Tunisie – Démarrage de l'exploitation du nouveau service des archives du ministère de l'intérieur    Tunisie – Le bureau de l'ARP adopte le budget de l'assemblée pour 2025    Trajectoire de croissance prometteuse : L'UBCI réalise un PNB de 75 MD au premier trimestre    Tunisie – Repli des investissements dans le secteur industriel    Tunisie – METEO : Températures entre 10 et 19°C    Le SNJT dénonce les poursuites contre Khouloud Mabrouk    Festival international du film des femmes d'Assouan : « Les filles d'Olfa » de Kaouther Ben Henia triplement primé    Nabil Ammar en visite au Cameroun les 26 et 27 avril    Le Croissant Rouge met en garde contre la propagation de maladies infectieuses à G-a-z-a    Les ministères de l'éducation et des technologies unis dans la lutte contre la fraude aux examens nationaux    Algérie-Qatar : Avec 3,5 milliards de dollars fini le casse-tête du lait à l'importation, et c'est pas tout…    Nabil Ammar : Renforcer les liens économiques tunisiens à l'international    Allergies aux pollens : Que faire pour s'en protéger ?    Changement climatique: Ces régions seront inhabitables, d'ici 2050, selon la NASA    Un mouton de sacrifice à 2 mille dinars !    Les avocats des détenus politiques empêchés de leur rendre visite    Près de 6 000 mères ont été tuées à G-a-z-a, laissant 19 000 enfants orphelins    Mohamed Trabelsi, nouvel ambassadeur de Tunisie en Indonésie    En 2023, le coût par élève est passé à 2014,7 dinars    Volée il y a 30 ans, une statue de Ramsès II récupérée par l'Egypte    Kenizé Mourad au Palais Nejma Ezzahra à Sidi Bou Said : «Le Parfum de notre Terre» ou le roman boycotté    Centre de promotion des Exportations : Une mission d'affaires à Saint-Pétersbourg    Augmentation alarmante des cas de rage au cours des trois dernières années    Pourquoi | De la pluie au bon moment...    Accidents de travail : Sur les chantiers de tous les dangers    Tunisair : Modification des vols en provenance et à destination de la France pour aujourd'hui 25 avril 2024    Vandalisme à l'ambassade de France à Moscou : une fresque controversée soulève des tensions    Echos de la Filt | Au pavillon de l'Italie, invitée d'honneur : Giuseppe Conte, un parcours marqué par de multiples formes expressives et une poésie romanesque    Safi Said poursuivi suite à son projet pour Djerba    WTA 1000 Madrid : Ons Jabeur défie Slovaque Schmiedlová    L'Espérance de Tunis vs Al Ahly d'Egypte en demi-finale de la Coupe d'Afrique des clubs Oran 2024    CONDOLEANCES : Feu Abdelhamid MAHJOUB    Mahdia : recherches en cours de pêcheurs disparus en mer    Volley | La Mouloudia de Bousalem vice-champion d'Afrique : Un cas édifiant !    Le ST reçoit l'USM samedi : Un virage majeur    Ligue des champions – Demi-finale retour – Mamelodi Sundowns-EST (demain à 19h00) : Pleine mobilisation…    OneTech : clôture de la cession de son activité d'emballage pharmaceutique Helioflex au profit du groupe Aluflexpack AG    Aujourd'hui, ouverture de la 9e édition du Festival International de Poésie de Sidi Bou Saïd : Un tour d'horizon de la poésie d'ici et d'ailleurs    L'EST demande une augmentation des billets pour ses supporters    Nominations au ministère de l'Industrie, des Mines et de l'Energie    Le Chef de la diplomatie reçoit l'écrivain et professeur italo-Tunisien "Alfonso CAMPISI"    Stade d'El Menzah : Une étude de faisabilité sous l'œil des experts Chinois    Géologie de la Séparation : un film tuniso-italien captivant et poétique à voir au CinéMadart    Hospitalisation du roi d'Arabie saoudite    L'homme qui aimait la guerre    Foire internationale du livre de Tunis : vers la prolongation de la FILT 2024 ?    Soutien à Gaza - Le ministère des Affaires religieuse change le nom de 24 mosquées    Un pôle d'équilibre nécessaire    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Attention talent !
Le roman polyphonique d'Aminata Aïdara
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 11 - 2018

Elle est italo-sénégalaise, elle partage sa vie entre Paris, Dakar et Rome. Anthropologue, organisatrice d'événements culturels, mais avant tout écrivain, elle vient de publier un remarquable premier roman, aussi lyrique qu'intelligent.
Je suis quelqu'un est le premier roman d'Aminata Aïdara. Ce n'est pas un roman comme les autres. Est-ce vraiment un roman ? Sans doute pas dans le sens que donnaient à ce genre Balzac ou Dickens. Le roman d'Aïdara est plus proche du «stream of consciousness» à la Joyce qui, à travers le déroulement d'une pensée spontanée, charriant les dérélictions et les insécurités du quotidien, remonte à la source de la conscience. Celle de l'auteur, mais généreusement fictionnalisée en partant de sa condition de femme métisse, plurielle, riche de sa double culture qui est aussi une douleur, une souffrance.
