Le fossé se creuse, de jour en jour, entre les préoccupations des Tunisiens et les ambitions de leurs députés. Samedi dernier, au palais du Bardo, on a découvert, de nouveau, que les élus de la nation ont d'autres priorités que celles qui retiennent l'attention des Tunisiens En effet, plusieurs députés ont dévoilé aux Tunisiens une image affligeante de ce que la politique politicienne et l'opportunisme partisan ainsi que les calculs électoralistes, avant même que la campagne électorale ne démarre, peuvent engendrer comme une rupture ou une fracture définitive entre un peuple et sa pseudo-élite politique Le démarrage, samedi 24 novembre, de la discussion, au Parlement, des projets de budget de l'Etat et de loi de finances 2019 aurait montré que le fossé se creuse, de jour en jour, entre les préoccupations des Tunisiens et leurs attentes des députés, d'une part, et les centres d'intérêt ou les questions qui sont à l'ordre du jour au Parlement, d'autre part. Samedi dernier, les députés étaient invités à dialoguer avec le chef du gouvernement sur les principales orientations et les choix économiques et sociaux fondamentaux qui marqueront l'année 2019, considérée comme une année charnière dans le parcours de la jeune expérience démocratique tunisienne dans la mesure où elle sera couronnée, fin octobre et novembre prochains, par l'organisation des deuxièmes élections présidentielle et législatives de la deuxième République. En effet, les élus de la nation, qui sont à la dernière année de leur mandat parlementaire (2014-2019), étaient censés discuter les priorités fixées par le gouvernement en matière de développement régional, de contrôle des prix, de soutien des familles nécessiteuses, de lutte contre le chômage, de lutte contre l'évasion fiscale, d'amélioration du rendement de l'administration, de relance du dialogue gouvernement-Ugtt, etc. Tout au long d'une journée de débats, les Tunisiens attendaient de leurs représentants qu'ils évaluent les 11 mesures lancées par le chef du gouvernement pour lutter contre l'évasion fiscale, qu'ils critiquent la stratégie à long terme dont a été chargé le ministère de l'Agriculture en vue d'augmenter le niveau de production des produits agricoles sensibles, qu'ils s'interrogent sur les moyens qui seront mis en œuvre pour la réactivation de la commission nationale des prix, etc. Malheureusement, ceux qui ont choisi de suivre les débats budgétaires sur le petit écran sont restés sur leur faim. Pire encore, ils ont été submergés par un sentiment de frustration dans la mesure où ils ont découvert, encore une fois, que leurs attentes sont à des années lumières des objectifs des députés. Nos valeureux représentants ont dévoilé, de par leurs interventions, que leur dernier souci était de savoir comment la Banque des régions va être mise en place, comment les 150 millions de dinars qui seront alloués au Fonds de l'emploi vont être attribués aux jeunes demandeurs d'emploi ou comment le gouvernement va régir les 6.150 millions de dinars consacrés aux projets d'investissements publics. A l'opposé de ces questions qui engagent l'avenir de la Tunisie et des Tunisiens, les locataires du palais du Bardo pour encore une année ont préféré consacrer «leur énergie, leur savoir-parler et leurs petites phrases assassines» à s'invectiver, à s'échanger les insultes et les allusions de corruption et à marquer des points en prévision des prochaines élections législatives et présidentielle. Ceux qui ont pris la parole ont préféré narguer Youssef Chahed sur la prétendue affaire de putsch contre le chef de l'Etat intenté à son encontre par Slim Riahi, secrétaire général de Nida Tounès, comme si les allégations du responsable nidaïste méritaient autant d'intérêt ou comme si le palais du Bardo offrait l'espace idéal aux tiraillements politiques et aux luttes politiciennes voire les ambitions personnelles les plus démesurées pour s'exprimer au vu et au su d'une opinion publique lassée des querelles intestines et des disputes de bas étage qui pullulent déjà sur les plateaux TV et les radios. Samedi, plusieurs députés ont dévoilé aux Tunisiens une image affligeante de ce que la politique politicienne et l'opportunisme partisan ainsi que les calculs électoralistes avant que la campagne électorale ne démarre peuvent engendrer même comme une rupture ou une fracture définitive entre un peuple et sa pseudo-élite politique. Peut-on attendre de nos députés qu'ils prennent conscience que les Tunisiens ne leur ont pas accordé leur confiance pour qu'ils tournent le dos aux préoccupations nationales et se consacrent exclusivement à la réalisation de leurs propres agendas ou de ceux de leurs partis au moment où le pays patauge dans un crise appelant un sursaut national et une mobilisation citoyenne aussi large que possible en vue de redonner espoir aux Tunisiens en des lendemains meilleurs ? On se pose la question et on exprime la crainte de voir nos députés rater, encore une fois, l'opportunité qui leur est offerte de coller aux préoccupations de leurs concitoyens. Notre crainte est d'autant plus légitime et compréhensible que le démarrage des débats budgétaires a coïncidé avec la décision de la commission administrative nationale de l'Ugtt de décréter le 17 janvier prochain une grève générale de la fonction et du secteur publics. Malheureusement, aucun député n'est revenu sur cette décision pour appeler les protagonistes (Ugtt et gouvernement) à reprendre le dialogue dans le but d'épargner au pays le chaos et l'inconnu. Au contraire, nos députés ont considéré que les querelles politiciennes sont plus importantes qu'une grève générale qui pourrait paralyser le pays et le faire sombrer dans l'anarchie.