Les évènements survenus au cours des dernières semaines dans certaines aires protégées tunisiennes appellent à être correctement interprétés, afin de nous arrêter sur les causes des dégâts et opter pour des stratégies solides de conservation de notre patrimoine vivant dans les parcs nationaux et les réserves naturelles. Il est indéniable que les aires protégées tunisiennes constituent un acquis national où un certain nombre de fonctions sont assurées, notamment la conservation, la recherche, l'éducation et le tourisme naturel. Des espèces rares aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale y vivent et nous sommes dans l'obligation morale de les préserver pour les générations futures. Nous proposons des pistes de réflexion autour des questions relatives aux aires protégées tunisiennes. L'état des lieux En Tunisie, huit parcs nationaux ont été créés depuis 1977. Une vingtaine de réserves naturelles ont également été créées surtout en 1993. Au cours des deux années précédentes, dix réserves naturelles ont été ajoutées, ainsi que neuf parcs nationaux. L'ensemble des aires protégées comprend quatre îles et îlots (Kneiss, Chikly, la Galite et les îles Zembra et Zembretta), les autres aires protégées sont situées sur le continent. Parmi les parcs nationaux tunisiens, il y a quatre réserves de la biosphère (Ichkeul, Zembra et Zembretta, Bou Hedma et Chambi). Ce concept a été créé par l'Unesco afin de chercher une compatibilité entre la conservation et la présence humaine dans les aires protégées, suite au constat que des conflits ont été enregistrés entre les habitants et riverains des zones protégées et les autorités, notamment en Afrique subsaharienne. L'alternative proposée suggère qu'une présence humaine dans les aires protégées est tolérée, à condition que les modèles de développement des communautés rurales s'intègrent dans le cadre d'un développement durable, et que ces groupes humains tirent profit de la présence des parcs nationaux. Les aires protégées tunisiennes sont créées et gérées par la Direction générale des forêts qui relève du ministère de l'Agriculture. Le facteur humain Une des caractéristiques des aires protégées tunisiennes est l'absence de présence humaine en leur sein, sauf la petite population qui habite toujours le parc de l'Ichkeul. Des populations ont été déplacées lors de la création de certains parcs, notamment à Chambi et Bou Hedma, sans compensation. Les habitants de ces sites étaient considérés comme des occupants illégaux des terrains forestiers de l'Etat et ont donc été évincés de ces milieux. La volonté de maintenir les populations humaines en dehors des aires protégées a constitué une politique délibérée dès leur création, en considérant que la présence humaine est incompatible avec la conservation. Cette situation a créé un sentiment de frustration des habitants de ces sites et de leurs environs qui ne voyaient dans la création des aires protégées que leur exclusion de territoires qu'ils avaient l'habitude d'exploiter (surtout pour le pâturage et l'agriculture). Certaines situations sont inextricables, car des hameaux se trouvent au sein même de parcs, mais sont considérés comme n'en faisant pas partie, comme c'est le cas du parc d'El Feija. En effet, le douar situé dans l'enceinte même du parc est entouré de tous les côtés par ce dernier, et n'est pas considéré comme partie intégrante de l'aire protégée. Les différents plans d'aménagement et les programmes de développement des aires protégées tunisiennes ne prévoient pas, à notre connaissance, des mesures efficaces et durables intégrant la dimension humaine dans leur gestion. Un des «acquis» des habitants des environs des parcs nationaux est d'avoir embauché certains parmi eux comme gardiens des parcs. La situation de certains parmi eux demeure précaire en raison de leur statut social. Urgence de résoudre les conflits Les conflits qui ont récemment été relevés autour des aires protégées concernent les parcs de Chambi, Bou Hedma et d'Ichkeul qui font tous les trois parties du réseau des réserves de la biosphère. Dans les trois situations, il y a eu pacage dans les parcs, en dehors du problème de la pêche dans le lac de d'Ichkeul. Tous ces parcs ont été créés il y a une trentaine d'années. Une solution négociée doit être entamée, afin de solutionner les conflits avec la population locale. Il y a surtout lieu de compenser les terrains d'où des habitants ont été délgogés (cas de Chambi et Bou Hedma), pour ne pas leur donner de