J'ai été également membre du collectif indépendant d'action pour le cinéma en Tunisie en 2009... Toutes ces expériences sont directement liées au travail artistique. Un Artiste a besoin d'expérimenter de nouvelles possibilités de façon systématique. Le festival de Regueb a permis entre autres de faire découvrir des expériences cinématographiques au grand public. Le cinéma et l'art en général ne doivent pas être élitistes mais, au contraire, plus proches des gens. Ce festival a permis de démontrer qu'il est aberrant de penser que la compréhension et la sensibilité envers l'art ont un quelconque rapport avec le niveau d'instruction ou la catégorie sociale à laquelle nous appartenons.
Pourquoi cette expérience s'est-elle arrêtée ?
Toute expérience a une durée de vie, ceci permet aussi d'éviter qu'une réussite artistique ne se transforme en un tremplin idéologique ou calculé. Cet événement autogéré de A jusqu'à Z ne devait pas servir d'autres intérêts que ceux de l'art dans son sens le plus pur. Cette expérience pourrait reprendre d'ailleurs et va peut-être avoir lieu bientôt à Paris dans un tout autre contexte.
C'est peut-être aussi une question de financement ! Justement, quel est votre point de vue sur la question du financement de l'art en général en Tunisie ?
Tout d'abord, je voudrais signaler que j'ai financé par mes propres moyens les quatre films que j'ai réalisés. J'ai pu malheureusement constater que malgré l'engouement des spectateurs et les différentes récompenses que ces films ont pu avoir dans des festivals internationaux et tunisiens, la commission d'achat liée au ministère de la Culture en Tunisie n'a pas souhaité les acquérir. C'est vraiment dommage et je pense que les artistes venus de régions comme Sidi Bouzid ne sont pas considérés comme étant partie prenante du paysage artistique en Tunisie.
Quelle est la part de la continuité et celle de la discontinuité dans votre œuvre ?
Mon parcours n'est pas un parcours figé car j'évolue et je change en tant que personne et artiste. Mes idées et mon rapport aux choses aussi. Mais mes films restent centrés sur ceux qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer, la marge de la marge. Mon cinéma se range du côté des réprimés, et je conçois cet art comme un point de vue sur la vie. Pour moi, l'art précède toujours le réel et l'artiste doit toujours aller de l'avant et affronter les difficultés personnelles, matérielles ou intellectuelles. L'œuvre n'est jamais complète...
Quels sont justement vos projets en cours et futurs ?
Mon dernier film, «Forgotten», commence à être montré en Tunisie et à participer à des festivals à l'étranger. Le parcours continue et je travaille sur un film documentaire et sur un long-métrage de fiction. Ce dernier a obtenu une aide à l'écriture mais n'a pas encore de production. Les subventions pour le cinéma ont malheureusement pris une mauvaise tournure en Tunisie. Le rôle de l'Etat devrait être de soutenir les œuvres fragiles qui ne pourraient pas facilement obtenir un financement privé et pas les films susceptibles de « réussir». L'on se demande ce que cela veut dire et selon quels critères peut-on en juger !


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.