Tout récemment, l'affaire du gisement «Halk El Menzel», qui a conduit au limogeage, en août dernier, du ministre de l'Energie et des Mines, Khaled Kaddour, est réapparu au sein de la commission de l'industrie de l'ARP qui a auditionné le ministre de l'Industrie, Slim Fériani. Le rapport de l'équipe chargée de l'enquête administrative est accablant. L'affaire est d'une complexité telle que le ministre de l'Industrie ne voit pas d'autre issue qu'une solution juridique à l'amiable Les contours de l'affaire qui a fait couler beaucoup d'encre et enflammé les réseaux sociaux se dessinent. Le permis d'exploitation du gisement offshore est invalide depuis 2009. La société Topic empoche les avantages financiers depuis 2011, date d'approbation du plan de développement de la concession d'exploitation par la direction générale de l'énergie, tout en excluant l'Etat de sa part du retour sur investissement. Entretemps, les travaux d'extraction ont été suspendus depuis septembre 2018. Les négociations entre le ministère de l'Industrie, la société exploitante Topic et la société pétrolière OMV (ayant exclusivement un droit de retour), sont en cours afin d'éviter l'arbitrage international qui pourrait nuire à la réputation de la Tunisie sur le marché international. Il est à rappeler que les réserves pétrolières du gisement représentent 12% de la production nationale. Quatre mois après le limogeage du ministre des Energies, des Mines et des Energies renouvelables, Khaled Kaddour, ainsi que la suppression du département des énergies, pour soupçons de corruption relatifs au gisement pétrolifère offshore au large de Monastir « Halk El Menzel », les interrogations sur l'avancement de l'enquête diligentée par le chef du gouvernement persistent. Cette affaire qui a provoqué, autrefois, un séisme au sein du ministère, a fait l'objet d'une campagne, intentionnelle, de banalisation médiatique poussant certains politiques à considérer la décision de suppression du département comme étant une mesure «surdimensionnée», voire une simple «bêtise». Toutefois, les résultats préliminaires de l'enquête réalisée par les unités du contrôle général des services publics et du contrôle général financier démontrent une multitude d'intrigues qui planent sur l'affaire. Les soupçons de corruption se confirment, en attendant la publication du rapport final de l'enquête. En effet, la commission parlementaire de l'industrie, de l'énergie, des ressources naturelles, de l'infrastructure et de l'environnement a tenu le 7 janvier une séance d'audition qui a fait l'objet d'une présentation du rapport préliminaire de l'enquête sur l'affaire de «Halk El Menzel», suivie de discussions entre les députés et les représentants du gouvernement. Les résultats phares de l'enquête permettent de tirer la conclusion suivante: la concession d'exploitation du gisement «Halk El Menzel» constitue un dossier tentaculaire contenant un cumul de violations juridiques et administratives. Le département de l'Energie, en l'occurrence la direction générale de l'énergie, est le premier accusé. Passivité et mauvaise gestion seraient les moindres accusations. 1ère violation : invalidité de la concession depuis 2009 Depuis 1979, date de l'octroi de l'autorisation pour exploitation de «Halk El Menzel», la concession du gisement pétrolifère a été cédée cinq fois à différents investisseurs. La dernière cession a eu lieu en 2006 au profit de la société Topic qui n'avait pas alors les moyens, ni techniques ni financiers, pour entamer les travaux d'exploitation, rapportent les membres du comité chargé de l'enquête. Avec l'adoption du code des hydrocarbures en 1999, l'investisseur d'alors a choisi de s'inscrire dans le cadre des dispositions du nouveau code qui lui permettent de bénéficier de plusieurs avantages fiscaux et incitations financières, à condition de partager les bénéfices avec l'Etat, en l'occurrence la société pétrolière nationale, l'Etap. Le code des hydrocarbures exige également une réduction de la durée totale de l'exploitation de 50 ans, durée fixée selon les dispositions de la loi 85 relative aux hydrocarbures, à 30 ans. Cela dit, la concession d'exploitation du gisement offshore n'est plus valide depuis 2009. 