Par Abdelhamid GMATI Une chaîne de télévision s'est intéressée au langage utilisé par les révolutions tunisienne et égyptienne. Pour la Tunisie, elle a retenu le mot «Dégage» utilisé par les révolutionnaires à l'encontre de leur tyran. Le terme, suggéré sur les sites sociaux de l'internet, a été repris par les manifestants pour signifier leur ras-le-bol aux auteurs de leurs malheurs. Depuis, il est utilisé à satiété. La chaîne elle-même en a été victime lorsqu'on a signifié à son équipe de journalistes et de techniciens de dégager de l'hôtel où ils s'étaient installés, les employés ayant décidé un sit-in bloquant les activités de l'hôtel jusqu'à satisfaction de leurs revendications. C'est là l'un des effets collatéraux de la révolution tunisienne. Ce «dégage» a été adressé par des manifestants, plus ou moins nombreux, au premier gouvernement provisoire, puis au second, aux gouverneurs nouvellement nommés mais jugés indésirables, puis à des responsables et directeurs de sociétés. Des élèves, des lycéens veulent faire «dégager» leurs enseignants, leurs directeurs. Il ne serait pas étonnant que les enfants disent «dégage» à leurs parents trop autoritaires, et qu'au sein d'un couple ce terme soit utilisé pour clore une dispute conjugale. Bref, on risque tous de vivre sous la menace de ce «dégage». Et il y a d'autres faits collatéraux. – Certains veulent diviser les Tunisiens entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires et on assiste à toutes sortes de vindictes, de mises à l'index, de dénonciations gratuites, d'exclusions; pourtant, cette révolution a été fêtée par tous, de quelque tendance qu'ils soient, l'écrasante majorité de la population ayant pâti du régime dictatorial. Il faudrait voir à qui profite les troubles et la situation précaire et insécure du pays; – Pendant de trop longues années, les Tunisiens ont été victimes de promesses non tenues et ils ont perdu confiance. De ce fait, ils profitent de ce climat révolutionnaire pour bloquer l'activité économique et présenter leurs revendications personnelles; une sorte de chantage; – Tunis croule sous les ordures et déchets de toutes sortes, du fait d'une grève des employés municipaux, revendiquant des droits socioprofessionnels plus ou moins légitimes; des revendications sont faites dans tous les secteurs, publics ou privés; toutes sortes de raisons sont avancées pour protester, revendiquer, exiger : – Des postes de police, des magasins, des administrations, des entreprises sont prises d'assaut, pillés, brûlés; ces derniers jours les forces de sécurité (police et armée) ont arrêté des bandes de brigands, à Tunis, Le Kef, Tataouine, Sidi Thabet; – Des logements sont squattés en toute illégalité; – Des distributions d'aides gouvernementales aux chômeurs et aux handicapés sont perturbées par des individus n'y ayant pas droit; – Au centre-ville de Tunis, sur l'avenue Bourguiba, la Place Barcelone et tout autour, une cohorte de marchands ambulants se sont implantés et vendent de tout, au grand dam des commerçants qui proposent les mêmes produits; un vrai carnaval; – Le suicide du malheureux Bouazizi, qui s'est immolé par désespoir dans sa quête d'une vie digne, doit-il servir d'exemple ou d'alibi à des gens qui, pour un oui ou pour un non, menacent de se suicider ? Bien sûr que non. Tous ces effets collatéraux sont en fait des dommages collatéraux et ternissent cette révolution à nulle autre pareille. Outre les conséquences désastreuses sur l'économie et les finances du pays (la Banque centrale nous dit que le pays ne tiendra pas longtemps à ce rythme de gabegie), ils détournent cette révolution de ses principales motivations, de ses véritables objectifs. On voulait du travail, la liberté, la dignité; et on se retrouve devant le terrible risque de perdre des emplois et d'aggraver le chômage, de restreindre nos espaces de liberté et il faudra courir pour retrouver la dignité. Le changement oui, le chaos non