Œuvre de science-fiction, Fahrenheit 451, le roman de Ray Bradbury porté à l'écran par François Truffaut, en 1966, semblait sonner le glas du livre. La scène fondatrice de l'autodafé du livre, dans la société de demain, lui permet de dénoncer les risques de l'ère technologique qu'il anticipait. Est-ce que ce futur possible que le roman explorait et évoquait comme une probabilité est devenu la réalité des temps nouveaux ? Sérieusement concurrencé par les nouveaux médias, le livre est désormais à la recherche de ses lecteurs. Peut-on parler d'un repli culturel, conséquence de velléités d'analphabétisation de la société post-moderne ? Serait-il plus approprié d'évoquer plutôt une multiplication des supports des connaissances et des communications, mettant fin au monopole historique du livre? La révolution Gutenberg a marqué le passage du manuscrit à l'imprimé. La révolution technologique actuelle inaugure l'ère du numérique, qui prend en charge les différentes créations intellectuelles et artistiques. Faut-il s'en offusquer de cette adaptation du lecteur aux nouvelles procédures d'enregistrement et de diffusion de la culture d'aujourd'hui? "Nous sommes déjà des hommes nouveaux" ? : Nous empruntons à Antonio Negriet à son ami américain, Michael Hardt, leur définition de la nouvelle aire monde, décrite comme un «espace de domination, “déterritorialisé”, à la fois lisse et sans frontières, où la folle circulation du capital rend caduques les anciennes souverainetés étatiques, qu'ils ont baptisé "Empire"» (Jean Birnbaum, Le Monde des Livres, du 12 juillet 2007). Sous l'effet de son intégration économique, que les deux analystes surdimensionnent, la culture dominante assure «le triomphe d'une forme de travail de plus en plus “cognitive”, c'est-à-dire immatérielle et communicationnelle». «L'homme nouveau», selon le concept d'Antonio Negri,sera porté à utiliser les nouveaux médiums que la société de l'information met à son service. Nous pensons, quant à nous, que l'usage de nouveaux instruments de communication, de nouveaux supports, qui nécessite des adaptations régulières, des processus d'apprentissage et d'initiation, qui peuvent révolutionner les disciplines pédagogiques, ne peuvent dénaturer son essence. C'est la loi de l'évolution générale, des us et des coutumes, des conditions de vie, d'échange et de création intellectuelle et artistique. L'homme «social par nature» est à l'école universelle, qui a ouvert ses horizons à l'espace-monde. Dure leçon de l'histoire, toute société qui clôt son processus dynamique, pour des haltes, des pauses ou des arrêts statiques, s'engage dans sa phase de régression et se laisse distancer par ses partenaires. L'ambition créatrice incite à s'adapter à cette mutation, à l'évaluer, à faire bon usage de ses instruments, à être à l'ordre du jour de la nouvelle culture, pour assurer le croisement nécessaire de ce qui relève du patrimoine et de ce qui s'acquiert par l'ouverture de l'horizon. Il faut réaliser patiemment et régulièrement la conquête et la maîtrise des nouveaux instruments de création et de communication. Et pour quoi pas ne pas s'intégrer au processus général de recréation du langage d'aujourd'hui? Transgresser la géopolitique asymétrique dominante: La mondialisation culturelle, qui évolue simultanément avec le processus géo-économique de la globalisation, vu leur interrelation évidente, s'inscrit dans la géopolitique asymétrique dominante. Ce dépassement de la culture du terroir et cette transgression des aires civilisationnelles — signes d'un progrès incontestable et conséquence logique de la dynamique sociétale — ouvrent l'horizon à tous les vents contraires. Enrichissement certes, mais aussi compétition, hégémonie. Une étude objective atteste, s'il en est besoin, une participation différentielle à la culture nouvelle. L'accès aux «nouvelles technologies» et l'entrée dans la société de l'information ne sont, certes, plus le monopole des pays nantis. Mais la démarcation concerne davantage la répartition des tâches entre producteurs et simples usagers et le niveau de participation à la production numérique. Bouleversant le mode de fonctionnement sociétal, ces nouvelles «forces productives “numériques”, immatérielles, créatives, culturelles, intellectuelles» — nous empruntons cette identification à Jean Zin — jouent leurs rôles, dans la société du savoir, dans l'économie émergente contemporaine et à son avant-garde fondée sur l'immatériel. Elles agissent sur notre mode de vie, par l'information-flux qu'elles propagent, les transferts qu'elles opèrent. Ne sous-estimons ni les opportunités d'enrichissement, ni les potentialités d'occultation, qu'une vision-monde uniformisée implique. Ces nouveaux flux qui sont des vecteurs de changement, qui structurent nos représentations, participent à la configuration de la nouvelle culture. Notre mobilisation collective, pour l'appropriation, par nous tous, des médiums des temps nouveaux, moyens de communication et facteurs de changement, nous permettrait de participer à l'élaboration de la nouvelle culture, dans son acception globale et dans son essence intégrative.