Quelque 1.500 artisans et surtout artisanes investissent les divers espaces de la 36e édition du Salon de la création artisanale organisée par l'Office national de l'artisanat (ONA), du 22 au 31 mars, au Parc des expositions du Kram. En effet, la présence des femmes conceptrices, productrices et commerçantes de l'objet artisanal y est comme toujours remarquable. Reportage. Elles dominent par leur dynamisme et leur créativité tous les espaces du Salon : Concours de la création, Inspiration, Olympiade sur mosaïque, Nouveaux promoteurs…Ainsi que l'espace commercial organisé par groupes de métier : l'art de la table : décoration intérieure et extérieure, meuble artisanal, tapis et tissage, senteurs et saveurs. Normal, 80 % des artisans en Tunisie sont des artisanes, selon les derniers chiffres de l'Office national de l'artisanat. Les coups de cœur que nous avons eu sont très nombreux. Ils nous ont menés systématiquement vers des femmes. Des rurales comme des citadines. Des designers innovantes comme des artisanes de l'utilitaire et de l'objet fabriqué selon la tradition de mère en fille. Sabiha, Rebh, Fatma, Khadija… les potières de Sejnane En novembre 2017, et grâce à la mobilisation sans relâche de notre ambassadeur à l'Unesco, Ghazi Ghrairi, la poterie de Sejnane a été classée patrimoine universel et immatériel de l'humanité. Mais la plupart des potières de Sejnane, malheureusement très peu lettrées, à qui le Salon a réservé un immense espace, ne s'en doutent même pas. Elles sont invitées en masse cette fois-ci et dans leur drapé traditionnel (mélia) et exposent à la vente un immense bric-à-brac d'ustensiles de cuisine, d'animaux, d'objets de décoration. Leur savoir-faire mérite un peu plus d'attention, de valorisation et d'encadrement pour être à la mesure de ce classement mondial. Du côté de l'espace-musée, une exposition est consacrée à la poterie des femmes rurales. On y tombe sur des pièces vieilles de plus de 20 ans. Nedra Naffeti, responsable de l'exposition explique : «Par rapport aux autres villes et villages comme Barrama ou Makthar, la région de Sejnane se démarque par une décoration riche s'inspirant surtout de l'environnement paysan local mais aussi de l'influence des civilisations et tribus ayant antérieurement habité le lieu. Des ornements à l'aspect primitif rappellent les tatouages des peuples berbères, des formes géométriques, des dessins comme le chameau ou le poisson, des signes qui remontent aux périodes lointaines de l'histoire de la Tunisie». Hela Chadi, la magicienne du «malti» La démarche de Hela Chadi, brodeuse, se démarque par son originalité. Elle consiste, dans cet art, à détourner un matériau pauvre, le tissu malti, une sorte de toile rustique, en le transformant au gré de sa fantaisie et de son humeur en plusieurs gammes de produits. «La couleur blanc cassé et le côté brut du «malti» me plaisent infiniment. Je cherche à donner une noblesse à ce tissu avec lequel on confectionne généralement les housses des carcasses de divans, un tissu jamais mis auparavant au premier plan », soutient l'artisane. Au début, expérimentant cette technique pour son usage personnel, elle voit la demande augmenter pour ses pochettes, nappes, trousses. Elle en fait alors son gagne-pain et decline la collection en rideaux ornés de minuscules losanges en crochet, en chemins de tables, en fonds de plateaux et en nappes et napperons aux mille et un pompons. Férue de petits détails, l'artisane pare ses articles de broderies inspirées d'arabesques puisées dans le patrimoine de la ferronnerie d'art. Avec Hela Chadi, la frontière entre art et artisanat s'estompe allègrement. Monia Rassaâ, designer de l'argile et du feu « Depuis que j'ai touché à l'argile, je ne l'ai plus quittée », ainsi s'exprime Monia Rassaâ, designer et enseignante sur une passion qu'elle commence à explorer dès la moitié des années 80 après des études de design produit. La designer commence à exposer dans les galeries, puis revient à une filière moins élitiste pour mettre ses créations à la portée de tout le monde. D'autant plus que c'est d'un patrimoine populaire qu'elle s'inspire. Monia Rassaâ se penche, depuis quelque temps, sur un vocabulaire de répétition des signes, caractéristique, dit-elle, du décorateur musulman, pour créer la variation d'une pièce à une autre. Les dernières collections de la designer très colorées évoquent les splendeurs des palais beylicaux. Des cruches, des vases, des bouteilles, des tonneaux en céramique fleurie à la manière des carreaux des luxueux bâtiments ottomans bâtis dès le dix-septième siècle à Tunis et ses environs sont arborés par Monia Rassaa lors du Salon de l'artisanat. Son stand ne désemplit pas et ses adeptes se multiplient au gré des éditions du Salon de la Création artisanale.