Tout au long de sa carrière passée à l'Espérance et avec l'équipe nationale, Khaled Ben Yahia, le libéro de charme qu'on a souvent comparé aux meilleurs du monde à son poste, a toujours été un modèle à suivre. Ce grand footballeur au passé glorieux veille aujourd'hui aux destinées de l'Espérance, son équipe du cœur en tant qu'entraîneur. Métier qu'il exerce déjà depuis belle lurette mais dans lequel il n'a jamais percé sur le plan international. L'occasion lui est peut-être propice cette fois s'il franchissait avec son équipe l'écueil de ces tours avancés de la Champions League, à commencer par celui périlleux de l'ESS pour le compte des quarts de finale. Avec un pareil triomphe, Khaled Ben Yahia entrerait dans le giron des grands et ferait taire tous ses détracteurs. Propos. Quelles furent les idées qui vous sont venues à l'esprit lorsque le tirage au sort a donné ce quart de finale avec l'ESS ? Sincèrement j'aurais voulu que nos chemins soient séparés pour le compte de cette édition afin de donner au maximum la chance au football tunisien d'être doublement présent dans les tours avancés de la compétition africaine. Malheureusement, le sort en a décidé autrement et on est obligé de faire avec. Par ailleurs, je pense que le fait que l'EST et l'ESS atteignent les quarts de finale, cela prouve que notre football n'est pas aussi mauvais qu'on le pense. En effet, les équipes qui arrivent aux quarts de finale sont toujours parmi les plus fortes de la plus prestigieuse des compétitions continentales. Désormais, avec le nivellement de tous les quarts de finalistes actuels, chacun a une chance à saisir pour goûter aux charmes du triomphe. «Fratricide» inévitable L'EST et l'ESS, deux frères ennemis obligés à s'affronter dans une dimension autre que locale. Est-ce difficile à gérer ? Je pense que non. Au contraire, nos deux équipes vont se donner la réplique dans un double duel qui sera suivi par des millions de téléspectateurs. Il nous appartient donc de donner la meilleure image du football tunisien et d'être un bon exemple à suivre sur tous les plans. Et là je ne parle pas uniquement de la qualité du jeu. C'est surtout l'ambiance qui doit être dénuée de toute sorte de tension de nature à donner une image négative de notre football et de notre public. Que la tension atteigne son point culminant pour ce qui est de la qualification en demi-finale, cela est tout à fait normal. Seulement, il faudra que cela se passe dans le cadre du fair-play. Il est vrai que c'est d'un «fratricide footballistique» qu'il s'agit, mais de là à en faire un affrontement entre les joueurs et les supporters serait à mon avis la pire des images à donner et qu'il faudrait absolument éviter quelle que soit l'issue finale de ce tour. La rivalité est légitime mais les écarts de conduite sont toujours bannis. Craignez-vous les renforts effectués par l'ESS ces derniers temps? Certes, l'Etoile a réussi une bonne opération de renfort au niveau de l'attaque spécialement, mais je tiens à préciser que l'apport individuel des joueurs ne peut s'avérer fructueux que s'il s'allie au jeu collectif de l'équipe. Et cela demande souvent un certain temps d'adaptation pour que les nouveaux venus commencent à donner le plus au niveau de la cohésion. Personnellement, j'accorde énormément d'importance au concours d'un joueur à l'animation générale du jeu de son équipe. «La question de la défense est paradoxale» On ne peut pas ne pas parler des problèmes défensifs de l'Espérance. Quel est votre avis à ce propos ? A ce sujet bien précis, le terme paradoxe sied bien à notre situation. C'est que, statistiquement, que ce soit sur le plan local ou continental, nous avons l'une des meilleures défenses. Mais sur le terrain, des défaillances, à mon avis ordinaires, peuvent survenir de temps en temps sur des fautes individuelles, voire de cohésion parfois. Cela est dû à beaucoup de facteurs spécialement la fatigue, les blessures et les absences. Mais on arrive à gérer tout cela, surtout avec les renforts enregistrés et la récupération des joueurs