Par notre envoyé spécial à Sidi Bouzid Mohamed Hédi ABDELLAOUI Qui a mis le feu aux poudres pour que toute une ville s'enflamme et brûle par son feu tous ceux qui aspirent à une Tunisie libre, unie et solidaire ? A qui profitent la violence, la haine, l'instabilité et l'anarchie ? Voilà les questions que l'on se pose une fois sur la route vers la ville d'où a émané la première flamme révolutionnaire, mais aussi où l'on a tragiquement fêté les premières élections libres et transparentes dans le pays. Enquête. Les témoignages collectés à Sidi Bouzid, suite aux actes de vandalisme qui ont secoué la ville jeudi soir et vendredi matin, avancent une hypothèse, voire une certitude : il est question d'un scénario monté de toutes pièces visant à plonger la ville dans l'anarchie et le désarroi et à semer la pagaille dans d'autres régions. Leur objectif (les artisans de ce scénario) étant de manipuler le public d'une région en procédant à la conception d'une tactique orchestrée pour la division et la haine. Retour sur les incidents. Juste après la délibération par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) des résultats du scrutin du 23 octobre pour annoncer l'invalidation des listes d'El Aridha Achaâbia présidée par Hachmi Hamdi, originaire de Sidi Bouzid, le Centre de formation professionnelle de Sidi Bouzid a été envahi par des jeunes dont la plupart étaient cagoulés. Selon M. Lassaâd Hajlaoui, directeur du Centre, se trouvant sur place à l'heure des incidents, l'agression a démarré jeudi soir vers 22h00 avec l'arrivée sur les lieux de jeunes âgés de 14 à 30 ans en provenance d'un quartier proche. «Ils se sont, dans un premier temps, mis à siffler, puis ils ont procédé à un jet de pierres ciblant tous les véhicules qui étaient dans le Centre, y compris les voitures privées. Ensuite, ayant échoué à mettre la main sur la voiture du directeur régional, ils y ont mis le feu. Nos agresseurs étaient trop nombreux pour pouvoir leur faire face. Ce qui m'a poussé à demander le secours des voisins pour nous soutenir. A l'arrivée de nos secoureurs qui n'étaient pas assez nombreux au départ, ils se sont dispersés ça et là dans les alentours. Peu après cette attaque, on s'est aperçu qu'il y avait des colonnes de fumée émanant de tous côtés. A ce moment, on a vraiment paniqué. Pourtant, on était resté en état d'alerte, essayant par la suite de protéger les véhicules en les déplaçant dans d'autres lieux plus sûrs. Mais, sur le point d'introduire le dernier dans un local, nos offenseurs, plus nombreux cette fois-ci, étaient de retour pour se diriger directement vers la salle d'informatique où certains se sont saisis de 54 ordinateurs. Alors que les autres ont accédé au foyer des filles dans une tentative d'attaque collective. Ce qu'on a vécu pendant ces moments difficiles était inimaginable et semblable à un film d'horreur. D'ailleurs, les agresseurs étaient munis de bombes à gaz, de liquides inflammables et d'armes blanches. Face à la gravité de la situation, on leur a vainement demandé de prendre ce qu'ils voulaient à condition de laisser les filles tranquilles. Ainsi, on était déterminés à nous défendre avec les moyens du bord. Et c'était avec l'aide de nos voisins, surtout les jeunes, qu'on a réussi à les chasser. Un grand bravo à ces jeunes dont la plupart sont des chômeurs, qui ont risqué leur vie pour nous soutenir et défendre les acquis de leur ville », avance M.Hajlaoui. Mouvements suspects De son côté, M. Moez Touati, directeur régional de la formation, note que des mouvements suspects ont été repérés ce jour-là dans la ville. «Je me rappelle que de bonne heure, le matin, la circulation était inhabituelle. En effet, l'embouteillage était étouffant et les moyens de transport publics étaient très actifs. Mêmes les passagers à bord et les jeunes circulant dans la ville étaient pour une grande partie inconnus. Plus, ces individus n'étaient pas dans leur état normal. Ils étaient plutôt en état d'ivresse. Sachant que ceux qui nous ont attaqués au centre de formation professionnelle puaient une odeur de vin et se comportaient de manière vulgaire. Mais ce qui inquiète avant tout, c'est la maîtrise des lieux par nos agresseurs. Ils semblaient très familiarisés avec l'endroit. Car le foyer des filles n'est pas aussi repérable pour y accéder facilement et rapidement. Je n'arrive pas, jusqu'à présent, à déchiffrer cela. Par la même