«Si l'autorité n'a pas d'oreilles pour écouter, elle n'a pas de tête pour gouverner». Puisque le «Mondial» se tient au Danemark, nous avons choisi ce dicton danois pour commenter cette déroute à oublier. Il ne s'agit pas de la leçon égyptienne qui a confirmé que nos principaux adversaires progressent et que nous faisons du surplace. C'est le tribut à payer lorsque les luttes intestines nous vident de notre substance, que nous voulons «acheter» un entraîneur au rabais qui ne coûte pas trop cher, que nous inventons la compétition la plus curieuse (insensée) du monde, que nous entraînons une équipe pour en présenter une autre. A l'issue de ce «Mondial» à oublier, si nous posons la question à un boy-scout et que nous lui demandons ce qu'il faudrait faire pour jouer au handball, il vous répondra spontanément qu'il est nécessaire de commencer par avoir une bonne défense. Si nous demandons au dernier des imbéciles (excusez le mot) que doit-on faire pour pallier l'absence de tireurs de loin, il vous répondra immédiatement qu'on doit disposer de bons ailiers et jouer sur les ailes pour dégager le centre et donner de l'air aux tireurs à mi-distance. «Nous avons bien préparé ce mondial. La préparation a été à la hauteur de l'événement ». Cette déclaration a été unanime et aussi bien les joueurs que le personnel d'encadrement technique et administratif ont été d'accord pour louer les efforts fournis à l'effet d'être au top pour ce Mondial germano-scandinave. Mais la démarche au niveau des ambitions nous semble fort curieuse : comment un pays qui s'est classé quatrième peut-il déclarer qu'il se suffirait d'accéder au second tour ? Certes, en 2005, il y avait de grands joueurs, un entraîneur super-motivé (qui s'est depuis « tunisifié » en se laissant gagner par le farniente), des conditions de préparation particulières avec tout un pays en soutien mais, depuis, le retrait de la fédération d'hommes à poigne, l'instauration d'un clanisme inexplicable parmi les joueurs et l'absence d'une véritable mobilisation collective ont réduit les ambitions. A l'issue des deux premières rencontres, et pour témoin l'avalanche de buts encaissés en début de partie nous opposant aux Danois, dont la totalité dépassait le nombre de minutes jouées et après le comportement de la défense tunisienne face à la Norvège, puis au Danemark, enfin à l'Egypte, le commun des mortels aurait pu assurer qu'«ils n'ont rien préparé». La défense, clef de l'équipe Pourquoi ? Parce que, tout simplement, en handball comme dans tout sport collectif, c'est la défense qui prime. Une fois ce compartiment assuré, mis en place avec les différentes variantes possibles à solliciter en cours de jeu, l'équipe, tout en assurant le premier écran devant le gardien de but, qui, quelle que soit sa valeur, doit être protégé, peut se porter vers l'avant et penser à l'attaque. En défense, on dispose les joueurs dans un ordre de départ, dicté par les conclusions des différentes missions d'observation de l'adversaire et des profils dont disposent aussi bien les défenseurs que leurs vis-à-vis attaquants. Et le tout devient une interprétation des défenseurs qui se doivent de réagir en fonction du déroulement du jeu. Par anticipation ou par harcèlement, la défense s'active pour imposer son « poids » aux joueurs adverses. Et cette « entente » ne peut venir que de joueurs ayant le même sens de leur rôle au sein du dispositif. L'entraîneur, d'ailleurs, n'a plus rien à faire, car la balle allant plus vite que l'homme, on ne peut plus rien corriger face à des changements de situations qui se font au centième de seconde. D'ailleurs, les changements opérés ont contribué au flottement de tout le dispositif mis en place. Des changements qui ont coûté des buts, faute d'avoir été effectués dans les temps et qui ont empêché les joueurs de trouver leurs repères sur le terrain. L'acharnement des Tunisiens à se défaire le plus vite possible du ballon s'est traduit par cette avalanche de buts que les défenses tunisiennes n'ont jamais enregistrée depuis très longtemps. Le minimum de bon sens aurait soufflé à nos joueurs, mal encadrés, sur et en dehors du terrain, de conserver la balle, pour en priver leurs adversaires euphoriques et non de monter à l'assaut à l'aveuglette face à des défenses bien en ligne et efficaces. L'année de référence C'est ainsi qu'au Mondial 2005, la référence pour le handball tunisien qui a réussi à conquérir une quatrième place dans la hiérarchie de la «petite sphère», la Tunisie a encaissé, en première phase, 118 buts et en a marqué 159. En 2009, la défense tunisienne a encaissé 153 buts et en a marqué 143. En 2013, elle a encaissé 123 et en a marqué autant. En 2019, elle a concédé 147 buts et n'en a marqué que 133. Ces données, fournies à titre d'information, confirment que lorsque la défense va (en 2005), l'attaque suit, étant donné la confiance que procure cette stabilité arrière. La qualité des