Mondialisation et fermeture de l'horizon, nous vivons, semble-t-il, l'ère des paradoxes, c'est-à-dire la “présence de deux propriétés mutuellement exclusives dans un phénomène”. Comment signifier autrement l'entrée spectaculaire dans les réseaux sociaux, la domination de l'Internet et ses applications annexes et l'apparition des phénomènes de rejet de l'autre, celui qui n'appartient pas à votre culture, à votre religion ou à votre ethnie. Fussent-elles des cas de dérives exceptionnelles, les attaques des lieux de culte, les culpabilisations des minorités religieuses ou linguistiques nous appréhendent et nous inquiètent. Comment interpréter autrement cette régression de la civilisation au XXIe siècle ? A l'ère des grands progrès scientifiques, ces opérations qui tentent de réactualiser les guerres de religions et rappellent des temps révolus attestent, tragiquement, les faiblesses de l'esprit humain de leurs auteurs, pis encore de leurs commanditaires et plus précisément leur manque de discernement. Comment admettre ce retour à la Jahiliya, l'ère-anté-islamique que l'Islam a bel et bien transgressée, dénoncée et condamnée ? La tragédie d'Alexandrie heurte l'opinion commune. Elle représente une situation-limite, un acte intolérable, car elle a pour objectif diabolique de remettre en cause “le vivre-ensemble”, cet idéaltype que l'humanité a patiemment forgé au cours des siècles. Rien ne permet de comprendre cet acte qui déroge au droit commun, rien ne permet de pardonner de tels crimes. A l'épreuve de l'événement, notre aire arabo-musulmane doit énergiquement annihiler ces scories de la pensée rétrograde, de la culture de la jungle, des guerres tribales, ethniques ou religieuses. Comment tolérer ces velléités de mettre en échec le processus d'émancipation vers un mieux-vivre, notre “ gage d'humanisation ”, notre paradigme de progrès et son corollaire d'une pensée intrinsèquement liée aux références éthiques qui identifient l'homme comme valeur fondamentale dans le vivre-ensemble. Dans un monde qui se soucie de promouvoir “une philosophie sans frontières”, un universalisme de droits, une éthique de solidarité internationale, ceux qui veulent pêcher dans les eaux troubles doivent être mis en situation de hors jeu. Situation moins grave mais surprenante, un ministre libanais veut interdire les ventes immobilières entre chrétiens et musulmans. Cette position fut considérée comme "une réaction outrancière à une situation inacceptable", soi-disant pour arrêter une campagne d'achat systématique, car elle "relance un débat communautaire inutile pour le pays qui est déjà sous tension ". Cette position discriminatoire, au Liban, qui a pris audacieusement le pari du vivre ensemble, ne peut être tolérée. Rien ne doit, d'autre part, encourager la création d'un environnement susceptible de favoriser un processus quelconque d'émigration des chrétiens du Moyen-Orient, qui l'appauvrirait dangereusement. N'oublions pas le grand apport des Libanais chrétiens à la renaissance de la culture arabe, l'apport des Palestiniens chrétiens à la défense de la cause nationale et le rôle incontestable de l'élite chrétienne en Egypte, en Irak et en Syrie. Toute politique d'ostracisme remet en cause notre richesse culturelle, notre vision humanitaire et notre quête de sens. Situation d'épreuve, la carte géopolitique du Moyen-Orient doit remettre à l'ordre du jour sa grille de lecture du non-dit. Je citerais, parmi ses tendances, la redynamisation des identités ethniques, aux dépens de l'Etat-nation, la restauration des guerres rituelles, le développement de l'exclusion, l'émergence des dérives, dans le contexte de la culture de la passion et de la violence et la guerre de l'ombre contre les Lumières et le progrès. Une évaluation de la situation permet, certes, heureusement de constater que ces dérives sont des exceptions, qui expriment des positions marginales. Mais une identification rationnelle des stratégies de renaissance et de promotion ne peut tolérer ces tactiques archaïques, dont le processus de désintégration sociétale ne doit pas être toléré.