2e violation: une anomalie au niveau de l'exploitation qui a duré 30 ans Les dessous du dossier « Halk El Menzel » seraient encore intrigants, si l'on sait que l'exploitation du gisement est en situation illégale depuis 1981. En effet, selon les lois en vigueur, un plan de développement de la concession d'exploitation doit être déposé auprès du département de l'Energie dans un délai maximal de deux ans après l'octroi de la concession, c'est-à-dire depuis 1979. À cet égard, les enquêteurs ont affirmé qu'avec l'entrée en vigueur du nouveau code des hydrocarbures, l'investisseur pétrolier de l'époque aurait pallié les manquements s'il avait déposé son plan de développement au plus tard en 2001. Or, trois cessions ont eu lieu en 2000, 2003 et 2006 sans qu'aucune action ne soit engagée, ni de la part des investisseurs, ni de la part du ministère. C'est en 2011 que la société Topic a déposé son programme de développement de la concession auprès du ministère de l'Energie. La direction générale de l'énergie, qui avait à l'époque à sa tête Khaled Kaddour, a approuvé d'une manière illégale le plan de développement de l'exploitation, étant donné que le département aurait révisé la situation juridique de la concession avant toute décision d'approbation, affirment les enquêteurs. Pareil pour le Conseil consultatif des hydrocarbures (CCH), qui n'a pas levé le petit doigt durant toute cette période pour régulariser la situation juridique du gisement. L'Etat avait toutes les prérogatives de récupération du gisement en cas de pareilles transgressions. Un manque à gagner en recettes fiscales de plus de 22 millions de dinars Avec l'approbation du plan de développement en 2011, la société Topic a entamé officiellement ses travaux de forage. Ainsi, selon les dispositions du code des hydrocarbures, elle a pu bénéficier d'un ensemble d'avantages financiers. L'exonération de la société des frais de douane ainsi que des TVA imposables, dont Topic a joui, a engendré un manque à gagner colossal en termes de recettes fiscales, cumulé depuis 2012, aux alentours de 21 millions de dinars. S'y ajoutent 2 millions de dinars issus des «impositions fixes sur exploitation» qui devaient être payés quand le gisement a été mis en veilleuse. Il est également notoire que selon les données présentées par le ministère de l'Industrie, les réserves du gisement sont estimées à 1,8 million de barils de pétrole lourd, soit l'équivalent de 12% de la production nationale annuelle en pétrole. 3e violation : absence de contrat de partenariat avec l'Etap… Ayant choisi d'obéir aux dispositions du code des hydrocarbures, l'Etap doit être un partenaire de l'investisseur exploitant le gisement. Or, depuis 1999, aucune mesure n'a été prise par le ministère pour mettre à jour la concession d'exploitation et entériner le partenariat avec l'Etap. Le Comité consultatif des hydrocarbures a approuvé trois cessions depuis 2000, sans prendre les mesures nécessaires pour régulariser la situation du gisement. Les membres du comité chargé de l'enquête ont noté qu'en janvier 2015, la direction générale des énergies relevant du ministère de l'Energie, des Mines et des Energies renouvelables a envoyé un fax à la société Topic, indiquant que 2029 est la date de fin de validité de la concession. Cette date serait calculée en se référant à la loi 85 des hydrocarbures et non pas au code de 1999. Alors que le tribunal administratif a prononcé son verdict en déclarant l'invalidité du permis d'exploitation depuis 2009, Topic s'obstine dans sa version : 2029 est la date de fin de validité de la concession. À la recherche des solutions à l'amiable Contactée par La Presse, Nada Trigui, membre de l'ONG Bawsala, a affirmé que lors de la récente séance d'audition qui a réuni des représentants du gouvernement avec des députés de la commission de l'industrie relevant de l'ARP, le ministre de l'Industrie, Slim Feriani, a appelé à la nécessité de résoudre les problèmes juridiques avec la société Topic à l'amiable. En effet, un autre intervenant serait impliqué dans le dossier de «Halk El Menzel». C'est la société pétrolière OMV, quatrième propriétaire de la concession d'exploitation. En 2006, lors de la cinquième cession au profit de Topic, la société OMV a intégré un droit de retour dans le contrat de cession qui implique un partage à parts égales des bénéfices des travaux d'extraction entre OMV et Topic dans le cas de forage de nouveaux puits, ce qui est le cas du gisement «Halk El Menzel», dont le plan de développement de l'exploitation contient le forage de trois nouveaux puits. Une situation juridique sans précédent selon les experts. À cet égard, Nada Trigui a affirmé que le ministre de l'Industrie a mis en exergue la nécessité de gérer les conflits juridiques à l'amiable, que ce soit entre les deux sociétés ou entre l'investisseur Topic et l'Etat. «Le ministre a déclaré que dans le cas de non-aboutissement des négociations entre les divers intervenants dans le dossier Halk El Menzel, l'Etat devrait aller vers l'arbitrage international. Une mesure qui ternit l'image de la Tunisie en tant que pays encourageant l'investissement, de surcroît qui coûte cher à l'Etat, selon le ministre. D'où la nécessité de trouver des solutions à l'amiable», rapporte Nada. Le rapport final n'est pas encore publié. Affaire à suivre.