Née de père sénégalais et de mère italienne, la jeune romancière a grandi en Italie. «Il y avait dans la maison beaucoup d'affection et beaucoup de livres, car mon grand-père italien était un grand lecteur, ma mère aussi», raconte-t-elle. La lecture est dans le sang et comme de la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, elle l'a franchi allègrement en publiant ses premiers poèmes à l'âge de 14 ans.
Or, si la jeune femme est entrée dans la littérature par les portes de la poésie, les premiers livres qu'elle publie sont en prose: un recueil de nouvelles en italien en 2014 La ragazza dal cuore di carta («La fille au cœur du papier»), puis ce beau roman Je suis quelqu'un, qui relève autant de la saga familiale que de la quête de soi à travers une multitude de signes et de songes postcoloniaux.
De lourds secrets familiaux
«J'écris comme dans un rêve», aime dire la primo-romancière. Tout commence dans ce récit par un rêve, un souvenir d'enfance. La protagoniste se souvient d'avoir entr'aperçu, une nuit, deux nourrissons dans la vaste maison familiale de Dakar où elle a grandi, entourée de ses sœurs, de sa mère et de ses grands-parents. Toute sa vie, Estelle a été hantée par ce souvenir, mais chez elle, il ne sera plus jamais question de nourrisson. Jusqu'au jour où, le jour de ses 26 ans, son père lui révèle l'existence du «fils illégitime de sa mère, mort dans son berceau.
«Quelque part à Paris, une fille appelée Estelle rencontre son père. En le regardant s'approcher, le visage fermé, elle comprend qu'il n'y aura pas de cadeau d'anniversaire. (…) Avant de rentrer dans le bar, les deux se sourient à peine. Ils se font la bise. Son père inspire profondément et, sans aucun "comment tu vas" ou "comment je vais", il annonce : «Ta mère a eu le courage de me faire un enfant dans le dos. Avec un autre homme. Et certainement…». C'est ainsi que commence le livre d'Aminata Aïdara, in medias res, bruissant de lourds secrets familiaux dont le lent éclaircissement constitue le fil d'Ariane de son intrigue.
Tiraillés entre ici et ailleurs
Si le récit familial tient une place importante dans Je suis quelqu'un, il serait injuste de réduire ce livre à cette seule composante de son intrigue. Le dévoilement du secret est un prétexte pour Aminata Aïdara de raconter la complexité du monde contemporain qu'incarnent à merveille ses personnages principaux.
Le récit est bâti autour des pérégrinations d'Estelle. Paumée, tiraillée entre le monde traditionnel et celui des cités sans foi ni loi de Paris, elle va de squat en squat à la recherche d'une paix intérieure introuvable. Son désarroi, elle l'exprime à travers des «délires» cathartiques qui constituent les plus belles pages de ce roman poétique, quasi-rimbaldien.
Les soliloques de la jeune protagoniste se lisent comme autant de textes de poésie urbaine rythmés par le refrain «Je suis quelqu'un». «Je suis quelqu'un qui ne porte pas de masque : maintenant j'ai vingt-six ans, plus proche des trente que des vingt. C'est comme ça. Je suis aussi quelqu'un qui n'a pas la moindre intention de prendre une direction, sauf celle que chaque jour lui donnera envie de suivre. Une fille qui est destinée à éviter que le volume de son Mp3 se fixe sur le numéro vingt-six. Qui n'arrivera pas à fréquenter un mec plus de vingt-six jours. Qui enfoncera la tête dans le coussin vingt-cinq ou vingt-sept fois en évitant le pire de cet âge traître. Vingt-six fois piégée…».
Penda, sa mère, occupe une place fondamentale dans la vie d'Estelle. Généreuse, cultivée, secrète, mais piégée elle aussi par sa condition de migrante. Réduite à travailler comme femme de ménage dans un lycée professionnel à Clichy, elle se console en se jetant à corps perdu dans la lecture de Frantz Fanon, son maître à penser. Elle s'appuie sur la réflexion de l'auteur de Peau noire, masques blancs sur la condition du colonisé pour déchiffrer la grammaire du couple disruptif qu'elle forme avec Eric, son amant et fils de harki inconsolé. Dans la galerie des personnages convoqués par Aïdara pour dire son monde, il y a enfin Mansour, le petit cousin fragile d'Estelle, Cindy, une Africaine-Américaine, la grand-mère maternelle Ichir qu'on soupçonne d'être un peu sorcière, mais qui détient les clefs du secret familial obsédant… Tous des personnages complexes, profonds, tout sauf manichéens.
L'originalité de ce roman réside aussi dans sa structure fragmentaire. L'auteure a fait le choix d'un récit polyphonique où les voix et les points de vue s'additionnent pour dire le monde. Des SMS, des courriels, des lettres et des extraits de journaux intimes viennent interrompre le monologue d'Estelle. Loin de perturber notre lecture, cette pluralité de voix fait résonner avec une force redoublée l'anaphore identitaire qui scande le récit, dès le titre. C'est bien la preuve, sans doute, qu'Aminata Aïdara est «quelqu'un» dont il faudra désormais retenir le nom.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.