Par Emna JEBLAOUI (Universitaire) Loin de nous l'idée de mettre en valeur l'ère préislamique polythéiste à travers ce billet : le propos est juste inviter les curieux à explorer une culture qui a été en partie un terreau sur lequel s'est construite la civilisation islamique. Une généalogie des mythes de l'Arabie est un voyage enrichissant qui nous rappelle que nous pouvons découvrir avec beaucoup d'intérêt une mythologie riche, qui a eu son impact sur l'imaginaire, sur la langue, sur les métaphores poétiques des belles lettres arabes. Des belles lettres qui ont séduit l'Humanité et que l'on a tendance à délaisser en cette époque de culture mondialisée. Peut-être serions-nous fondés à revaloriser cette poésie et cet imaginaire, à les proposer comme une de nos présences, de nos moments de grâce en ce monde. Ce patrimoine immatériel est un droit culturel fondamental à défendre et à célébrer de nouveau auprès des enfants de cette culture et auprès des autres. La richesse de notre imaginaire mythologique revisité par l'anthropologie ou par les arts ou tout autre forme de savoirs ne peut qu'amener l'Autre à reconsidérer le regard qu'il porte sur une civilisation qui la rend proche par son passé ancien. Cette archéologie opérera comme un exercice salutaire. Zoolâtrie pré-monothéiste Parlant des animaux et emblèmes aquatiques dans le chapitre V sur les eaux et le symbolisme aquatique, Mircea Eliade nous explique dans son Traité d'Histoire des Religions que «les dragons, les serpents…sont infusés par la force sacrée de l'abîme… contrôlant ainsi la fécondité du monde». Ces animaux sont alors tantôt adorés, tantôt sacrifiés comme des porteurs d'une sacralité évidente. En effet, en Egypte ancienne il y avait par exemple, non loin des abattoirs, des scènes «liées à l'apport de bovidés et gazelles». Le peuple amorrite dans le panthéon du Proche-Orient ancien a de son côté adoré la divinité mésopotamienne Addu, mais aussi Amurru, souvent considéré comme le dieu des nomades amorrites qui avoisinent les sédentaires sumériens. Son attribut était une gazelle, laquelle renvoie à la vie nomade des peuples de la steppe, dont l'économie repose sur la chasse. Si nous creusons un peu plus l'exemple de la gazelle comme idole et comme objet de culte, nous faisons la rencontre à la fois reposante, dépaysante et, nous serions tentés de dire addictive, entre la gazelle des Sumériens et celle des peuples d'Arabie. Les deux gazelles en or Voici un autre récit ayant fait l'ornement des Jardins de la péninsule arabique. Il est puisé dans les sources de la littérature arabe des tout débuts de l'Islam et repris par le poète palestinien Mahmoud Salim Al-Hout dans son ouvrage consacré à la mythologie arabe. Ce paragraphe choisi et traduit se propose de capturer le très intrigant mythe des gazelles en or. «… Si Asaf et Naela sont des idoles en pierre représentant à Jorhom des figures humaines, la tribu de Jorhom avait aussi d'autres idoles, dont deux gazelles en or. Nous ne connaissons pas la nature de ces idoles; nous ne savons rien sur leur nature ou sur les rites qui leur étaient consacrés. Tout ce que l'on a trouvé dans les récits de la vie du Prophète et dans les chroniques de la Mecque était cet épisode selon lequel ‘Amrou Ibn Harith Ibn Madhadh al-Jorhoumi, après que Khouzâ'a a chassé Jorhom de la Mecque, prit les deux gazelles de la Kaaba lors d'une nuit bien sombre et entreprit de creuser au fond de Zamzam — qui était un puits sec à l'époque — où il enterra alors les gazelles avec d'autres choses, également ensevelies. Elles restèrent enfouies là jusqu'à ce que vint Abdul Muttalib. Il fit creuser «Zamzam» de nouveau. Là il trouva les deux gazelles avec des épées et des boucliers. Quand Quraysh demanda ce trésor pour avoir sa part, on fit une demande de partage à la divinité «Houbal» : alors les flèches firent échoir le lot des deux gazelles pour la Kaaba et celui des épées et des boucliers à Abdul Muttalib, qui en fit don pour orner le portail de la Kaaba. Ce fut alors, selon la légende, les premiers objets en or avec lesquels on a paré celle-ci.» Voilà une Arabie assez inattendue, assez inconnue, qui s'offre à l'imaginaire...