joueurs, leur concentration, leur lecture du jeu et bien entendu les longues répétitions et la rigueur de l'entraîneur ont favorisé cette maîtrise. A l'issue de cette débandade cruellement vécue en ce Mondial 2019, les Tunisiens ont compris leurs douleurs avec des défaites qui en disent long sur le handicap que représente le fait de disposer d'une équipe dont les éléments évoluent en dehors du territoire national et qui se présentent dans la peau d'«élus» venus pour conquérir le monde. Un équipe comme l'Espérance ou l'Etoile Sportive du Sahel se serait mieux défendue et n'aurait jamais laissé ces espaces au centre de la défense. Des bêtises que Norvégiens, Danois, Suédois, Magyars ont exploitées, avec délice. Absence de travail spécifique Cela revient à dire que la préparation ne se fait pas avec les seuls tournois et matchs amicaux, mais en dehors, lors des entraînements, des répétitions inlassables et des séances spécifiques. Les tournois c'est l'application et l'observation pour corriger et examiner les moyens de colmater les insuffisances. Une fois la compétition engagée, il est difficile de corriger certaines insuffisances qui demandent du temps et une acquisition d'automatismes qu'on ne peut acquérir par les hurlements lancés du banc de touche. Les bons défenseurs qui ont écrit les plus belles pages de l'histoire du handball national ne sont plus là. Ces défenseurs qui réagissaient au quart de tour et que l'on craignait pour leur lecture du jeu et le sens de l'anticipation. Ceux qui sont présents sont sans doute capables de faire mieux, mais il leur faut travailler ensemble bien plus longtemps. Au vu de la situation géographique des uns et des autres, il s'avère difficile de créer cette coordination et ce sens du soutien et de la couverture qui doivent motiver les joueurs. Un creuset intarissable Dans l'équipe de Tunisie il y a sans aucun doute de très bons joueurs. La preuve, ils sont sollicités par des équipes qui ont leur poids sur l'échiquier international. D'ailleurs la Tunisie est la seule équipe au monde à avoir deux «sept» représentatifs : le sien et celui formé par d'autres joueurs tunisiens engagés sous la bannière d'un autre pays qui les a pris à son service pour monter sa formation représentative. Le Qatar compte pas moins de sept éléments portant la double nationalité : Hamdi Miled, Anis Zouari, Nidhal Aissi, Ouajdi Senan, Alaeddine Ben Rached, Gharras Mustapha, Y. Ben Ali. «La Presse» en son temps, et à l'issue d'un mondial cadets que nos jeunes joueurs avaient dominé, avait prévenu qui de droit qu'ils étaient courtisés et qu'il fallait savoir les garder. Rien n'a été fait. Indépendamment de cela, certains n'ont plus leur place au sein de l'équipe. Un Jallouz, absent, sans ressort, complètement perdu sur le terrain (c'est malheureusement l'impression qu'il donne), n'est plus cet élément qui faisait la différence au moment où il le fallait. Nous espérons qu'il reviendra à son meilleur niveau. D'autres sont restés à Tunis. Il n'en demeure pas moins qu'étant donné l'évolution du handball mondial, la rigueur de plus en plus pesante des défenses, il fallait travailler la technique individuelle et la variation des tirs. Bennour blessé, l'équipe a perdu de son mordant et étant donné que personne n'était à la relève, il a fallu se contenter des moyens du bord. Le travail des ailiers (avons-nous de véritables ailiers ?), notre seule chance face à des équipes qui possèdent de bons gardiens et en l'absence de véritables tireurs de loin, a été marginalisé. Nous ne pourrons jamais revenir au haut niveau sans élargir le champ du choix des joueurs. Ceux qui sont partis sous d'autres cieux, barrés pour des raisons que nous ignorons, nous interpellent. Et qu'on ne vienne pas nous dire que seul l'aspect financier a joué dans ce choix. Lourde responsabilité Le sélectionneur porte également une lourde responsabilité. Ceux qui l'ont choisi sont les principaux coupables aussi bien au niveau du ministère que de la fédération. Il aurait dû faire part de ses besoins et ne pas se contenter d'attendre le retour des expatriés pour composer son équipe. Les assurances qu'il a bien voulu donner se sont avérées loin de la réalité. Son équipe n'était pas prête. Il n'a rien d'un bon meneur d'hommes et les changements à la limite intempestifs opérés, image de son désarroi, ont complètement déstabilisé le groupe. Ce qu'il a fait aurait pu être accompli par n'importe quel entraîneur de club tunisien, avec les bêtises en moins. Il y a beaucoup de choses à revoir, car le handball tunisien avec le potentiel dont il dispose ne peut se satisfaire d'un simple titre continental, ou de figurer dans la deuxième douzaine de la hiérarchie mondiale. La compétition nationale, l'encadrement de l'élite, les choix spécifiques sont des priorités à revoir. Et ce ne sont ni les envolées lyriques des uns ni les rêveries des autres qui pourraient assurer le contraire.