Qui est José Mourinho? L'entraîneur, on le connaît un peu. Et pour cause! Beaucoup moins l'homme qui joue à être un personnage. Prétentieux, insolent, méprisant, provocateur. Il a horreur de discuter football avec les journalistes parce qu'il est convaincu de détenir la vérité et eux… l'ignorance. Pas commode, mais tout le monde fait avec. Le monsieur gagne. Alors silence. On écoute et on lit quelques morceaux choisis d'une interview accordée au journal français l'Equipe. A quoi pense José Mourinho le matin quand il se rase? (Rires). Je ne me rase pas tous les jours, au maximum deux fois par semaine, et je ne pense pas beaucoup. En fait, je ne pense à rien, parce que je déteste me raser. Alors quand vous êtes seul, dans votre voiture, sur le chemin du centre d'entraînement? Je pense que le trafic entre ma maison et ici est infernal. J'avance, j'arrête, j'avance, j'arrête. Pfff! Un trajet que je fais en quinze minutes après l'entraînement, je le fais en cinquante minutes le matin! Vous n'étiez pas contaminé par la tension ambiante? J'avais dit aux joueurs : «Ce n'est pas parce que j'ai gagné deux Ligues des champions que ça va vous aider à gagner». Et ce n'était pas parce qu'ils avaient eu de mauvais résultats les saisons précédentes, notamment contre Lyon, qu'ils allaient perdre. Ils allaient se qualifier parce que le Real de cette saison est meilleur que celui de la saison passée. Et après l'aller, à Lyon, nous étions rentrés avec la sensation que nous étions bien les plus forts. Benzema, vous a-t-il surpris quand il est venu, le 22 janvier dernier, vous parler lors de la mise au vert, avant le match de Liga contre Majorque (1-0, but de Benzema)? J'aime beaucoup communiquer avec mes joueurs et j'aime encore plus quand le joueur prend l'initiative d'exposer ses doutes, ses dilemmes, comme Karim l'a fait ce soir-là. Avant que j'arrive ici, tout le monde m'avait dit qu'il était introverti, qu'il vivait un peu en marge du groupe. Mais dès le premier jour, j'ai senti un jeune sympathique, intelligent, qui avait la volonté de s'intégrer. Quel était le problème alors? Il y avait presque une obsession autour de lui : il fallait qu'il devienne un grand joueur, un joueur important du Real. Pour cela, on était presque tentés de lui faciliter la vie : O.K., tu ne joues pas très bien, mais tu joues, tu ne travailles pas beaucoup, mais tu dois jouer, parce qu'on ne peut pas bloquer la progression d'un talent qui a coûté je ne sais combien de millions d'euros ! Moi, je pensais exactement le contraire : tu vas y arriver, mais tu vas y arriver grâce à tes efforts, à ta persévérance, à ta conviction. Je ne vais rien te donner. Si tu ne gagnes pas, tu te noies. Mais si tu gagnes, tu sortiras beaucoup plus fort de tout cela. Quel a été le moment le plus difficile de votre carrière? Les neuf mois d'inactivité après votre limogeage de Chelsea (le 19 septembre 2007), le 0-5 encaissé au Camp Nou le 29 novembre dernier? Pas le 5-0, parce que rien ne s'est arrêté là-bas, rien! Derrière? Il restait plus de la moitié du championnat à disputer. C'est douloureux sur le moment, pas plus. Le plus dur, ç'a été de perdre deux demi-finales de Ligue des champions, une à cause d'un but qui n'en était pas un, une autre aux tirs au but. La première fois, Gallas avait dégagé le ballon devant la ligne de but et tout le monde avait vu, même à quarante mètres de l'action, qu'il n'y avait pas but. Là, ce sont des échecs définitifs, douloureux. Avec l'Inter Milan, j'ai été éliminé par Manchester il y a deux saisons (0-0, 0-2). Manchester avait été meilleur, très bien! Franchement, la défaite avait été très facile à accepter. Mais avant, avec Chelsea, quand, à deux reprises, avec un groupe qui veut plus que tout gagner cette Ligue des champions, vous perdez de cette manière à une marche de la finale, alors oui, tu souffres. Surtout que je n'ai jamais perdu une finale. Et l'après-Chelsea? Quand j'ai quitté Chelsea, le premier mois a été fantastique, j'ai voyagé en Afrique, au Japon, j'ai fait des tas de choses que je ne pouvais plus faire. Le deuxième mois, c'était bien aussi, mais, dès le troisième, ç'a été horrible, affreux. Pouvez-vous nous expliquer votre comportement sur le banc, cette arrogance que vous dégagez en permanence? - C'est fondamental, pour moi, d'intéragir sur le match. Mais je suis très différent sur le banc, aujourd'hui, de ce que j'étais il y a six, sept ou huit ans. Parfois, je reste assis pendant presque tout le match, sans beaucoup communiquer, d'autres fois je suis debout de la 1ère à la 90e minute et très actif. Ça dépend de la situation, Aujourd'hui, je pense avoir acquis le bon équilibre entre l'action et la concentration extrême, celui qui permet d'aider l'équipe. Le secret de Mourinho, c'est seulement d'être proche de son équipe et de travailler beaucoup? Non, c'est de bien travailler. Mais la plupart des entraîneurs travaillent bien, non? Bien travailler, ça ne signifie pas seulement bien travailler sur le plan technico-tactique. C'est aussi travailler à la cohésion du groupe, à sa force. Améliorer la structure du club. On croit toujours que le football se joue entre les quatre lignes du terrain pendant 90 minutes. Mais la préparation d'un match va beaucoup plus loin que ça. Il y a plein d'aspects, au sein d'un club, qui ont un impact sur les résultats. Il faut pouvoir, je ne dirais pas les dominer, mais les gérer. Rien à voir avec ce qu'était le travail d'un entraîneur il y a dix ou vingt ans. Ce n'est pas fatigant, parfois, d'être José Mourinho? Non. Je suis lassé d'être José Mourinho socialement. Mais je l'assume parfaitement sur le plan professionnel, parce que c'est ma vie, parce que j'aime entraîner des clubs très ambitieux. Non, le plus dur, c'est la vie courante : aller à la plage l'été pour me repose avec ma famille, aller faire les magasins avec mon épouse, c'est impossible. Je ne peux pas aller voir mon fils jouer au foot comme n'importe quel autre père. Alors oui, de ce point de vue, ça me fatigue un peu. Peut-être parce que les gens ne savent pas, au fond, qui vous êtes? C'est très bien. C'est parfait. Ça veut dire que j'ai réussi mon coup. Avoir su préserver mon intimité, ça n'a pas de prix! Je veux rester une énigme aux yeux des personnes qui ne me connaissent pas. Seuls ma famille et mes proches collaborateurs doivent savoir qui est le vrai José Mourinho. Extrait tiré du journal L'Equipe