Peut-on affirmer que l'an 2011 marque le passage de l'unilatéralisme à l'ère de “l'interdépendance” ? Que faut-il penser de ce diagnostic émis dans certains think tanks ? A l'appui de cette thèse, les observateurs rappellent volontiers la remise en cause de la politique d'intervention du Président Bush fils, les ambitions du G20, aux dépens de “l'hyperpuissance”, les velléités d'isolationnisme du public américain, sérieusement affecté par la crise et pratiquement l'échec de la politique du Président Obama, au Moyen-Orient, par “la logique de coercition” israélienne. Mais peut-on ignorer que le processus d'interdépendance s'est développé dans le cadre de la mondialisation, du moins dans ses dimensions économiques et médiatiques, sans constituer cependant un idéaltype formel de relations internationales ? Objet de consensus, nous vivons en fait une ère de transition géopolitique majeure, annoncée par les événements fondateurs évoqués. Peut-on parler de nouvelles hiérarchies de domination et de dépendance, qui coexistent dans l'interdépendance ? Quel est le rôle de la rupture stratégique actuelle, caractérisée par la restructuration de la carte géopolitique, avec l'entrée en scène de nouveaux acteurs, sur les guerres régionales à portée mondiale : la question palestinienne, la menace d'une intervention contre l'Iran, les affrontements possibles dans la péninsule coréenne etc. ? Une interdépendance asymétrique : de nombreux analystes estiment que l'interdépendance est en train de devenir la norme dans les relations internationales. Ainsi mis en valeur, le concept définit l'ensemble du système international, par la situation de dépendance mutuelle croissante, qu'elles soient symétriques ou non, et quel que soit le degré de réciprocité de cette relation. La donne politique se conjugue désormais, de plus en plus, avec la situation de dépendance économique mutuelle, conséquence de la mondialisation. Analysant les théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité, Charles-Philippe David et Afef Benessaieh concluent hâtivement que l'interdépendance contribuerait à solutionner en grande partie les problèmes de sécurité (études internationales, 1997). Robert Keohane et Joseph Nye avancent une vision plus affinée. Ils préfèrent plutôt évoquer ce qu'ils appellent “l'interdépendance complexe”, qu'ils identifient par ses traits distinctifs (participation des acteurs non-étatiques, absence d'une hiérarchie claire et prédéfinie des enjeux, rôle moins important de la force armée). Sans disparaître systématiquement, les guerres internationales peuvent augmenter en prenant des formes nouvelles, surtout dans le cas d'une interdépendance asymétrique forte. Or, l'interdépendance n'exclut pas les velléités d'hégémonie, les logiques de coercition, l'autodéfense nationale (le cas palestinien) et derrière les raisons morales affirmées, les calculs stratégiques, les alliances privilégiées et les intérêts économiques underground. Au mieux, peut-on rejoindre les vues de K. N. Waltz et affirmer avec lui que l'interdépendance crée les conditions d'une “vulnérabilité mutuelle, symétrique ou non”. 2011, l'année de tous les risques ? Sans contester l'avènement de l'interdépendance comme donnée dominante, régissant les relations internationales, nous ne pouvons guère occulter les risques de guerre qui remettent en cause l'idéaltype de paix et de concorde entre les nations : Le blocage du processus de paix en Palestine et la persistance de l'occupation s'inscrivent dans la politique coloniale, qui réactualise les discours impériaux, la politique de l'apartheid et le statut de l'indigénat. Le nouveau monde, “l'ère des libertés” s'accommode de cette situation anachronique. Ne sous-estimons pas la frustration qu'elle génère dans le monde arabe et musulman. La tolérance internationale et l'indulgence suscitent une montée des périls au Moyen-Orient et remet en cause les ambitions du Président Obama et sa volonté d'établir les conditions d'un partenariat stratégique réellement assumé par les populations de la région. Une nouvelle expédition contre Gaza est annoncée. Dans cet environnement de tension, la guerre d'Afghanistan, une grande épreuve et une impasse stratégique apporte chaque jour son lot de morts, dans les deux camps. Fût-elle déclarée comme une “guerre altruiste”, elle assura le développement du terrorisme, dans le cadre des affrontements asymétriques. Son extension au Pakistan risque de mettre en question la stabilité régionale, bien au-delà des foyers de sa genèse. Les risques d'une guerre contre l'Iran aura des effets inéluctables sur l'ensemble de la région. Peut-on dire, en adoptant l'approche de Robert Keohane et Joseph Nye, qu'elle serait si coûteuse, qu'une stratégie militaire serait un acte de désespoir. Ne sous-estimons pas, par optimisme, les possibilités de dérives passionnelles des opinions publiques, alors que l'Etat israélien attise le feu, pour détourner l'opinion de sa gestion coloniale. Montée des périls, dans la péninsule coréenne, dans la logique de la guerre froide. Peut-on envisager un dépassement des opérations ponctuelles, sans l'accord de la Chine, hostile à l'affrontement dans la région ? L'interdépendance économique, à son ordre du jour, fait valoir les priorités non-guerrières, dans le cadre des nouveaux termes de la compétition. Mais ne perdons pas de vue, que les Etats, quels que soient les niveaux de leurs puissances, n'hésitent pas à remettre en question des choix stratégiques ou des accords qu'elles estiment ne plus correspondre à leurs intérêts. C'est ainsi que s'écrit l'histoire.