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«Il faut maintenir le cap sur la pérennisation de la reprise économique» Entretien avec... Jihad Azour, Directeur du Département Moyen-Orient et Asie Centrale :
En visite officielle en Tunisie, Jihad Azour, directeur du Département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI), a affirmé que ses rencontres avec le président de la République, le chef du gouvernement, le ministre des Finances, le ministre des Grandes réformes et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie lui ont permis de faire un tour d'horizon de la situation économique du pays. Il n'a pas manqué d'appeler à la poursuite du programme des grandes réformes entamé par le gouvernement tunisien. Un programme qu'il estime sur le bon chemin. Il a indiqué qu'il faut maintenir le cap sur les réformes et la pérennisation de la reprise économique, appelant à travailler sur une grande discipline budgétaire des finances publiques, l'agrandissement de la taille de l'économie et la diversification des sources de financement. Entretien. Le gouvernement tunisien a entamé un programme ambitieux de grandes réformes. Comment évaluez-vous la progression de ce programme et quelles sont, selon vous, les priorités économiques pour booster la croissance ? Tout d'abord, le programme des réformes se base sur trois axes, à savoir la stabilité, la pérennisation de la reprise économique et la protection sociale. Il est parti d'un contexte difficile au départ, avec un ralentissement de la croissance et une situation des finances publiques qui était devenue critique. Il fallait passer un certain nombre de réformes qui permettent de ramener la stabilité macrofinancière, c'est-à-dire stabiliser le budget, permettre aux équilibres économiques internes et externes de se rétablir et réduire les vulnérabilités Au niveau de la reprise de la croissance, il fallait travailler de façon structurelle. Il fallait redonner la compétitivité à l'économie tunisienne en améliorant le climat des affaires et en dégageant des marges de manœuvre pour augmenter l'investissement dans l'infrastructure productrice et l'emploi. De même, il fallait améliorer la compétitivité des entreprises, vu que l'Etat n'est plus capable d'être la source de création d'emplois. C'est au secteur privé et surtout aux PME tunisiennes de prendre la relève. Il y a aussi un certain nombre de réformes sur la sécurité sociale et autres, le climat des affaires qui sont en train de se mettre en place. Au niveau de la protection sociale, le but est de permettre d'avoir une certaine protection pour les classes défavorisées et les groupes exclus dans cette phase de transition. Le gouvernement a pris l'engagement et progressivement ces mesures sont en train de se mettre en place. La bonne nouvelle est qu'au cours des derniers mois, on sent une amélioration à la fois des conditions économiques et aussi une amélioration des chiffres. Ce n'est pas encore terminé, il y a des éléments à renforcer. Il faut maintenir la vigilance dans la lutte contre l'inflation, la juguler et la ramener à des taux acceptables et aussi maintenir la stabilité des finances publiques dans un contexte où l'augmentation des prix du pétrole présente des défis nouveaux. Il faut fournir un soutien et une accélération à cette reprise économique certes fragile mais qui commence à se mettre en place cette année. Et on voit qu'il est important de maintenir les grands équilibres économiques et de maintenir la confiance, à la fois des investisseurs, du citoyen et des partenaires de la Tunisie au niveau des institutions internationales et des pays amis. On est à mi-chemin, on commence à voir des améliorations timides mais progressives. Il faut maintenir le cap et garder l'engagement pour pouvoir enfin finir ce programme de réformes et préparer la Tunisie à une nouvelle phase. La Banque centrale de Tunisie a augmenté à deux reprises son taux directeur en 2018. Mais ceci n'a pas eu, jusqu'ici, l'impact escompté, à savoir atténuer le taux d'inflation qui a atteint 7,8% en juin 2018. Quelles seraient, selon vous, les raisons d'un tel décalage ? Il faut dire que la lutte contre l'inflation est très importante. Premièrement, elle permet de maintenir la stabilité économique et sociale. L'inflation est la taxe la moins juste pour les citoyens, surtout ceux qui ont des revenus faibles. Les mesures que la Banque centrale a mises en place