Par Abid BACHRAOUI * Révolution du 14 janvier 2011 : chacun y va de son mieux pour l'expliquer, la justifier, la caractériser selon son point de vue, ses convictions; le fait est qu'elle ne laisse personne indifférent. A mon sens, il s'agit de l'expression d'une prise de conscience d'un déséquilibre chronique et récurrent devenu intolérable. Le déséquilibre est avant tout flagrant entre les régions dans leur développement inégal et intégral : économique, social et culturel. Les investissements, qu'ils soient publics ou privés, n'ont rien fait pour rééquilibrer la balance. Les infrastructures n'ont jamais été réalisées sur la base d'un aménagement du territoire qui tient compte de l'écart à combler entre les régions : souvent, celles qui sont relativement développées ont été avantagées dans les plans de développement successifs, lorsqu'ils existent. Il en a découlé un développement régional sauvage, permettant aux riches de s'enrichir encore plus et aux pauvres de perdre encore plus de points : les quelques tentatives, de bonne foi ou simple poudre aux yeux, ont connu le même sort : l'échec. Cette situation, qui plonge ses racines dans le passé même lointain de la Tunisie, a fini par donner lieu à un sentiment de frustration; cette frustration était d'autant plus amère pour les régions les plus défavorisées qu'elles ont souvent payé un tribut élevé dans la lutte pour l'indépendance. Il en a résulté que le sentiment d'appartenance à une même patrie a été soumis à rude épreuve : la solidarité — pour ne pas dire l'unité — nationale a été sérieusement ébranlée, d'autant plus que son étalement dans les vrais-faux discours officiels était en contradiction flagrante avec le vécu quotidien. Le gap entre la capitale et le reste de la Tunisie, entre le littoral et l'intérieur du pays se creusait à vue d'œil au fil des années. Une Tunisie qui se développe à deux vitesses ne peut être viable : elle ne tient pas la route. Comme tout corps soumis à de telles torsions, il se désarticule; c'est dans la nature des choses. Cela ne pouvait durer bien longtemps ! Damné, dénudé, muselé, celui qui n'a rien n'a plus rien à perdre : par son geste sublime et ultime — s'immoler par le feu — Mohamed Bouazizi, le bien nommé, l'élu, le symbole, sauve sa dignité et permet à son peuple de récupérer sa liberté, trop et trop longtemps bafouée ! Les mouvements de protestation les plus durs, qui ne sont pas le fruit du hasard, sont souvent partis des régions les plus défavorisées : bassin minier, haute steppe, zones rurales négligées avec une agriculture marginalisée et fragilisée et un exode souvent provoqué; c'est la réponse du berger à la bergère ! Le 14 janvier permettra-t-il de générer une volonté politique qui soit au diapason des relations régionales du pays et ses exigences, qui sache ramener la paix et la sécurité dans les régions et surtout dans les cœurs ? A moins de transférer le centre des pouvoirs de décision de Tunis à Sidi Bou, le rural celui-là, celui de l'intérieur !