prétexte pour détruire ce qui a déjà été établi. La situation de la population de l'Ichkeul est à étudier, car elle continue à habiter le parc. Une solution négociée avec la population est à entamer, afin de trouver une solution orientée vers son établissement définitif au parc, ou vers des solutions compensatoires permettant à ceux qui veulent le quitter de pouvoir vivre ailleurs. Conflits latents ou potentiels Même si au parc d'El Feija aucun conflit n'a été signalé, il y a lieu de constater déjà que toute la clôture du parc a été éliminée depuis déjà plusieurs années, et que seule la réserve instituée dans les années 1960 reste protégée. En effet, il n'y a actuellement aucun signe permettant de connaître sur le terrain les limites du parc, utilisé comme terrain de parcours par la population locale (douar d'El Feija et autres agglomérations attenantes au parc). Une solution négociée permet également de solutionner le problème. Parmi les nouvelles aires protégées créées au cours des deux dernières années, certaines posent problème en termes d'utilisation de l'espace, notamment pour le pâturage (El Ghorra, Jebel Chitana et Oued Zeen, pour ne citer que ces trois-là).Une révision des limites de ces aires permet de mieux les cerner et d'éviter des conflits potentiels. Les mesures précédemment citées ne résoudront évidement pas le problème des aires protégées tunisiennes. D'autres mesures doivent également être mises en place, afin de rendre ces sites avantageux à leurs riverains, notamment par le développement de l'écotourisme ou la formation de guides locaux (opérations déjà initiées dans certains parcs nationaux). Si la visite des parcs nationaux est actuellement gratuite, elle ne devrait plus l'être dans l'avenir. Cela a déjà été prévu dans les textes édictant les nouveaux parcs. Une approche permettant de différer les droits d'entrée entre Tunisiens et étrangers (comme c'est cas dans de nombreux pays du monde) permettra de renflouer les caisses et accroître les budgets des parcs. Il y a lieu de noter qu'au moins une partie de ces recettes devrait être gérée localement, afin de parer aux urgences et aux dépenses courantes (facture d'électricité par exemple) et de réaliser des travaux demandant peu de moyens financiers. Des solutions durables La viabilité du système d'aires protégées en Tunisie dépendra de la politique de conservation menée par le pays. Il y a d'abord lieu de clarifier le statut de chacune des deux catégories d'aires protégées existant en Tunisie ou, à la limite, d'adopter la classification proposée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn). D'abord, et en termes de gestion, il fallait concevoir pour les différents types d'aires protégées, des structures permanentes de gestion des ressources vivantes. Ces structures comprendraient un comité scientifique de gestion dont la mission est surtout liée aux différentes actions à entreprendre dans ces espaces (inventaire, réintroduction, prélèvement, détermination de la capacité de charge…) et une autre structure (ou section) qui s'occuperait des activités dans les aires protégées (écotourisme, relations avec la population locale, formations…). Un pas a déjà été franchi dans ce sens dans les textes de création des nouveaux parcs nationaux, mais ces derniers doivent être élargis et les compétences des nouvelles structures précisées, dans le cadre d'une politique saine de conservation. L'accroissement du personnel destiné à gérer les aires protégées est une des nouvelles priorités. Les parcs nationaux tunisiens sont gérés actuellement par des forestiers qui ont d'autres missions à accomplir en dehors de leurs tâches de gestion quotidienne de ces espaces. Les réserves naturelles manquent de personnel et il est impératif que leur gestion soit déléguée à un personnel bien formé. Bien des choses restent à faire, dont la précision du statut des espèces, selon des critères objectifs et solides (il y a lieu de réviser la liste établie par le ministère de l'Environnement et connue sous le nom de «Règnes», ainsi que l'arrêté du 19 juillet 2006 fixant la liste de la faune et de la flore sauvages rares et menacées d'extinction). Remarquons enfin que d'importantes lacunes dans les connaissances de nos ressources vivantes sont à pointer. L'effort d'inventaire de ces richesses biologiques est encore à consentir et à soutenir pour que des compétences nationales émergent, et que les aires protégées tunisiennes accomplissent au mieux les missions qui leurs sont dévolues.