Par Soufiane BEN FARHAT Quoi de neuf sous nos tropiques ? La profusion des chefs. Partout, ils pullulent. Grouillent, gribouillent et grenouillent. Avant le 14 janvier , c'était un mal limité à nos deux monarques républicains et leurs plus fieffés tartempions. Désormais, c'est un véritable fléau. Le cheffisme est désormais la maladie postrévolutionnaire la plus répandue en Tunisie. Quoi de neuf sous nos tropiques ? La profusion des chefs. Partout, ils pullulent. Grouillent, gribouillent et grenouillent. Avant le 14 janvier , c'était un mal limité à nos deux monarques républicains et leurs plus fieffés tartempions. Désormais, c'est un véritable fléau. Le cheffisme est désormais la maladie postrévolutionnaire la plus répandue en Tunisie. D'abord, ils officient au niveau des partis politiques. Jusqu'ici, plus de cent-dix demandes de constitution de partis ont été déposées. Jusqu'ici seulement. Et à la tête de chaque parti, il y a des dirigeants. Hormis celui dont la direction, la base, le ban et l'arrière-ban se réduisent à un seul homme. En plus de sa femme. Cela n'autorise guère le mélange des genres, à l'échelle évaluative du moins. Certes, il y a bien évidemment ceux dont c'est le plein droit, légitime qui plus est. Voire l'impérieux devoir. Leurs profils, maintien et ambitions autorisent d'aspirer à jouer les premiers violons dans le concert de la politique. Mais il y a aussi des dizaines et des dizaines d'illustres inconnus. Ceux qui se sont avisés de fonder un parti politique sur un simple coup de tête. A l'instar de celui qui, tout compte fait, décide de passer l'après-midi à la banlieue nord plutôt qu'à la banlieue sud. Comme ça, instinctivement. Ou par mimétisme. Ou en désespoir de cause. Certes, nous dira-t-on, en Espagne, après la mort de Franco, près de trois cents partis politiques ont été constitués. Oui, certes, bien évidemment. Les comparaisons ont bon dos. Mais à défaut d'étalon espagnol, il y a le syndrome de l'armée mexicaine. Celle qui compte une vingtaine de généraux pour un simple soldat. La politique est une question trop grave pour la soumettre aux seuls caprices de la fantaisie. Son but, c'est la conquête du pouvoir. Et le pouvoir influe considérablement sur le vécu des simples mortels que nous sommes. Laissons le temps au temps. C'est le meilleur — et plus cruel — filtre. Toutefois, le syndrome de l'armée mexicaine ne se limite pas aux seuls partis. Toutes les instances en sont contaminées. A commencer par l'Instance etcétéra (Conseil de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la Réforme politique et de la Transition démocratique). Initialement, elle était composée de quelque soixante-dix membres. Après conciliabules, empoignades et échanges plutôt acerbes, on a décidé d'en élargir l'assise. Hier, elle a réuni plus de cent-trente membres. A telle enseigne que le siège du Conseil économique et social ne peut plus les contenir. Désormais, ils se réuniront au Sénat. Ce qui veut tout dire. Et puis, en politique plus qu'ailleurs, toute chose a un prix. Aujourd'hui, la question de la multiplication des chefs au niveau des partis se traduit par des exigences constitutionnelles. Un exemple parmi tant d'autres : l'Instance etcétéra devra discuter du mode d'élection de l'Assemblée constituante prévue le 24 juillet. Pour de nombreux observateurs, le mieux serait d'adopter un scrutin uninominal à deux tours. Or cela ne fait guère l'affaire des partis politiques, dont beaucoup privilégient le scrutin de listes à la proportionnelle. Ainsi, le mouvement Ettajdid a-t-il qualifié il y a peu la première solution de dangereuse. A l'en croire, elle risque de favoriser les "potentats locaux issus du régime de Ben Ali", dit-on. En vérité, les partis ont intérêt à ce que le scrutin de liste, largement partisan, l'emporte. Chacun défend les saints patrons de son bled. Ou de son fief. En revanche, les indépendants penchent massivement en faveur du scrutin uninominal à deux tours. D'ailleurs, la composition de l'Instance etcétéra s'est considérablement élargie suite à la requête des partis d'y renforcer leurs effectifs par rapport aux indépendants, jugés en surnombre. Bref, les enjeux dépassent les seuls clivages politiques. Derrière eux se profile la question du statut des principaux acteurs de la scène politique nationale à moyen terme. Beaucoup de commentateurs craignent l'émergence (ou la résurgence) sous nos cieux de ce que les Italiens qualifient de "partitocratie". Il s'agit bien d'un système politique au sein duquel le pouvoir serait exclusivement détenu par des partis politiques. Et ce serait, en sus, l'apanage de la plupart des régimes parlementaires. Le cheffisme, maladie infantile de la Révolution tunisienne, se greffe sur des enjeux aux issues sinon alambiquées, du moins tortueuses.