Par notre envoyée spéciale à Sharjah Faouzia Mezzi Que peut bien apporter la réflexion sur «Le théâtre arabe entre deux décennies»? Quelle en serait l'opportunité, alors que ce théâtre est plutôt confronté à des questions d'ordre esthétique, économique, culturel, mais aussi d'ordre politique? C'est pourtant sur cet intitulé que les organisateurs des 21e journées théâtrales de Sharjah ont cru bon d'axer leur colloque. «Les méthodes, les contenus et les espaces de la représentation théâtrale» et «Les nouvelles visions et orientations du théâtre arabe». Si le programme des représentations théâtrales s'en tient aux pièces locales établies à Sharjah, à Dubai, à Abou Dhabi,et aux autres Emirats de la Fédération, le colloque est, quant à lui, ouvert à la participation arabe. Chercheurs universitaires, critiques de théâtre ou créateurs, les communicateurs ont essentiellement abordé des questions un tant soit peu récurrentes : l'incidence du texte dans la création théâtrale, le travail sur le corps, les procédés de l'écriture scénique , les nuances structurelles (théâtre amateur, théâtre professionnel, théâtre privé, théâtre public, théâtre culte, théâtre commercial..), la critique théâtrale, la recherche théâtrale etc.. Thèmes obsessionnels ,si l'on peut dire, qui titillent les chercheurs tout autant que les créateurs à longueur de colloques et d'études publiées ça et là dans les quelques revues soit-disant spécialisées? C'est que le théâtre arabe ou les théâtres arabes( certains revendiquent la pluralité de ce théâtre, compte tenu des spécificités qu'il engendre), n'arrive pas encore comme le spécifie Khaled Amin , chercheur marocain, la question est loin d'être tranchée en ce qui concerne le suivi critique de la création. Alors que la création est parvenue à s'inscrire dans ce que la chercheuse allemande Erika Fischer Lischt appelle «l'interculturalité du spectacle», la critique s'attarde souvent sur des questions comme la spécificité, les hypothèses du genre: le texte doit-il être basique dans un projet de création? L'écriture scénique , pour autant qu'elle est souvent perçue comme un but en soi, ne risque-t-elle pas de porter préjudice à l'exigibilité du message théâtral? Et j'en passe.. La faute à la critique? N'empêche que la critique a aussi eu à jouer un rôle dans la reconnaissance de ce que l'on appelle le renouveau théâtral. Lorsque Sabri Hafedh Sabri d'Egypte propose une interprétation du théâtre de Taoufiq Jebali à travers ce concept de balancement entre la polyphonie dans le sens bakhtinien d'une part et d'autre part l'écriture scénique, ne touche-t-il pas, dans le fond, à une approche qui tente de disséquer les tenants d'une démarche inscrite en porte-à-faux contre les sentiers battus.L'hégémonie de l'image est encore une autre notion sur laquelle repose parfois confortablement, c'est -à dire sans trop approfondir ses éventuelles incertitudes, la communication d'Ibrahim Haj Abdi de Syrie qui aborde le théâtre de son pays dans l'optique d'une évaluation de l'expérience innovatrice. Il est vrai que ce théâtre, tel qu'on l'a fréquenté assez souvent lors des différentes sessions des J.T.C., abonde dans le sens d'un travail sur l'image, souvent stylisé et défiant tout dosage. Mais considéré sous un prisme culturel global, les arts syriens ont tous foncé dans cette direction : voler la vedette aux Egyptiens et en théâtre, supplanter les Tunisiens. S'ils ont réussi leur tour de force au cinéma, il semble que leur expérience théâtrale s'est plus focalisée sur la performance physique de l'expérience tunisienne, sur l'architecture de l'image aux dépens d'une production du sens qui est inhérente à cette expérience. Le même constat serait à faire s'agissant du théâtre jordanien abordé par Jamel Ayed, à cette nuance près que le théâtre jordanien se préoccupe sensiblement plus de ce qu'il est communément appelé le message, son propre message, imprégé par sa propre culture, apparemment plus ancrée. L'une des recherches exposées dans ce colloque, celle de l'égyptien Saied Al Imam, brosse le rapport de la création à la production dans l'expérience égyptienne. Une approche d'autant plus intéressante qu'elle décante un certain nombre de concepts à l'origine de plusieurs questions posées par le parterre lors des débats : comment se présente la production dans les différents théâtres arabes? Quels sont les rapports de production, dans les théâtres publics et dans les théâtres privés? Le soutien de l'Etat à certaines structures ne présuppose-t-il pas une entrave à la liberté de la création? Le théâtre privé peut-il survivre en dehors d'un choix commercial? Ces questions ont également fait l'objet d'une communication que nous avons consacré au théâtre tunisien sous cet angle : les prolongements politiques de l'esthétique théâtrale en Tunisie. Le colloque a eu ceci de positif qu'il a reformulé ces questions, toutes aussi importantes même si , parmi elles , il y en a qui ont déjà fait le tour de plusieurs autres colloques et symposiums de par le monde arabe. Se pose néanmoins le besoin de suivi, au niveau de la documentation, mais aussi de l'orientation de la recherche. Tout comme les théâtres arabes tendent vers un échange, organisé et fédérateur de leurs expériences, la recherche et la critique ont plus que jamais besoin de se réorganiser dans des instances associatives, éditoriales aussi, pour se mettre en phase avec tout le mouvement de la création, en vue d'une synergie constructive qui puisse galvaniser l'énergie des créateurs tout en promouvant une culture théâtrale dont le rôle mobilisateur des publics n'est point à négliger.