"L'Ouest se meurt, l'Est de l'Europe est orphelin" titrait il y a quelques jours le quotidien d'information et d'opinion roumain România Libera. Le ton est frontalement amer, sans ambiguïté : "Bonjour et bienvenue au XIXe siècle ! A partir d'aujourd'hui, le premier jour du sommet "historique" de l'Otan à Lisbonne, nous sommes dans une autre réalité et une autre époque géopolitique. Le sommet est "historique", mais il l'est pour d'autres raisons que celles évoquées par les officiels de l'Otan et les dirigeants politiques. Il ne s'agit pas de l'inauguration d'une nouvelle Alliance, plus efficace, plus souple — comme cela est écrit dans les documents de promotion de l'événement — mais bien de la reconnaissance officielle du décès de "l'Occident" en tant que concept stratégique et militaire, et de la transformation de l'Otan en un club politique UE-Russie, avec la participation extraordinaire des Etats-Unis". En fait, il en est des Roumains et de la Roumanie comme d'autres pays de l'Europe de l'Est. Ils découvrent, à leurs risques et périls, l'aberration et les sérieux aléas d'une posture consistant à chercher leurs alliés très loin et leurs ennemis à proximité. Il n'est en effet un secret pour personne que l'armée géorgienne, pulvérisée en un éclair par les troupes russes début août 2008, est encadrée et équipée par les Etats-Unis d'Amérique. Croyant bien faire, ces derniers ont tissé au cours des dernières années une toile d'alliances secrètes et déclarées aux flancs mêmes de la Russie. Pis, dans ses anciens prés carrés. L'US Army a ainsi investi des avant-postes aux marches de la Russie. Elle y a accédé moyennant des changements politiques ardemment soutenus par Washington. Tel fut le cas des révolutions dites colorées : la révolution des Roses en Géorgie en 2003, de la révolution Orange en Ukraine en 2004 et la révolution des Tulipes au Kirghizistan en 2005. La Russie a observé. Et la Russie a puissamment agi dès lors qu'elle en a ressenti l'impérieuse nécessité. En même temps, le duo de choc sous des apparats cotonneux Medvedev-Poutine s'est déployé à l'endroit de l'Otan. Il y a mis du charme et miroité de mirobolants miroirs aux alouettes. Objectif, faire partie de la grande famille élargie du pacte atlantique. Et faire étinceler aux yeux des Européens, en contrepartie, les facilités d'accès au gaz et aux matières premières bon marché. Et le duo Poutine-Medvedev semble avoir visé juste. Il a surfé sur les frictions occidentales tues mais non moins profondes. En effet, les guerres d'Irak et d'Afghanistan ont exacerbé les tensions et creusé le fossé entre les Etats-Unis d'Amérique et leurs alliés européens. Une partie de ces derniers, aux prises avec des opinions publiques exsangues et revêches, traîne la patte. L'autre partie s'est avérée impuissante à contribuer à la stabilisation en Irak ou à la victoire contre les redoutables talibans en Afghanistan. Les commentateurs et analystes de l'Europe de l'Ouest citent fréquemment depuis quelque temps l'étude publiée il y a peu par l'European Council on foreign relations. Il y est question d'une nouvelle architecture de sécurité européenne moyennant un dialogue trilatéral UE-Russie-Turquie. Lesdits analystes décèlent les prémices de cette nouvelle architecture sécuritaire dans l'invitation adressée par le sommet de l'Otan de Lisbonne à la Russie de se joindre au bouclier antimissile. Pour l'éditorialiste de România Libera, "ça serait une ironie de l'histoire de voir qu'après nous être débarrassés des troupes russes du temps du communisme, les militaires russes reviennent sur le territoire roumain en tant que "conseillers" pour l'installation du bouclier auquel ils sont invités à participer". En fait, l'histoire a de ces retournements! Souvenons-nous. A l'issue du Traité de Bruxelles du 17 mars 1948, l'Europe unie s'était aperçue de son extrême faiblesse. L'Union soviétique d'alors et ses alliés d'Europe de l'Est alignaient quelque trois cents divisions. En face, l'Europe occidentale paraissait désarmée. Un éminent chef militaire occidental d'alors a dit : "En cas d'agression, nous ne pourrions que tenter de créer un maquis". On prévoyait même des plans d'évacuation jusqu'aux Pyrénées, une nouvelle occupation de la France et sa libération désastreuse à coups de bombes atomiques. L'Amérique a été appelée à la rescousse. Le Traité du Pacte atlantique fut précisément signé le 17 mars 1948 par les USA, la France, l'Angleterre, le Canada, et le Benelux. Aujourd'hui, ce sont des pays de l'Est européen qui s'aviseraient tout au plus "de tenter de créer un maquis". Avec la même constante européenne, consistant à chercher les alliés très loin et les ennemis tout près. Ce qu'on omet le plus souvent de reconnaître en fait, c'est que la Russie est un pays essentiellement européen. Alors que l'Amérique est, par définition, américaine.