occasion, j'aimerais bien m'attarder sur le vide sécuritaire qui a régné pendant ces temps troubles. En effet, on a pas mal de fois essayé de joindre le poste de police et le bureau de la Garde nationale, ils étaient pour la plupart du temps injoignables. D'ailleurs, ils ne pouvaient rien faire sans renfort. Même la Protection civile n'a pas été en mesure de gérer la situation. Personnellement, je ne suis pas originaire de Sidi Bouzid. Toutefois, j'ai fait le choix de défendre les acquis du pays. Brusquement pris par les faits, j'avais les pieds nus et j'ai, à un moment donné, oublié que je suis fonctionnaire d'Etat pour m'ériger par ces moments difficiles en un secouriste en train d'aider mes collègues à sauver cette institution. Des dégâts en gros et un cumul de tout La violence qui a régné jeudi soir et vendredi matin à Sidi Bouzid n'a pas uniquement débouché sur le pillage total du tribunal cantonal, la cour de première instance, la municipalité, la permanence du Mouvement Ennahdha, le Centre de formation professionnelle, le bureau de l'emploi, la direction régionale de l'éducation et de la formation, une partie du siège du gouvernorat, le commissariat régional au développement agricole et le poste de la Garde nationale, mais aussi sur la perte d'importants documents. Ces documents comprennent des chèques sans provision, des dossiers de plusieurs recherchés par la justice, des dossiers de transcription des actes d'état civil, etc. S'y ajoutent consécutivement des bureaux d'avocats squattés par les manifestants. Ce qui pose de gros problèmes devant les citoyens concernés par ces documents et les avocats et les administrations endommagées par ces actes de vandalisme. Sur un autre plan, certains témoins laissent entendre que la vague de violence qui a affecté la ville dans la nuit de jeudi à vendredi serait le résultat de tout un cumul savamment exploré par certains chasseurs en eaux troubles par allusion aux anciens Rcédistes qui espèrent toujours trouver une place sur la scène politique nationale. S'attardant sur ce cumul, Me Abdelwahab Saïed, avocat indépendant note que des expressions dans le style “Hamdi a joué sur les ventres affamés” et un geste comme celui de se boucher les oreilles à la prise de la parole par un citoyen de Sidi Bouzid sur un plateau télévisé, auraient avivé les sentiments d'injustice et d'exclusion chez les gens. Surtout après la distribution de brochures de propagande sans signature incitant les gens à réagir contre la campagne de dénigrement menée selon leurs auteurs par certaines figures politiques et des médias nationaux ayant qualifié les habitants de Sidi Bouzid d'affamés, de bergers et d'incultes. Personnellement, cela m'a intensément provoqué au départ. Comment voulez-vous qu'un simple citoyen ne réagisse pas instantanément. Le langage utilisé dans ces tracts était tellement provocateur qu'il ne vous laisse pas le temps d'y réfléchir. S'y ajoutent aussi les publications narquoises parues sur Facebook ». De son côté Me Dhafer Salhi, membre de l'Association tunisienne pour la démocratie (ATD), pense que la violence est le résultat d'une dramatisation voulue par des anciens Rcédistes qui cherchent à impliquer la région dans une guerre civile afin de servir leurs propres intérêts. Le même témoin note que les applaudissements de certains présents à la conférence de presse de l'Isie, suite à l'invalidation des listes d'El Aridha, étaient pris pour une position hostile à la région de Sidi Bouzid et non pas à la personne de Hachmi Hamdi, accusé d'avoir été l'allié de Ben Ali. Dénonçant certaines publications sur Facebook qui auraient incité à la violence et au régionalisme, l'avocat est allé jusqu'à proposer une loi sanctionnant tout propos ou conduites discriminatoires. De surcroît, confirmant l'idée d'un scénario savamment monté par des Rcédistes, Naceur Hamdouni, qui suit minutieusement les agissements de la scène socio-politique à Sidi Bouzid, nous a informés hier que trois figures rcédistes connues viennent d'être repérées sur les photos et les vidéos relatives aux dernières manifestations de Sidi Bouzid. Il convient de dire au demeurant que cette vague de violence n'aurait été qu'un nuage d'été, puisque samedi matin, une large campagne de propreté a été menée dans la ville. D'autant plus que partout où l'on s'était rendu à Sidi Bouzid, l'ultime conviction était «la Tunisie dans le cœur».