Le film s'ouvre sur une porte en fer de couleur verte, visiblement celle d'un entrepôt, on entend un bruit d'ouverture, puis un fondu au noir, sur lequel s'inscrit le titre du film : Alliance. Il est suivi d'un gros plan sur une bouche ensanglantée, la caméra remonte ensuite sur le nez, également saignant. Place, ensuite, à un plan d'ensemble où l'on voit un vieil homme, crâne chauve et tête baissée, assis à même l'asphalte. Il vient d'être éjecté par la porte du dépôt. Des gouttes de sang coulent de son visage meurtri par les blessures, maculant son tricot de corps et tachant le trottoir. Il se lève difficilement et longe le mur d'une rue déserte et va son chemin, observant, au cours de ses pérégrinations dans les rues de Tunis, plusieurs scènes de la vie quotidienne… En arrivant enfin à son appartement, le vieillard s'aperçoit qu'il a perdu quelque chose… Mais quoi au fait ? C'est là la fable de Alliance, le premier film de Abdelhamid Bouchnak, programmé lors de la 23e édition des JCC et tout récemment à l'occasion de la manifestation cinématographique «Tunis tout court», organisée par l'Atpcc (Association de promotion de la critique cinématographique) et qui s'est déroulée vers la fin du mois de décembre 2010. Cet opus se distingue par une écriture cinématographique assez originale et moderne où prime l'image qui donne le ton et imprime l'action. Construit comme une boucle qui se referme dans un aller-retour de l'entrepôt au domicile du vieil homme et inversement, l'action se focalise sur le personnage central, témoin de plusieurs scènes de la vie quotidienne, telle celle de «l'homme à la tortue» qui, mendiant une pièce à un conducteur de voiture, reçoit, en guise d'aumône, un crachat dans le creux de la main, il ne restera pas, évidemment sans réaction, la situation dégénère dans une folle course-poursuite. Ou cette séquence représentant deux jeunes jouant au ballon, le premier gracile et alerte, s'amuse à humilier, presque, par ses feintes et son talent son camarade de jeu massif et bedonnant. Ou encore cette scène de ménage où l'on voit une télé jetée du haut d'un balcon, atterrir sur le sol, tandis qu'on entend la voix-off, d'un homme vociférant des insultes à n'en plus finir, et dont l'écho atteint, dans un plan panoramique, les toits de la ville. Le personnage principal est un témoin de sa société, donc un spectateur, mais aussi un acteur, nous ferons plus ample connaissance avec lui, quand il rejoindra l'intimité de son logis. Un travelling avant dans le couloir menant à la cuisine annonce la couleur: le vieil homme, dont on ne connaît ni le nom, ni le prénom, se dirige vers l'évier et humecte d'eau une serviette pour essuyer les blessures meurtrissant son visage. Son double, installé sur le frigidaire, sourit amusé ou plutôt moqueur. Mais ce n'est que dans la chambre à coucher que l'on découvre des bribes du passé de l'homme, dans le miroir où il se mire est disposée une photo en noir et blanc représentant un boxeur, c'est lui. Il enlève son tricot de peau et tient la garde comme pour tester ses réflexes et se remémorer le passé. Il se tâte, s'ausculte, remarquant le passage du temps sur son corps vieilli et son ventre gras. Son double, l'air approbateur, l'observe. Une autre photo, toujours en noir et blanc, nous fait découvrir le visage de l'épouse, visiblement décédée, du vieil homme qui est donc veuf et solitaire, sans autre lien social apparent. Le seul lien, souvenir et attache qui lui restent de sa femme disparue, n'est autre qu'une alliance qu'il avait au doigt et qu'il cherche désespérément. En vain. La perte de ce symbole d'amour et d'union va-t-il pousser le vieux à retourner à l'entrepôt pour se venger ? Sur le chemin du retour à l'entrepôt, le vieux sera, ainsi, le témoin du dénouement des précédentes situations qu'il a observées : à son passage, sous le balcon où il a entendu la scène de ménage, il constatera qu'elle se poursuit et c'est au tour de l'épouse, que l'on voit sortir sur le balcon, d'insulter son mari, lui jetant ses affaires dans la rue. Pour le joueur talentueux de foot, cela s'est mal terminé puisqu'on le découvre comme crucifié sur les barreaux d'une fenêtre, le corps et la bouche bâillonnés. De jeunes talents créatifs qu'on réduit à l'inaction et au silence par la force. Avec l'arrivée au dépôt du vieil homme traînant une barre de fer derrière lui, et dont le bruit sur le trottoir se fait menaçant, la boucle est bouclée : la porte de l'entrepôt se referme sur le personnage à la fois moteur et observateur, mais totalement métamorphosé, l'on saura qu'il est passé à l'acte, répondant à la violence par la violence et se départissant de son humanité quand la caméra se focalise sur des filets de sang qui s'écoulent par-dessous la porte. La vengeance n'est pas montrée, ici, elle est suggérée, subtilement, par un écoulement de sang. Mais au même moment, son double découvre dans la chambre à coucher cet objet du désir, tant recherché… Voilà qui maintient l'espoir de l'union et de la cohésion de la société, malgré la violence et le manque de communication qui l'imprègnent, d'autant que le dernier plan du film représente une tortue, symbole, entre autres, de l'énergie, de la sagesse et de la longévité. Alliance raconte et dénonce, donc, par l'image de manière suggestive, non sans trouvailles judicieuses: le choix d'inscrire en gros caractères le nom de l'acteur principal du film, Mohamed Salah Baraket, sur le mur de la rue où débute l'action, un filmage maîtrisé dans l'ensemble, quelques moments de cinéma, tel celui de la danse du vieux aux abords du balcon et sur le lit, la plongée sur le personnage central traduisant son écrasement, ainsi que les plans sur l'horloge et la machine à coudre, montrant que le temps a tissé son œuvre, car la violence génère la violence. Parmi les ingrédients épicés et fonctionnels de cet opus, la musique originale de Hamza Bouchnak, rythmée, fluide et authentique, quoique nourrie d'influences de musique world et l'interprétation du charismatique M.S.Baraket dont le jeu est d'une grande justesse. Encore un de ces jeunes cinéastes maîtrisant le langage cinématographique, donc tout à fait prometteur.