Par Hamdi Lazhar* Ayant passé toute ma vie active à Sidi Bouzid ,sous le régime du président déchu Ben Ali, j'ai toujours vécu sans aucune marge de liberté : je ne peux pas tout dire , ni tout faire même quand c'est dans les règles de l'art , j'avais toujours la langue nouée, faute de quoi on pouvait me reprocher n'importe quoi et je serais écarté de mon poste d'emploi. On travaille toujours en silence et sans dénoncer les défaillances, pourtant bien évidentes. J'ai observé ainsi un déséquilibre régional flagrant en matière de développement. Rien n'est fait pour contribuer à l'installation de grandes entreprises, pour satisfaire les demandes d'emploi sans cesse en évolution . Si l'Etat a beaucoup (ou peu) fait dans tous les gouvernorats de la Tunisie, cela n'a jamais été le cas à Sidi Bouzid. En effet, les investisseurs qui ont tenté de venir s'installer à Sidi Bouzid en raison de l'importance de ses richesses naturelles ont été ou bien orientés vers d'autres régions, ou encore empêchés par des tricheurs et des malfaiteurs. Toutes les initiatives entreprises pour accélérer le développement, et l'investissement et satisfaire ainsi toute demande d'emploi n'ont pas eu de suite. Et même si ces initiatives sont importantes, elles se retrouvent automatiquement appliquées dans d'autres régions. On a toujours eu peur, on a vécu une période où on tue l'initiative. On ne pense plus, on a été aliéné , freiné et contrarié. Quant à la justice, elle était complètement absente Il faut reconnaître que le problème d'emploi reste très épineux et représente la principale question qui tracasse toutes les familles. J'avais toujours dit aux demandeurs d'emploi : faites des manifestations , revendiquez... Car ce n'est pas à moi , un simple chef de Bureau d'emploi, de le faire, car je serais immédiatement muté, sinon… Sincèrement, je pense que la politique active de l'emploi ne donne pas satisfaction aux demandeurs . Elle est plutôt favorable aux chefs d'entreprise. Quant aux salaires , ils ne sont même pas suffisants pour subvenir aux besoins les plus élémentaires. D'où alors ce mécontentement à Sidi Bouzid, cette ville qui porte désormais la flamme de la révolution en Tunisie. Mais ce qui est encore inquiétant, c'est que cette ville dispose de richesses naturelles très importantes, mais qui se trouvent malheureusement en mal d'exploitation. Et je pense qu'avec une nouvelle vision, orientée vers un meilleur équilibre régional, la région est en mesure de décoller réellement et offrir ainsi beaucoup de postes d'emploi. Les événements de décembre 2010 et janvier 2011 Pour revenir à l 'ordre chronologique des événements de Sidi Bouzid, il faut rappeler que le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi a été empêché de vendre des légumes et des fruits près de la mosquée. D'"où sa réaction de s'immoler vers le coup de midi. Aussitôt, une manifestation a eu lieu pour contester cette injustice et condamner les responsables de cette tragédie qui a marqué tous les esprits. Les manifestants étaient pour la plupart des jeunes n'appartenant à aucun parti politique , des chômeurs, tout comme Khaled Aouania, avocat, qui a été arrêté un peu plus tard puis libéré. Le 18 décembre 2010, la ville de Sidi Bouzid s'est réveillée pour vivre une journée historique Une armada de sécurité multidisciplinaire, avec un effectif très important, a été embarquée autour du siège du gouvernorat. Situation dramatique, qui se transformera rapidement en confrontations très violentes entre citoyens et services de l'ordre. On dirait la guerre qui commence. Et cette situation a duré environ un mois, les jeunes ont choisi la nuit pour réagir. Une situation qui devient rapidement infernale. En quelques jours, ce soulèvement populaire s'est répandu rapidement à d'autres régions : Menzel Bouzayenne, Regueb,Thala, Kasserine Et la population a fini par avoir le dernier mot, avec surtout le retrait progressif de la police. Et on commence alors à croire que la ville de Sidi Bouzid a été sauvée. Mais "la guerre", bien au contraire, a continué avec même plus de violence. D'où l'intervention de l'armée nationale, vivement applaudie par la foule. Une réconciliation en quelque sorte avec les citoyens. Aujourd'hui, je suis optimiste. Et même s'il y aura encore des malhonnêtes, ils n'auront certainement plus l'occasion de commettre les mêmes injustices. Il y aura donc plus de liberté et de démocratie . Mais il nous faut un peu de temps et beaucoup de sagesse pour nous habituer à cette période de transition et tirer pleinement profit de cette ère démocratique. L'essentiel de ma pensée c'est que l'avenir sera certainement meilleur et nous offrira plus d'égalité , un partage plus équilibré de la richesse et un développement économique dans les différentes régions plus équitable. 35 ans d'expérience dans le domaine de l'emploi et du chômage, *(formateur,animateur,initiateur d'innovation et coordinateur du réseau (défi) des structures d'appui régionales de Sidi Bouzid)