Par Khalifa Chater La chute du gouvernement d'union nationale libanais (12 janvier 2011) et le référendum sur l'autodétermination au Soudan (10-15 janvier) constituent deux repères de l'actualité arabe. Ils se conjuguent avec les effets récurrents du blocus du processus de paix, en Palestine, dans une conjoncture de tensions au Moyen-Orient. Fait d'évidence, ce contexte réactualise des luttes d'influence sur la scène régionale, en rapport, bien entendu, avec la dynamique interne que la souveraineté populaire ne permet pas d'occulter. L'émergence des divisions ethno-religieuses durant la guerre irakienne et l'état de fait de sécession de Gaza avaient annoncé la mise à l'épreuve de la formule consacrée de l'Etat-nation. Prenons la juste mesure de cette reconfiguration des paramètres et de la nouvelle grille de lecture du Moyen-Orient. Le processus référendaire soudanais, qui annonce l'émergence d'un nouvel Etat au sud, s'inscrit dans cette donne. D'autre part, la discorde entre les protagonistes libanais — une grave mise en cause de la démocratie 'consensuelle' établie par les pères fondateurs — met à rude épreuve l'unité de leur nation. Notons, cependant, qu'il ne s'agit pas, de situations similaires. Les spécificités entre les pays arabes sont souvent occultées par ceux qui font valoir exclusivement l'unité de leur culture, et son processus d'intégration globale, par le référentiel commun. Or, la démarcation se fonde davantage sur la culture politique de ces pays, c'est-à-dire les patrimoines historiques, le vécu national, les discours fondateurs, les défis des contextes. A la charnière des mondes arabo-musulman et africain, le Soudan a été le théâtre d'une longue guerre civile entre le Nord musulman et plus arabophone et le Sud chrétien ou animiste. Par ailleurs, la région du Darfour, au nord-ouest du Soudan, est ravagée depuis le mois de février 2003 par la guerre civile. Le référendum d'autodétermination répondait aux revendications du Sud, qui contestaient la domination de Khartoum. Le jeu d'acteurs, qui se développa dans le contexte de la guerre civile, fut bel et bien redimensionné par l'établissement d'une entente effective en faveur du référendum et un accord sur l'application de ses résultats. Ce climat d'apaisement permettra, souhaitons-le, d'établir des relations de concorde entre les deux Etats et d'établir les alliances naturelles du nouvel Etat, avec à son voisinage, la communauté africaine et l'aire arabe, redimensionnant les alliances et repositionnements de surenchères, évoquées lors de la confrontation. En ce qui concerne la crise libanaise, elle a été précipitée par la démission du camp du mouvement chiite, concluant un bras de fer entre le Hezbollah et le camp de Saâd Hariri au sujet du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Le Hezbollah conteste cette instance judiciaire internationale, formée pour identifier et juger les responsables de l'assassinat du dirigeant Rafic Hariri. Estimant qu'elle cherche à mettre en cause son mouvement, le Hezbollah fait pression sur Saad Hariri, fils de Rafic, pour qu'il désavoue le TSL. A cet effet, les sommets El-Assad/Abdallah à Beyrouth (fin septembre 2010) puis Ryadh (17 octobre 2010), ont permis de réaliser des compromis. Rappelons que l'initiative syro-saoudienne aurait proposé que le Liban désavoue le TSL en échange de garanties du Hezbollah qu'il ne recourrait pas à ses armes contre ses rivaux et qu'il éviterait de paralyser les institutions de l'Etat. Fait significatif, les démissions ont été annoncées, au moment où le Premier ministre Saâd Hariri était reçu à Washington par le Président Barack Obama, qui soutient le tribunal. Ce choc entre les protagonistes libanais s'accomplit sous l'observation plus ou moins intéressée des grands acteurs régionaux et internationaux. Selon des observateurs avertis, le Hezbollah est soutenu par l'Iran et la Syrie, tandis que les Etats-Unis, la France et l'Arabie Saoudite soutiennent le gouvernement de Saad Hariri. Le Liban, éternelle victime de ses divisions, suscite certes des intérêts géostratégiques et les manœuvres conséquentes. Le rejet du compromis, réalisé par l'Arabie et la Syrie suscita une montée de périls, un risque de chaos, sinon une guerre civile, dans une aire d'épreuves. Les entretiens actuels de Damas, entre la Syrie, se proposent de réaliser la réconciliation entre les acteurs. Est-ce que la création de ce «groupe de contact» de la région, composé de pays entretenant des liens particuliers avec le Liban, est susceptible de réaliser une percée diplomatique ? En dépit des relations privilégiées de la Syrie avec les acteurs libanais et du nouveau statut de la Turquie, comme important partenaire stratégique et diplomatique, au Moyen-Orient, la partie est loin d'être gagnée. Suite à la rencontre de Damas, le ministres turc Ahmet Davutoglu et qatari Hamad Ibn Jassem Ibn Jabr al-Thani (Beyrouth18-19 janvier), tentèrent de rapprocher les points de vue. Mais le compromis qu'ils proposèrent, «qui tient compte des exigences politiques et légales pour régler la crise sur la base de l'initiative syro-saoudienne» ne fut pas accepté par le Hezbollah ? Au lendemain de l'annonce par l'Arabie Saoudite qu'elle abandonnait sa médiation avec la Syrie, les négociateurs turcs et qataris durent se rendre à l'évidence et suspendre leur initiative (20 janvier 2011). Constat d'évidence, aucun des acteurs externes, fussent-ils importants, ne détient les clés de la crise. Mais ne doit-on pas envisager que la prise en compte des intérêts des acteurs libanais, des interactions multiples et complexes, entre les communautés, puisse faire valoir la dynamique interne de réconciliation, dans une affirmation de consensus de leur souveraineté nationale ? Ne faut-il pas traiter les différends par une approche de “pragmatisme raisonné'', plus appropriée que les envolées idéologiques et/ou identitaires, dans un Liban rassemblant tous ses citoyens ?