blessés au fur et à mesure. A mon avis, il ne faut pas blâmer outre mesure la ligne arrière car parfois l'entrejeu assume une part de responsabilité dans les buts encaissés par l'équipe. Quand les joueurs du milieu n'appliquent pas comme il se doit les consignes visant une bonne animation de jeu et une parfaite complémentarité au niveau de la couverture et de la récupération, entre autres, le poids est en conséquence lourdement supporté par la défense. Qui en fin de compte se trouve la seule à avaler des couleuvres. C'est d'ailleurs à cela qu'on s'attelle pour retrouver la rigueur défensive qui a toujours été l'une des caractéristiques de l'Espérance. L'autre paradoxe c'est qu'on encaisse plus de buts à domicile qu'en déplacement. Cela prouve que la concentration ou plutôt le relâchement au niveau de la concentration et de l'application y est pour beaucoup dans ce problème. «Les trois catégories du public "sang et or"» Une fois l'un des deux représentants du football tunisien qualifié, pourra-t-il rivaliser avec T.P.Mazembe, le WAC ou même Al-Ahly? Pour arriver aux quarts de finale et encore plus aux demi-finales, il faut être un gros calibre. Le nivellement sera à son paroxysme et tous les demi-finalistes seront à chances égales sans avantage de pronostic pour l'un d'eux au détriment des autres. Car pour arriver à ce stade, il ne faut pas compter sur le hasard pour y parvenir. Il faut juste être un gros calibre. On constate ces derniers temps qu'entre vous et une frange du public espérantiste il y a une certaine tension. Quel est votre commentaire là-dessus? Bien évidemment, je suis très sensible à ce que ressentent les supporters surtout dans les moments difficiles par lesquels passe parfois notre équipe. En collaboration avec les joueurs, nous faisons de notre mieux pour contenter notre public mais en football il n'y a pas de vérité absolue ou des matches gagnés à tous les coups. Cependant, je voudrais classer le public espérantiste en trois catégories : les «négatifs» qui sont toujours insatisfaits, les «dévoués inconditionnels» et la «majorité neutre». Dieu merci, la première catégorie a un pourcentage très faible mais elle est très nuisable car ses membres affichent faussement leur amour pour l'EST alors qu'en vérité ils ne lui veulent que du mal car ce qui compte pour eux c'est leur intérêt personnel et leurs traquenards. Pour ce qui est de la deuxième catégorie, c'est celle de l'allégeance totale et la fidélité sans faille aux couleurs du club même pendant les mauvais résultats. Quant à la catégorie de la majorité neutre (voire silencieuse) que j'apprécie et respecte beaucoup et qui est de l'ordre de 70%, c'est elle la référence à mon avis. Car c'est d'elle qu'émanent la critique constructive et le soutien dans les moments difficiles. Elle se déplace au stade pour encourager les couleurs de son équipe en espérant toujours assister à un beau spectacle de la part des joueurs «sang et or» sans trop s'immiscer dans les affaires de leur club ou du rendement individuel de chacun et encore moins aux particularités tactiques revenant à l'entraîneur. Pour conclure, est-ce que vous pouvez nous faire une comparaison entre la carrière d'un footballeur notoire et celle d'un entraîneur ? Ce n'est pas difficile de vous dépeindre cette comparaison. Quand j'étais joueur, je ne m'intéressais essentiellement qu'à mon rendement individuel et à ma propre image de marque. Bien sûr, l'intérêt de mon club et celui de l'équipe nationale m'intéressait énormément, mais je ne me sentais pas responsable des résultats. En revanche, être entraîneur c'est toujours l'obligation de résultat qui est dressé au-dessus de la tête comme une épée de Damoclès. Cela veut dire que les ingrédients de la responsabilité de préparer l'équipe physiquement, mentalement et tactiquement sont toujours pesants. Sans répit. De surcroît, il y a des choses extra-football à gérer avec beaucoup de tact : les relations avec l'entourage professionnel, les médias et les supporters. Croyez-moi, ce n'est pas toujours facile à vivre!