L'art est avant tout une activité humaine. En tant qu'être humain, nous sommes donc concernés par le produit de cette activité, ou quand bien même l'idée que l'on s'en fait. S'adressant délibérément aux sens, aux émotions et à l'intellect, une réflexion abordant la pratique artistique peut soulever multiples «soubresauts» d'ordre mental: pensée, aspiration, désir, rêverie, imagination, voire utopie. Toujours une vision qui tend, délicatement, vers une évasion. C'est pour essayer de satisfaire une semblable nécessité intérieure, où vivent conjointement perspectives et points de vue, corps et âme dédiés à l'amour de l'Art, que notre nouvelle rubrique «Une idée autour de l'Art» se propose d'exister. En fuyant d'abord et avant tout l'unification conformiste «Une idée autour de l'Art» se forme sur le siège de questionnements, d'interrogations et d'exclamations. Lecture, interprétation, analyse, critique, autocritique, ou simple constat, notre rubrique se veut une fenêtre sur le vacarme existentiel qui nous habite. Un mot, une odeur, une musique, une impression, un regard, une posture… le point de départ et déclencheur pour la réflexion ne sera pas forcément inscrit dans une systématique donnée. Il sera libre, à l'image du souffle qui l'anime. Alors, quoi de plus adéquats comme thèmes inauguraux que les concepts d'improvisation et de risque en art ? Ils régissent réciproquement et de manière fusionnelle chaque action artistique qui prend bien souvent ses sources dans un moment d'irruption, micros moments d'inattendu, tout en «flirtant» consciemment ou inconsciemment avec cette idée de risque sous-jacente. La naissance et/ou la mise en abîme d'un art (x) ne prend sa forme qu'au sein de leur intervalle, entre ses deux «pôles» qui s'aiment et se repoussent. Il y a comme un conflit, conflit instaurateur et instauré entre improvisation et risque, où s'opère la figure artistique, certainement dans une émotion pour devenir ensuite langage. Un lieu dit pour un acte possible, et qui ne l'est paradoxalement qu'en étant involontaire. En effet, l'acte «actium» est tel une écriture personnelle qui trouve sa typographie dans l'impression et non pas dans la fixation. N'est-ce pas Roland Barthes, sémiologue et penseur pluridisciplinaire, qui, dans son ouvrage La Chambre claire (par analogie à la chambre noire du photographe), s'essaye justement à saisir la photographie à partir de l'écriture d'impressions personnelles, ces dernières porteuses, génitrices et créatrices de l'œuvre? L'impression y est vue comme une extrême sensibilité de l'improvisation, jusqu'à devenir une irruption. L'impression et l'irruption se chevauchent toutes les deux; nous dirions même qu'elles galopent ensemble, dans le sens où elles vont au même rythme de trot. D'abord dans la récolte, ensuite dans la semence, elles donnent vie et pleinement sens à la prise de risque dans l'œuvre d'art. Comme l'a fait un certain John Cage (1912-1992), compositeur, plasticien et poète contemporain d'origine américaine, avec son œuvre référence 4'33'' (1952), sorte de partition de musique «outrageusement» avant-gardiste qu'il a composé lui-même. 4'33'', comme quatre minutes trente trois secondes de …silence. Une partition écrite pour le pianiste David Tudor qui, le 29 août 1952, sur la scène du Maverick Concert Hall de Woodstock à New-York, entre devant un public en quasi attente d'écoute, s'assoit au piano et reste immobile en gardant les mains au-dessus des touches de l'instrument. Après 4'33'', il ferme le couvercle du piano, se lève, salue pour confirmer que le morceau avait été joué, et part. Pourtant, aucun son n'était sorti. Sauf ceux de l'environnement dans lequel siégeait le public. Bruits involontaires : respirations, chuchotements, bruits de chaise, de pieds… John Cage voulait que ces agitations, bavardages et bruitage hasardeux soient considérés comme étant la partition de musique pour ce morceau. Ce morceau, en réalité plus une expérimentation ou manipulation sonore concrète, se veut être une remise en question de la notion même de «musique», «faire de la musique sans faire de la musique». Cage considérait que «le silence est une vraie note», et il a eu l'ambition de dépasser ce qui est réalisable sur un morceau de papier, en laissant la part totale à l'aléatoire : l'irruption de l'imprévisible. Les bruits du hasard, donc totalement réfléchis sur et autour de l'improvisation, font œuvre. Une œuvre magistrale, certes controversée, mais qui représente pour l'histoire de l'art contemporain une œuvre magistrale. Une sorte de ready-made à la Marcel Duchamp, quarante années après. Alors, comment et jusqu'où un musicien, et par extension un artiste, peut-il lire pour interpréter un instant artistique construit sur l'improvisation ? C'est peut-être en ayant la réponse que nous pourrions nous éloigner de la possibilité de faire œuvre. Du moins dans ce sens, défendre «l'étant essentiel», selon la phénoménologie Heideggérienne, et non pas l'apparent fictif comme se sont plus ou se plaisent à le faire nombre d'artistes, qui finissent toujours par tomber dans un mensonge systémique et systématique.