Signé le 25 février 2004, l'Accord d'Agadir qui sera ratifié en 2006 et entré en vigueur en 2007- a créé une zone de libre-échange arabe, qui regroupe actuellement la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l'Egypte.
Le Liban avait récemment entamé des consultations en vue de son adhésion à l'accord d'Agadir auquel sont, en principe, éligibles, tous les pays arabes riverains de la Méditerranée et liés à l'Union européenne par un accord de libre-échange (officiellement, accord d'association). Mais l'Algérie a opposé un refus aux sollicitations de l'UE et de ses voisins maghrébins, préférant, officiellement, une intégration économique chapeautée par l'UMA.
Le colloque «l'accord d'Agadir pour la zone de libre-échange entre les pays arabes méditerranéens: bilan et perspectives», organisé à Tunis les 3 et 4 avril 2008 par la Fondation allemande «Konrad Adenauer Stiftung» et le Centre des études méditerranéennes et internationales (CEMI), a permis de débattre un certain nombre de questions relatives à cet accord, notamment les obstacles qui freinent son application et les éventuelles solutions qui peuvent venir à son secours.
Des juristes, économistes et politologues tunisiens, marocains, égyptiens et jordaniens, étaient là pour animer ce débat et apporter quelques éclaircissements relatifs à ce sujet, dont M. Mahjoub Azzem, professeur universitaire (Université El Manar) et expert international. Il nous a l'entretien ci-dessous.
Webmanagercenter : Est-ce que vous pouvez nous dresser le bilan de l'Accord d'Agadir ?
Mahjoub Azzem : On ne peut pas à vrai dire parler, pour le moment, de bilan pour la simple et bonne raison que l'accord vient, à peine un an, d'entrer en application, donc tout ce qu'on peut faire c'est dresser des scénarios : une prospective.
Mais nous pouvons partir de l'état actuel des choses : aujourd'hui, les échanges entre les quatre pays (Tunisie, Maroc, Egypte et Jordanie) s'élèvent à peine à 1% de leurs échanges globaux ; donc pour le moment c'est quelque chose de relativement dérisoire et faible.
Je pense que cet accord, moyennant un certain nombre de conditions, pourrait vraiment pousser vers plus d'échanges et plus de coopération et d'intégration entre les quatre pays signataires.
De ce fait, peut-il être considéré comme prometteur cet accord ?
Oui, à mon avis, et ceci pour plusieurs raisons : d'abord ces quatre pays sont les plus avancés dans le processus de la constitution de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Il ne faut pas oublier que c'est l'Union européenne qui a vraiment poussé les quatre pays à cet accord. Il faut vous rappeler qu'à l'origine, dans le processus de Barcelone et dans le partenariat euro-méditerranéen, parmi les objectifs fixés à l'ensemble du processus il y a : premièrement, accélérer le développement ; deuxièmement, réduire les écarts ; troisièmement, renforcer et développer la coopération sud-sud parmi les partenaires.
L'UE a donc, comme j'ai déjà dit, poussé ces quatre, pays relativement plus avancés dans le processus de leur coopération avec l'UE dans le cadre de ce partenariat.
De plus, ces quatre pays ont vu une certaine convergence au niveau macroéconomique : cela veut dire qu'au cours des 10/15 dernières années, ils ont entrepris des réformes pour stabiliser leurs économies dans le sens de la réduction du budget de l'Etat, la relative réduction de la dette publique, le déficit, c'est-ce qu'on appelle la balance des opérations courantes. Cette balance est maintenue dans des limites acceptables ; et l'inflation aussi. Ceci crée des ingrédients, plus un choix pour l'ouverture. Tous les quatre pays sont membres de l'OMC et donc ils ont tous signé des accords de partenariat, maintenant c'est devenu des accords d'association dans le cadre de l'UE.
Résumons : le fait que ces quatre Etats connaissent une certaine convergence macroéconomique, qu'ils n'aient pas de conflits particuliers, et de surcroît qu'ils soient intégrés dans le processus euro-méditerranéen, tout ceci crée déjà des préalables intéressants.
Et sous l'angle de l'analyse économique
Justement, sous l'angle de l'analyse économique, ce qu'on peut dire c'est que ces quatre pays ont des économies de plus en plus ouvertes sur le monde même si on exclut la production d'hydrocarbures notamment pour le cas de l'Egypte et à un moindre degré la Tunisie. L'ouverture commerciale est en relatif accroissement et dans tous les cas quand on la compare avec d'autres entités comme en Amérique du Sud, par exemple, la Communauté Andine des Nations qui regroupe le Venezuela, la Bolivie, l'Equateur, le Pérou et la Colombie, ces pays ont des taux d'ouverture comparables alors que les échanges au sein de ce groupe sont 12 fois plus importants que ceux qui existent entre les pays membres de l'Accord d'Agadir. Donc il y a un potentiel.
Mais malgré ce potentiel, nos économies ne souffrent-elles pas de pratiques non tarifaires ?
Tout à fait, j'allais en venir. Nos économies continuent à être relativement protégées et on pratique encore ce qu'on appelle les barrières non tarifaires, qui sont vraiment des obstacles pour les échanges entre les pays. Nous sommes parmi les régions au monde où on pratique encore une protection relativement forte, même si elle est en diminution, avec des barrières non tarifaires. C'est un facteur bloquant, mais rien n'empêche que les Etats prennent les décisions allant dans le sens de la dé-protection.
