Un nez rouge, un titre provocateur et une indignation générale. Atef Ben Hassine, artiste reconverti en soutien zélé du régime, a déclenché une tempête sur les réseaux sociaux avec l'annonce de son prochain spectacle, Le dictateur. Retour sur le parcours d'un comédien devenu propagandiste. Un nez rouge vissé sur le visage, des mimiques de bouffon et un titre aussi provocateur qu'ambigu : « Le dictateur ». Atef Ben Hassine, comédien au passé agité, a encore trouvé le moyen de faire parler de lui. Cette semaine, l'annonce de son nouveau one man show, assortie d'une série de photos le montrant hilare et grimé en clown, a mis le feu aux réseaux sociaux. Il présente sa pièce comme une satire politique sur « la décennie noire », avec un héros clownesque « persécuté sous le règne des islamistes » et « en guerre contre le système ». Il promet de « plonger dans les profondeurs des événements post-25 juillet » et de tourner en dérision « les tyrans de tous bords ». Une présentation qui aurait pu intriguer si elle n'avait pas été accompagnée d'un récit que beaucoup jugent grotesque : Atef Ben Hassine se dit aujourd'hui victime du système… alors qu'il en a largement profité, hier comme aujourd'hui.
Les réseaux sociaux se déchaînent La riposte a été immédiate. Sur Facebook, les critiques ont fusé : « Un clown qui pleure Kaïs Saïed ne peut pas jouer au rebelle », a ironisé un commentateur. Le satiriste Chokri Ouakel a rappelé que l'artiste « oublie qu'il était conseiller de Latifa Lakhdhar en 2015 » et qu'il « n'a jamais été persécuté ». Le compte parodique Imed Trabelsi a dénoncé une « réinvention de l'histoire après le 25 juillet », une manière opportuniste de se refaire une virginité. Les moqueries sont allées jusqu'à souhaiter, sur un ton caustique, que Le dictateur soit « le quatrième art dont Dieu nous prive ». Et pour d'autres, comme le magistrat Afif Jaidi, cette pièce « ne devrait même pas figurer dans un festival digne de ce nom », rappelant que la qualification d'« artiste » ne devrait pas être galvaudée par « des bouffons ».
Un soutien inconditionnel du régime Ces critiques n'ont rien d'étonnant. Depuis 2019, Atef Ben Hassine s'est transformé en l'un des soutiens les plus bruyants du régime actuel. Sa page Facebook est un véritable relais de la communication présidentielle. À l'approche du 25 juillet 2025, il promettait un « séisme de mesures » et reprenait à son compte l'image des « missiles sur leurs rampes de lancement », chère à Kaïs Saïed. Il annonçait des décisions « douloureuses » contre « les voleurs et les pillards » accusés de « voler la dignité du peuple ». Ce rôle de porte-voix zélé, Atef Ben Hassine ne l'a jamais nié. Mieux, il l'assume. En mai 2025, face aux accusations d'être un « artiste de cour », il a répliqué en éclatant de rire : « Je vais demander à l'Etat une carte professionnelle de Fannane el-bilat et tous les privilèges qui vont avec ». Une déclaration qui, loin de le disculper, confirme ce que beaucoup pensent : Atef Ben Hassine n'est plus un comédien engagé mais un propagandiste assumé.
Insultes et mépris comme marque de fabrique Ce soutien au régime s'accompagne d'un mépris virulent pour toute voix dissidente. Depuis des années, ses diatribes sont ponctuées d'insultes : l'élite tunisienne est pour lui une « حثالة » (racaille), des « حرامية » (voleurs), des « تفتافة » (déchets). En 2019, à la victoire de Kaïs Saïed, il s'en prenait violemment aux médias, les qualifiant d'« إعلام العهر و الفساد » (médias de la prostitution et de la corruption) et leur promettait « la poubelle de l'Histoire ». Ces outrances lui valent régulièrement des vagues de critiques, mais elles servent aussi ses intérêts : il est devenu l'un des artistes les plus en vue du régime, invité dans des festivals et omniprésent sur la scène médiatique officielle.
Un opportuniste de longue date Ce positionnement n'est pas un accident. Atef Ben Hassine n'a jamais cessé de graviter autour du pouvoir, quel qu'il soit. En 2015, sous le gouvernement Habib Essid, il était conseiller auprès de la ministre de la Culture, Latifa Lakhdhar. À l'époque déjà, il bénéficiait d'une position privilégiée, au point que sa démission avait été refusée par la ministre elle-même. Il injurie aujourd'hui ce qu'il appelait hier ses collègues et protecteurs. Cette reconversion opportuniste est le parfait exemple de ce que certains internautes ont appelé une « réinvention de soi post-25 juillet » : des personnalités publiques réécrivent leur propre histoire pour se mettre au diapason du récit officiel actuel.
Une récompense bien méritée… pour services rendus Le régime ne s'y trompe pas : Atef Ben Hassine est utile. Et il le récompense. En mai 2023, il a été nommé conseiller du ministre de l'Education, Mohamed Ali Boughdiri. Une promotion qui n'a rien à voir avec ses talents artistiques et tout avec son rôle de zélateur. Alors même qu'il a échoué à se faire élire aux législatives de 2022, sortant dès le premier tour avec seulement 1.059 voix à Chebba, il a obtenu un poste clé dans l'administration.
Cet échec électoral cinglant montre bien qu'il n'a aucun poids populaire. Mais à quoi bon avoir un public quand on a un régime ?
Un clown qui ne fait plus rire Atef Ben Hassine n'est pas une exception tunisienne. L'Histoire regorge d'artistes qui se sont transformés en instruments des régimes qu'ils servaient. Sous Mussolini, certains comiques italiens faisaient rire sur commande pour glorifier le Duce. Sous Staline, des chanteurs et humoristes officiels étaient récompensés pour leurs hymnes à la gloire du Parti, tandis qu'en Corée du Nord, encore aujourd'hui, des troupes entières sont formées pour chanter les louanges du leader. Atef Ben Hassine s'inscrit dans cette longue lignée de bouffons qui confondent art et propagande, humour et allégeance. La différence, c'est que dans les dictatures classiques, ces bouffons étaient parfois aimés par le public. Chez nous, ils n'ont même pas cet honneur. Avec son nez rouge et son Dictateur, Atef Ben Hassine pensait provoquer des rires et des réflexions. Il n'a récolté que des moqueries et un rejet massif. Mais l'homme n'a pas besoin de convaincre les spectateurs pour exister : il suffit qu'il continue à plaire aux puissants. Au fond, « Le dictateur » est peut-être son rôle le plus honnête : un clown qui se croit rebelle mais qui ne fait rire qu'un palais.