sont des mesures techniquement bonnes pour lutter contre l'inflation. Il faut du temps pour que les effets se fassent sentir. La réactivité du marché n'est pas toujours aussi rapide qu'on le voudrait. Il y a également les problèmes de transmission des politiques monétaires sur le marché. Il faut maintenir le cap pour la lutte contre l'inflation. Et même s'il y a eu des augmentations transitoires des taux, il est important de casser cette spirale. Je pense que la BCT a les compétences de trouver les meilleurs instruments pour pouvoir graduellement travailler sur une réduction de l'inflation. Il faut dire que l'augmentation du prix du pétrole n'a pas aidé. Je pense qu'il est important pour les économistes de prendre en considération les autres variables parce que la lutte contre l'inflation s'est produite au moment où on a connu une croissance rapide du prix du pétrole. Et dans une économie dépendante des importations de pétrole, ceci a un impact. La dette publique et la dette extérieure sont en train d'atteindre des niveaux très élevés. Quelles seraient les mesures à prendre, d'après vous, pour réduire cet endettement ? La réduction de la dette est l'un des objectifs premiers du programme de réformes du gouvernement. Elle se fait par plusieurs moyens qui doivent se mettre en place ensemble. Premièrement, la réduction du déficit est la source de l'augmentation de la dette. Donc plus on travaille sur l'amélioration de la situation budgétaire en réduisant les dépenses et en augmentant les recettes, avec le moins d'impact possible au niveau social, plus on réduit le déficit budgétaire. Deuxièmement, il y a un élément très important qu'est le taux d'intérêt. Plus on a de la confiance, plus on a un taux d'intérêt faible. Troisièmement, il s'agit de la croissance. On mesure toujours la dette par rapport à la taille de l'économie. Plus l'économie croît, plus le poids de la dette par rapport à la taille de l'économie devient moins lourd. Il faut travailler sur une grande discipline budgétaire des finances publiques, agrandir la taille de l'économie et diversifier les sources de financement. Le gouvernement tunisien vient d'élever récemment le salaire minimum et s'apprête à un nouveau round de négociations sociales pour la fonction publique et le secteur privé. Pensez-vous que cette décision soit adéquate à la situation économique actuelle surtout que le FMI a recommandé de ne pas accorder de nouvelles augmentations salariales en 2018 ? La dépense publique a atteint un niveau de saturation au niveau des dépenses courantes. Il devient très difficile d'augmenter l'investissement publique. Donc si on veut relancer l'économie et créer des emplois, il faut dégager des marges de manoeuvre pour augmenter l'investissement public. Actuellement, ceci est difficile vu que la Tunisie a un niveau d'endettement élevé et se trouve dans un contexte où les prix du pétrole sont plutôt à la hausse qu'à la baisse. Si on augmente les dépenses courantes, j'ai peur qu'on soit dans l'impossibilité de créer des marges de manoeuvre. C'est là où la priorité doit être appliquée, de ne pas augmenter les dépenses courantes et travailler à les réduire graduellement et de façon à ne pas créer de perturbations sociales, afin de booster l'investissement, augmenter le soutien aux entreprises et surtout pour la jeunesse tunisienne dans des secteurs d'activité d'avenir comme la technologie. C'est de là que vient notre recommandation qu'il est maintenant presque impossible d'augmenter les salaires. Le climat politique connaît actuellement quelques perturbations en Tunisie. Cela pourrait-il impacter, selon vous, les réformes engagées ? Au cours des discussions que j'ai eues avec les responsables gouvernementaux, on m'a assuré que quel que soit l'agenda politique, les réformes ont la priorité. Cela me rassure. C'est important que l'ensemble de la société réalise qu'il est très important pour les mois à venir de maintenir le cap. Il faut maintenir le cap sur la pérennisation de la reprise économique. Donc, il est dommage de ne pas continuer pour pouvoir récolter les bénéficies du programme de réformes. On sent des signaux positifs, la reprise économique, la reprise de l'investissement et de l'export, le tourisme qui a connu un rebond cette année. Il est important de maintenir le cap, préserver la discipline et faire en sorte que l'agenda politique serve les réformes plutôt que de les desservir.