Du temps où il était célibataire, Ben Ali se déplaçait dans une vieille Panhard, rendait souvent visite à ses parents et les assistait dans la mesure de ses moyens. A partir de son mariage, les visites s'espaçaient graduellement jusqu'à s'arrêter tout à fait. L'état-major de l'armée tunisienne comprenait initialement des transférés soit de l'armée française, soit de l'armée beylicale. La première catégorie de transférés était majoritaire. Ils venaient essentiellement du 8e RTT (Régiment de Tirailleurs Tunisiens) et du 4e RTT. Chacun de ces deux corps de troupe était placé sous la direction d'un colonel. La base, soit la troupe et quelques sous-officiers, était constituée d'engagés volontaires tunisiens, c'est-à-dire de jeunes illettrés qui, pour échapper au chômage, à la misère et à la faim, ont été réduits à choisir cette voie. En 1956, Bourguiba, alors Premier ministre de la jeune Tunisie indépendante, a préféré les récupérer et constituer avec eux le premier noyau de l'armée tunisienne. Il pensait, dans son for intérieur, qu'une armée composée d'ignorants ne pouvait avoir aucune velléité révolutionnaire. «Il y va de notre sécurité», avait franchement répondu Bahi Ladgham à un journaliste qui l'interrogeait sur ce choix. Mohamed El Kéfi est issu du 4e RTT. Ce fils de cavaliers Jlass est monté de grade en grade dans les écuries du régiment. Les vieux Soussiens (habitants de Sousse) disent que leur cité était pourvue d'un hippodrome. On y organisait des courses auxquelles l'armée française participait en bonne place, et ce, jusqu'à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Les connaisseurs jouaient le cheval monté par le lieutenant El Kéfi. Par ailleurs, on aimait regarder ce bel officier, impeccable dans son uniforme, traverser les rues de la médina. En 1952, il prit contact avec la cellule destourienne de Sousse et soutint l'idée de la guérilla, unique moyen de battre une armée régulière. Il fut mis à la retraite avec le grade de capitaine. Son patron combattait les "Yousséfistes" En 1955, le Néo-Destour, le parti nationaliste de l'époque, fit appel à lui en tant que consultant pour aider à combattre les Yousséfistes (partisans du chef nationaliste Salah Ben Youssef insurgé contre Bourguiba) réfugiés dans les montagnes du Centre et du Sud. Ayant donné entière satisfaction, il fut promu Commandant en chef de l'Armée tunisienne en 1955, quelques mois après sa création. Il reste cependant qu'il n'est pas possible de modifier par décret le niveau d'instruction d'un individu. Aussi, qu'on le veuille ou non, il faut reconnaître que le médiocre savoir de Ben Ali au moment de son intégration dans l'armée était plus important que celui de son nouveau maître et, partant, que celui de tous les officiers transférés, lesquels, tout en savourant son bulletin quotidien, évitaient l'homme de peur de figurer un jour dans son rapport. Du temps où il était célibataire, Ben Ali se déplaçait dans une vieille Panhard, rendait souvent visite à ses parents et les assistait dans la mesure de ses moyens. A partir de son mariage, les visites s'espaçaient graduellement jusqu'à s'arrêter tout à fait. Ce fut au tour du père de rendre visite à son fils. Une fois par mois, le vieux Ali Ben Ali, avec son chapeau de paille à larges bords, sa blouse ample et grise et ses grosses sandales se présentait à la villa du Bardo. Si Ben Ali n'est pas à la maison, Naïma – c'est le prénom de sa première épouse – n'accueillait jamais son beau-père, mais lui demandait d'attendre son fils sur le seuil de la porte d'entrée. Au cas où Ben Ali est chez lui, il introduisait son père dans le vestibule et après un rapide échange de formules de civilité, lui glissait quelques dinars et prenait congé de lui. Il ordonna à son père de ne plus le déranger Par la suite, Ali Ben Ali, saisissant l'absence de sympathie de sa bru, prit l'habitude d'aller voir son fils au bureau. L'accueil était des plus froids. L'entretien ne dépassait pas quelques minutes. Vers le milieu des années soixante, Ben Ali, excédé, ordonna à son père de ne plus le déranger. Ce jour-là, plusieurs témoins virent un vieillard à la stature gigantesque, de grosses larmes coulant des yeux, descendre en titubant les escaliers des cinq étages du bâtiment. Par contre, avec sa mère, Ben Ali était affectueux. Il l'aimait d'autant plus qu'elle n'avait jamais quitté le village. Il avait un frère prénommé Moncef qui l'importunait de temps en temps. Sous-officier à la caserne de Bouchoucha dans le bataillon hors rang, c'est-à-dire non destiné au combat, il dilapidait rapidement sa solde. Beau garçon, il lui arrivait de faire le gigolo pour boucler ses fins de mois ou de venir le voir dans sa petite Austin rouge pour le taper de quelques dinars. Plus tard, à la tête de l'Etat, à 51 ans, Ben Ali a semblé prendre soin de sa mère. Est-ce là des regrets et une façon de se racheter ou seulement de la poudre aux yeux du public? Comme dit l'autre: «va savoir». Deux faits sont à souligner cependant : la télévision ne l'a jamais montré entouré de ses ascendants d'une part et, d'autre part, Jeune Afrique avait provoqué sa colère pour avoir révélé leur existence dans un reportage illustré publié peu après le 7 novembre 1987.