Le phénomène des inondations et des changements climatiques ne concerne pas que la Tunisie mais tous les pays et provoque des dégâts parfois irrémédiables. Quand les eaux reprennent leurs cours et que la nature revendique ses biens, il faut s'attendre aux inondations, c'est le message qu'a voulu transmettre le professeur Mongi Bourgou, lors de sa conférence ce jeudi à Beit el-Hikma, Carthage. La Tunisie est-elle devenue une terre vulnérable et à risques ? A-t-on atteint un point de rupture ? Sommes-nous condamnés à vivre avec les inondations ? Les causes sont-elles naturelles ? Des questions qui méritent réflexion d'autant plus que la fréquence des inondations augmente d'une année l'autre. Changements climatiques dans le box des accusés… Mongi Bourgou nous invite à mieux comprendre les inondations. Pas de grandes quantités de pluies, pas de grands cours d'eau, un relief modeste, et pourtant la Tunisie est un pays à risques d'inondations. Sur le plan topographique, si ce relief est modeste, les versants sont pentus, découpés, et peu étendus. Les terres sont basses et sont donc favorables à la stagnation des eaux, ce qui explique que le ruissellement des eaux prend l'avantage sur l'infiltration. En Tunisie, les spécialistes pensent que depuis 1900 le niveau de la mer s'est élevé de 1 à 2 mm/an, soit en moyenne 15 cm pour toute la période. Il ne fait plus aucun doute que le changement climatique augmente la probabilité de survenue d'événements extrêmes. Toutefois, le phénomène des inondations et des changements climatiques ne concerne pas que la Tunisie mais tous les pays et provoque des dégâts parfois irrémédiables. L'évolution du climat est toujours paramétrée par les conditions astronomiques et non par les impacts anthropiques ; en France les épisodes de canicule se multiplient depuis le début des années 2000, les averses aussi. …L'homme aussi Les facteurs naturels sont déclenchants mais les facteurs anthropiques son aggravants, tend à clarifier le conférencier. Les constructions ont envahi les lits majeurs et les plaines et plusieurs aménagements sur les pentes (Bizerte, Tunis, Le Kef, Kasserine, Sousse) ont engendré l'augmentation du coefficient d'écoulement. A Nabeul, on a rétréci les cours des eaux et à Korba les eaux n'ont pas trouvé d'issue en raison d'un aménagement inadéquat et irrationnel alors qu'à Korbous c'est tout un conduit qui a été bouché dans les années 90 et aujourd'hui c'est la rue qui constitue le chemin d'écoulement d'eau ! Toute la localité de Baddar dans la délégation de Takelsa a été inondée en raison de l'étranglement du cours naturel d'eau affluant de l'oued, nous expose-t-il. Cela sans compter ces agglomérations développées sur le chemin des oueds très peu encaissés (Mejez El Bab, Bouficha, Sidi Bouzid, Kairouan, Tataouine) et plusieurs autres facteurs dont notamment des canalisations insuffisantes, des dalots sous-dimensionnés. Le risque d'inondation tient tout d'abord à des causes naturelles et surtout à la façon dont l'homme a occupé et aménagé l'espace, notamment à des aménagements anarchiques, explique le professeur. Les eaux ne font qu'envahir les secteurs aménagés et les pluies, une manne du ciel, sont malheureusement perçues comme cause de catastrophe. Des pluies capricieuses, irrégulières et soudaines Une irrégularité dans l'espace et le temps (vaches maigres et vaches grasses). En quelques heures, on enregistre la moyenne annuelle comme à Médenine en 1979 (120 mm en 24h, alors que la moyenne est de 150 mm) ou à Sfax en 1982 (250 mm le 30 et le 31 octobre). A Tunis, on a enregistré 182,5 mm le 17 septembre 2003 et 130 mm le 23, soit l'égal de 11 fois un seul mois). On ne parle plus d'un simple événement pluviométrique. Sur le plan de la fréquence des inondations enregistrée à longueur d'année, le constat est aussi alarmant et préoccupant. De dix ans d'intervalle, on est passé à cinq et, aujourd'hui, les inondations touchent le pays chaque année. Que faire ? Les solutions se trouvent dans la mise en œuvre d'actions préventives et anticipatives car les dépenses curatives pour la réparation de quelques dégâts provoqués par les inondations sont aussi importantes que les dépenses préventives, explique le conférencier. Il faut avoir le courage de faire déplacer les gens qui occupent des zones interdites, préconise le professeur Mongi Bourgou. Il reprend les paroles du climatologue français Robert Vautar : «Aujourd'hui, il nous faut surtout éviter l'ingérable et gérer l'inévitable». Il faut apprendre à vivre avec les inondations et s'initier à la culture du risque naturel (les assurances). On a depuis longtemps sonné l'alarme mais personne ne veut nous écouter, la politique ne suit pas, ajoute-t-il. Et pour conclure, le professeur est catégorique, la Tunisie est devenue une terre d'inondations et c'est la faute à l'homme.