« Les idées, une fois nées, ne s'anéantissent plus ; elles peuvent être accablées sous les chaînes, mais, prisonnières immortelles, elles usent les liens de leur captivité » Chateaubriand Quand le mot saigne et la pensée se meurt, l'espérance flétrit et l'horizon noircit. Quand, la grêle menace de déchiqueter l'idée et que le déluge l'emporte et la précipite dans le ravin de l'oubli, ne subsistera que le tonnerre assourdissant des déferlantes qui fracassent le balbutiement inaudible des mots. Quand le mot est étouffé par une censure implacable, ne survivra que le silence lourd et pesant de la chape de plomb. Quand le mot s'éteint, blessé, les ténèbres de la peur enveloppent la clarté du jour naissant, s'installe l'hiver, long et interminable, de la démission. La parole se fera murmure imperceptible, le mot, signe inintelligible. Quand le langage est atrophié, la pensée asphyxiée, la création immolée, l'expression inhumée, nous serions les fantômes de nos âmes, apatrides, errant sur les épines de notre tragédies. Mais, le mot gaulé, la pensée foudroyée renaitront, toujours de leurs cendres, semences généreuses et éternelles. Ils demeurent, longtemps, tapis dans un sol stérile, se nourrissant de volonté et d'espoir. Ils tissent des lendemains lumineux et donnent cet élan fougueux à nos rêves. Comprendront-ils que les bourreaux de la pensée ne sèmeront que le feu de l'indignation et de la colère ? Comprendront-ils que les fossoyeurs de l'idée ne cueilleront que les flammes de l'exaspération ? Savent-ils que les enterrements de la pensée ont, toujours, allumé des feux de joie ? Savent-ils que, durant les interminables décennies de solitude et de sommeil cauchemardesque, nos chuchotements ont allumé le brasier de la contestation ? Savent-ils qu'interdire l'expression de la pensée ne tue jamais, son souffle ? Savent-ils que nous fûmes endormis, par une dictature qui n'a, jamais, réussi à anesthésier ce feu sacré qui nous anime ? Savent-ils que l'idée survit à toutes les muselières, qu'elle demeure féconde et frissonnante, sous les mottes de la terre ? Savent-ils qu'elle respire notre espérance et porte ce rêve que nous enfantons ? Savent-ils que, plus jamais, notre voix ne se taira ? Se sont-ils rendu compte de ce vent de liberté qui a desserré l'étau et déchiré le voile de l'interdit ? Ont-ils vu, devant les marchands de journaux, les attroupements de personnes venir tous les jours, glaner des informations, s'arrêter pour lire un article, feuilleter un journal, regarder une image, dans un silence respectueux et émouvant, certains n'ont, peut-être, pas de quoi acheter ce journal, objet de quête et de désir ? Se sont-ils aperçus de cette belle floraison de journaux, de magazines, annonciatrice d'un printemps de la pensée ? Se sont-ils rendu compte que ce peuple s'est libéré des entraves du passé et de la prison du mutisme, qu'il s'est réapproprié son destin et a choisi de relever la tête et de rester debout ? Pourquoi des journaux sont-ils attaqués et les journalistes molestés ? Au nom de quel droit certains groupes foulent-ils la liberté d'expression ? Pourquoi des chaînes télévisées sont-elles muselées et jugées par ceux qui s'érigent comme les défenseurs de la morale et du dogme ? De quel droit se permettent-ils de condamner, de dénoncer les journalistes ? Voudraient-ils imposer silence à toute voix discordante ? Voudraient-ils bâillonner un peuple qui a recouvré la parole, a fait sauter les verrous de la censure ? Crucifiés, nous nous étions recroquevillés dans le linceul de la pensée unique, hagards et perdus, enfermés dans ce cocon asphyxiant. Nous avions perdu l'usage de la parole, tellement les mots sonnaient creux. Etrangers à nous-mêmes, nous avions appris à chuchoter, à grimer les mots, à taire leur musique et leur sonorité. Nous avons fini par déserter le monde vivant de la parole libérée. Mais, un jour, tels des chrysalides, nous avons réussi à nous extirper de cette geôle, nos cris ont atteint l'azur d'un rêve haut et beau. Les voix, longtemps muettes, des esclaves de la pensée, se sont élevées et fait le signe de la démocratie. Nous avons découvert, avec délectation, à humer la liberté des mots. Nous avons ressuscité l'espérance de la parole et le phénix a pris son envol.