Autre chose, cette fois, si favorable et positive, c'est que les économies des quatre pays signataires de l'Accord d'Agadir sont des économies relativement diversifiées, c'est-à-dire que nos exportations conservent une gamme diversifiée de produits.
Les économistes estiment que plus les économies sont diversifiées, plus il y a un potentiel pour les échanges entre ces pays ; par contre, quand c'est concentré, par exemple quand un pays est producteur de pétrole et le pétrole est dominant, ceci prête moins aux échanges.
Par ailleurs, il convient de signaler qu'il y a des complémentarités : quand on regarde chacun des quatre pays, ce qu'il importe du groupe et ce qu'il exporte, eh bien nous pouvons voir qu'il y a des possibilités de complémentarités c'est-à-dire qu'il y a nombre de produits qui peuvent être importés.
Donc avec des économies de plus en plus ouvertes, diversifiées et avec des complémentarités, cela va dans le sens de créer un potentiel.
En plus, ce qui est important, c'est que maintenant avec l'UE, on pratique ce qu'on appelle le cumule des règles d'origine, c'est-à-dire si le coton égyptien est importé en Tunisie, et qu'il est par la suite transformé en vue d'un produit d'habillement, il est considéré comme de la production tunisienne ; c'est important parce que ça nous lie à l'ensemble de l'UE et ça va jouer aussi un rôle de stimulation.
Vous voyez donc que si l'on faisait un effort en matière de dé-protection et de levé des barrières non tarifaires, tout irait vers le mieux. Les tracasseries à la douane c'est une manière aussi de bloquer les échanges. La bureaucratie, les réglementations tatillonnes ne sont pas favorables.
Par contre, le fait qu'on soit plus ouvert, de plus en plus diversifié, avec des complémentarités et avec l'application du cumule, à mon avis, cela crée un potentiel significatif dans l'accroissement des échanges entre nos pays.
Le professeur marocain de relations internationales, M. Zakaria Aboudhahab a, lors de son intervention, affirmé que «l'Accord d'Agadir souffre d'un manque de profondeur géopolitique», et vous avez soutenu cette affirmation. Pouvez-vous nous expliquer davantage ce point de vue ?
Sans être un spécialiste de la géopolitique, tout ce que je peux dire c'est que pour le moment, l'accord a encore une dimension plus technique et interétatique n'impliquant pas véritablement les populations et les milieux professionnels. C'est un manque qui a été signalé au cours de ce colloque.
Mieux, il y'a eu un débat autour de la question «est-ce que le projet se rattache plus à une vision géopolitique de l'UE ?». J'ai tendance à dire qu'il est au carrefour entre l'UE et la Grande Zone de libre-échange arabe.
On peut dire qu'il n'y a pas de vision stratégique, que la dimension technique prévaut, et qu'il serait avantageux qu'on mène une réflexion pour inscrire ce projet dans un cadre géopolitique général : Quelle est notre position vis-à-vis de l'UE, vis-à-vis des Etats-Unis et aussi vis-à-vis de l'ensemble des autres pays arabes.
Il faut qu'il y ait un cadre politique au sens global, qui soit cohérent, et dans lequel peut s'inscrire ce processus ; autrement il va tout simplement se confiner à une dimension technique ; et j'ajoute nouveau la nécessité que le projet -en prenant cette dimension là- puisse être approprié par les acteurs économiques et par les populations d'une manière générale. Aujourd'hui, il y a une sensibilité de nos populations vis-à-vis, par exemple de l'UMA, à la limite vis-à-vis de l'unité arabe mais ils ne voient comment cela peut être un noyau porteur en vue de réaliser des projets beaucoup plus grandioses.
D'après vous, l'Accord d'Agadir pourrait-il venir au secours de l'UMA ?
Dans la conjoncture actuelle, que l'Accord d'Agadir puisse fonctionner, c'est une bonne chose. L'UMA, comme vous le savez, traverse encore des difficultés, compte tenu des dissensions, mais à mon avis il est nécessaire que tôt ou tard l'Algérie rejoigne ce noyau pour que, véritablement, le projet puisse avoir une dimension plus significative et plus substantielle.
Il y a eu un débat au sein du colloque sur cette question précise : «est-ce que l'Algérie qui, pour le moment, n'est même pas membre de l'OMC et qui a refusé la signature des accords de libre-échange bilatéraux avec ses voisins, serait prête et dans combien de temps à converger envers les autres pays ?».
Nous sommes dans une phase première, et cela ne doit pas, à mon avis, nous empêcher de penser toujours que le Maghreb c'est à construire, d'une autre manière, pour éviter les difficultés politiques actuelles. Ça ne serait pas une mauvaise chose, mais il ne faut en tout cas pas imposer cela à l'UMA et il ne faut pas parler de «substitut» dans le long terme, mais dans la conjoncture actuelle, c'est une bonne chose qu'il y ait ce projet d'Agadir, dans la perspective que d'autres pays arabes puissent s'y joindre, notamment l'Algérie.