Par Ely Mustapha * La pérennité d'une révolution et des principes qu'elle véhicule dépend à la fois de la mémoire de ceux qui l'ont vécue mais aussi et surtout de la codification qui en résulte. Les principes qui naissent d'une révolution doivent survivre à ceux qui, par leur corps et leur esprit, les ont écrits. Or les générations se succèdent et disparaissent. Mais si les générations se succèdent et ne se ressemblent pas, les dictateurs se succèdent et se ressemblent. Ce qui va maintenir l'unité des principes de la révolution de toute une génération et sa défense, c'est un texte unificateur pérenne auquel les générations successives pourront se référer. En somme, une déclaration qui, par son universalité et sa force, défiera le temps, la tyrannie et les dictatures. La révolution tunisienne a inscrit dans les esprits des générations d'aujourd'hui, ce que d'autres révolutions historiques, en leurs temps, ont inscrit dans la mémoire des peuples qui se sont soulevés et qui peut se résumer en une phrase force: «‑Plus jamais ça‑!‑». La révolution américaine, la révolution française pour ne citer que les icônes, se sont érigées en monuments historiques de la lutte des peuples et elles ont été codifiées. Elles ont servi à enrichir, sinon à modeler et inspirer les déclarations des droits de l'Homme, y compris la Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations unies. La révolution tunisienne ne vaut pas seulement pour la Tunisie, elle vaut pour tout le monde arabe et au-delà pour tous les pays du monde. La preuve en est, qu'elle a été le catalyseur et la référence de toutes les révolutions qui ont secoué et secouent actuellement les régimes arabes. Aussi, est-il impératif que les principes qu'elle véhicule trouvent leur place dans une Déclaration qui aura pour avantage de défier le temps, d'entretenir la mémoire et, surtout, de servir de référence juridique incontournable pour le droit national. La Constitution tunisienne à venir, devra s'y référer et consacrer ses principes afin que nul dirigeant à venir ne puisse en manipuler illégalement les dispositions au gré des assemblées assujetties. La Constitution tunisienne se référera à la déclaration de la révolution tunisienne comme d'autres nations se référent dans leurs Constitutions aux textes fondamentaux de leur révolution. La déclaration de la révolution tunisienne sera la référence pour les générations à venir, elle sera étudiée dans les écoles et les universités. Comme le sont les déclarations révolutionnaires d'autres peuples. La déclaration sera donc le texte fondamental de la Révolution tunisienne. Elle énoncera un ensemble de droits inaliénables, individuels et collectifs. Elle énoncera et protégera les libertés publiques. En somme, elle sera la référence de toutes les institutions publiques dans leur activité politique, économique et sociale. Mais quelles particularités revêtira la déclaration issue de la Révolution tunisienne par rapport aux autres déclarations des droits de l'Homme connues (américaine, française, universelle…) ? Issue d'une volonté populaire tunisienne, bâtie sur les sacrifices d'un peuple, elle doit consacrer les grands principes issus de la lutte du peuple pour sa liberté et sa dignité mais aussi codifier les principes qui mettront un frein à l'oppression et à la dictature à travers la manipulation des institutions et de la Constitution (présidence à vie, révisions arbitraires de la Constitution, accaparement des ressources publiques, parti unique, dérive sécuritaire...). Ainsi, cette déclaration, bien que naissant d'une révolution tunisienne, s'en détache cependant par l'universalité de ses principes. Elle sera aussi à une échelle mondiale une référence pour les peuples opprimés et sous la dictature. Les Tunisiens, en tant que peuple, savent que leur révolution a une universalité et a ouvert des perspectives de liberté et de dignité pour tous les peuples, qu'elle se doit d'être codifiée pour le reste du monde. Sa codification, sera d'un intérêt immense à la fois pour la Tunisie elle-même pour se prémunir contre l'oubli et le retour des dictateurs, mais aussi pour les peuples qui en ont pris exemple et qui s'y référeront dans leurs propres Constitutions. Il ne tient qu'aux juristes nationaux d'en concevoir le contenu. Un contenu qui permettra de transformer en normes juridiques les aspirations de tout un peuple à la