Par Soufiane BEN FARHAT Franchement décevant. Le communiqué des trois présidences, publié hier, est en deçà des attentes. En cette période particulièrement critique, on escomptait un signal fort. Et la montagne a accouché d'une souris. D'abord, dès le second paragraphe du communiqué, qui en compte vingt, des assertions triomphalistes. Il s'agit en premier lieu de l'élaboration de la Constitution, dont un seul article a été rédigé jusqu'ici. Puis viennent les indices économiques positifs, la période des examens, retardés par la fuite des épreuves du Bac et la bonne moisson des grains. Puis une affirmation à l'emporte-pièce instruisant que désormais la Tunisie est devenue «un Etat qui a un peuple et un peuple qui a un Etat». Du n'importe quoi en somme. A moins que nos trois présidences ne se soient trompées d'époque, de peuple et de cause. C'est en fait comme s'il s'agissait du peuple palestinien lorsque sa cause, vers la fin des années 60 du XXe siècle, s'apparentait à une question de réfugiés. Et que la consécration de son droit à un Etat ait été assimilée à une victoire historique. Bref, le communiqué est émaillé d'envolées lyriques, d'énoncés ostentatoires de principes et de formules savantes. Il y est même fait appel à croire avec confiance en l'unité de la «direction politique». Certains termes y sont codés, politiquement corrects. Ils semblent la résultante d'un consensus mou, voire d'un désir d'arrondir les angles. Tels les mots «majmou7at el ghoulouou», littéralement les groupes d'exagération et d'immodération. Un terme très en vogue dans les pays du Golfe, ceux-là mêmes qui prônent le prosélytisme light et dont l'attitude face aux extrémistes religieux est laxiste. En même temps, divers protagonistes sont renvoyés dos à dos. Comme pour contenter les uns et ne point froisser d'autres. La situation est grave. Elle récuse les exercices de style traduisant les postures politiques contorsionnistes. Ou les mauvais arrangements en lieu et place des bons procès. Les Tunisiens doutent. Beaucoup ont peur. Ils ont besoin de la fonction sécurisante de l'autorité. En période critique, les valeurs-refuge sont prisées. Et les bons politiciens sont ceux-là mêmes qui savent pallier cela. On ne le redira jamais assez. La mauvaise communication est contreproductive. Par vocation et essence si l'on ose dire. Les trois présidences devraient peaufiner leur modus operandi en matière de communication. Elles souffrent d'un discrédit progressif, quoi qu'en disent les sondages. Ici et maintenant, la crise est multiforme. La crise de légitimation est aussi de la partie. Proportionnelle à la formidable confiance investie dans les nouveaux pouvoirs issus des élections de la Constituante. Petit à petit, les automatismes de l'autorité et du pouvoir ont repris le dessus. Et les contingences de la vie ont investi la place. Avec leur lot de prosaïsme et de servitudes aussi. La grandeur de l'homme politique tient surtout de la pertinence de son intervention en période critique. Faire montre de mièvrerie ou d'inconsistance finit par retourner l'opinion, quelles que soient les prédispositions psychologiques préalables. Aujourd'hui, les Tunisiens attendent une attitude ferme vis-à-vis des extrémistes. Et une remise en cause, par les trois présidences, des automatismes et mécanismes défectueux de l'autorité. Cela embrasse tant les questions de sécurité que les étranges fuites, reports et retards des examens nationaux. Des responsables doivent rendre compte de cela. Et des têtes doivent tomber au besoin. Trêve de simplisme, et encore moins d'autoréférentialité niaise ou béate. Nous frisons l'état d'anarchie. Il y a péril en la demeure. Avoir trois des gouvernorats bastions du tourisme (Tunis, Sousse et Monastir) sous couvre-feu n'est guère pour rassurer. Cela peut même s'avérer fatal pour la saison touristique, pour les retours des émigrés, pour l'investissement. Se contenter de professions de foi simplistes n'est guère pour arranger les choses ou retourner la tendance. Et ce n'est peut-être qu'un coup de semonce. Le pire est peut-être encore tapi dans l'ombre.