liberté et à la dignité. Il serait pertinent, vu son universalité et son importance pour le monde arabe et au-delà de l'appeler «‑Déclaration des droits du peuple‑». La portée de cette déclaration sera qu'elle servira de base à l'Assemblée constituante pour l'élaboration de la Constitution tunisienne. Constitution qui doit s'y référer dans son préambule et rappeler ses dispositions. Elle sera aussi le fondement de toute action visant à remettre en cause un régime en place qui en violerait les dispositions. Et le Conseil constitutionnel, à l'image d'autres expériences, aura certainement dans l'avenir à la consacrer comme source du droit national. En effet, si chaque dictateur arrivant pourra avoir les velléités de balayer la Constitution ou d'en changer les dispositions non modifiables, il sera constitutionnellement dans l'illégalité. Il ne pourra pas couvrir cette illégalité car il sera indéfiniment dans une illégalité manifeste à l'égard de la Déclaration des droits du peuple. Et le peuple pourra la défendre par les moyens que l'on connait et qui dissuadent les volontés dictatoriales. Ces dispositions immuables sont, parmi d'autres, celles relatives à la forme républicaine du régime, à l'alternance au pouvoir, au nombre des mandats des gouvernants, au parti unique, à la redevabilité des gouvernants … En somme, une déclaration des droits du peuple pour la bonne gouvernance. La Tunisie inaugurera alors une ère de droit nouvelle où le gouvernant sera assujetti à des normes supérieures issues de la volonté du peuple et inscrites dans sa déclaration. Normes devant être consacrées dans la Constitution et auxquelles il ne pourra déroger. La déclaration du peuple étant immuable et éternelle, hors de sa portée et transcendant les générations, s'impose. Il serait merveilleux de pouvoir lire dans les livres, dans nos écoles, nos universités et face à nos dictatures, un préambule de cette «‑déclaration des droits du peuple‑»‑: « Nous, peuple épris de liberté et de justice, croyant fondamentalement en l'Homme et au respect de ses droits et de sa dignité, déclarons que la résistance à l'oppression et à l'injustice des gouvernants est un droit inaliénable pour tous…. Nous prenons à témoin les peuples du monde entier qu'à partir de ce jour, le peuple tunisien s'opposera à toute dérive dictatoriale du régime politique à travers la modification illégale de la Constitution ou l'assujettissement des institutions de la République à des intérêts personnels. Nous déclarons que la dénonciation, individuelle ou collective, de tout accaparement des ressources publiques par les autorités élues ou désignées, par elles-mêmes ou par leur entourage, est un droit légitime des citoyens. Nous imposons l'exigence de transparence dans la gestion des ressources publiques comme droit inaliénable des citoyens qui pourront exiger, individuellement ou collectivement, à travers les instances compétentes, des comptes à tous les gouvernants à toute époque et en tout temps…..» Ce sont là quelques pavés allégoriques, qui ne présagent ni de la formulation ni du contenu ni même de l'appellation de cette «‑Déclaration des droits du peuple‑». Déclaration dont la nécessité cependant, eu égard aux leçons de l'histoire, est plus qu'évidente. Aussi, il n'en tient qu'aux bonnes volontés, publiques et privées, d'identifier les parties prenantes, issues du peuple, pour promouvoir la rédaction d'une telle déclaration et d'en faire une réalité, qui le restera pour le passé et pour l'avenir. L'histoire des pays, nous apprend que les nations qui se sont développées sont celles qui ont eu leur révolution. Mais une révolution qui a été codifiée, entretenue pour les générations et par les générations, enseignée et opposée à toutes les dictatures présentes et à venir. Pour paraphraser un célèbre professeur de droit, le droit constitutionnel assurant «‑l'encadrement juridique des phénomènes politiques‑», dans le cadre étatique, la «‑déclaration des droits du peuple‑» servira à l'encadrement populaire des phénomènes politiques dans le cadre national. En effet, que serait le droit sans le peuple? Les dictatures, sont des phénomènes…. politiques. Ils s'encadrent du droit, d'un certain droit, jusqu'à ce que le peuple s'éveille. Une Déclaration est pour un peuple qui s'est réveillé, de le maintenir en éveil. * Professeur de droit public - Expert international des Nations unies