Hôteliers ou banquiers, qui serait à l'origine du problème de l'endettement du secteur hôtelier en Tunisie? Le problème fait encore et toujours l'objet de vifs débats au sein de la profession et de l'administration, car l'autorité de tutelle des banques, en l'occurrence la Banque Centrale de Tunisie, juge que les banques supportent un réel fardeau qui s'élève selon les chiffres officiels rendus publics en 2006 à environ 3.272 millions de dinars et dont 1.928 millions de dinars en créances classées (57 % du total des engagements). Selon la Fédération tunisienne des hôtelleries (FTH), ces créances classées sont elles-mêmes réparties en créances encore classées chez les banques d'un montant de 1.287 millions de DT, soit 40% du total des engagements et en créances cédées aux sociétés de recouvrement d'un montant de 641 millions de DT. Les calculs de ces dettes diffèrent d'une lecture à l'autre. Les banquiers présentent leurs chiffres alors que les professionnels eux-mêmes ne reconnaissent que 800 millions de dinars. Un écart dû selon M. Ridha Taktak, hôtelier, vice-président de la FTH et président de la Fédération régionale de l'hôtellerie de Mahdia, entre autres, à des méthodes de calculs appliquées par les banques et qui reposent sur des taux d'intérêt excessifs. «A partir des années 90 et lorsque les hôteliers demandaient des crédits auprès des banques d'investissements, ils devaient le payer au prix fort. Le taux d'intérêt appliqués aux agriculteurs a été de 8 %, celui appliqué aux industriels a été de 12 % alors que le taux d'intérêt du secteur hôtelier été établi à 15 %. Une pénalité qui puisait la légitimité des années 70 et 80 où le secteur était en bonne santé». Pour M. Taktak, le taux d'intérêt élevé n'a pas lieu d'être, puisque tout crédit bancaire doit prendre en compte un cœfficient de risque alors que le secteur touristique ne présente pas tellement de risque. «Outre ce taux d'intérêt excessif selon la fédération s'ajoutent les 3% de commissions prélevées à la source». Non-respect de la loi L'endettement des hôteliers est surtout aggravé par la non-application des banques des réglementations en vigueur mise en place par le législateur. Le premier dépassement mentionné par notre interlocuteur se résume dans ce qui suit. «Les banques de développement qui nous prêtent l'argent capitalisent les intérêts impayés pour les transformer en capital productif d'intérêts». Une pratique contraire à la loi du Code des obligations et des contrats exprimé par son article 1099 «que les intérêts non payés seront, à la fin de chaque année, capitalisés avec la somme principale, et seront productifs eux-mêmes d'intérêts». Une loi modifiée en 2000 et qui stipule; «les intérêts non payés peuvent être capitalisés avec la somme principale et seront productifs d'intérêt si les parties l'ont prévu par écrit». Une surcharge, qui, selon les professionnels du secteur, serait à l'origine de leur surendettement et qui «doublerait, à tort, leurs dettes» affirment-ils. Autre dépassement des banques prêteuses de crédits, le non-respect de la réglementation émise par la BCT. Une réglementation qui précise à travers l'article 35 de la circulaire N 87 40 datant de 1988 que «les intérêts sont payables à terme échu et comptés à partir de la date à laquelle le compte courant ou le compte chèque du bénéficiaire à été crédité». Une considération à laquelle les promoteurs hôteliers n'ont pas eu droit, puisque leurs intérêts sont payés préalablement et non à terme échu. «Les dégâts ne s'arrêtent pas, les banquiers ne respectent pas le code des investissements qui accorde aux investisseurs plusieurs avantages pour inciter à investir hors des zone traditionnelles. Je citerais la bonification des taux d'intérêts. Cet avantage, qui doit être prélevé directement du taux d'intérêt et à la signature des contrats de crédit, est en pratique détourné par les banques en leur faveur. Ces dernières se font payer sur le taux d'intérêt non bonifié et en imputant les montants des bonifications directement encaissées par l'Etat, sur les pénalités de retard», déplore M. Taktak. Facteurs exogènes Les dépassements sont très nombreux et l'hôtelier à du mal à les oublier. «Ces charges-là sont illégales et nous n'avons pas à les payer. La FTH a d'ailleurs, chargé un cabinet spécialisé afin de réaliser une analyse juridique et financière qui nous a permis de mettre le doigt sur toutes les incohérences entre les pratiques bancaires et la réglementation en vigueur». Une étude qui a fait ressortir les incidences financières de ces pratiques sur la dette du secteur hôtelier. Des incidences néfastes, certes, qui se résument tout d'abord par un blocage du financement des entreprises du secteur. «Une impasse qui a poussé les investisseurs à recourir au crédit fournisseurs et la propagation du fléau à d'autres secteurs de l'économie» déclare l'étude. Aussi, certains professionnels avouent recourir aux avances auprès des T.O. et cette pratique les fragilisent auprès de ces derniers et ouvre la voie à des pratiques comme la baisse des tarifs de séjour. Cette situation pousse par ailleurs, les professionnels du secteur à la simple survie et perdent tous les moyens, leur permettant un développement décent basé sur l'amélioration de leurs services, l'investissement dans de nouveaux produits, la formations du personnel… En plus «les unités les plus touchées par ce fléau subissent un harcèlement par les banques qui les menacent par la mise en vente de leurs unités hôtelières, de leurs habitations personnelles et de tous leurs biens». Il ne faut pas nier, non plus, que dans certains cas, cet endettement et en partie, une conséquence logique d'une mauvaise gestion des dirigeants «cette situation reste tout de même rare, car les investisseurs tiennent fortement à leurs projets et cherchent par tous les moyens à faire marcher leurs affaires» précise M. Taktak. «D'autres facteurs exogènes ont été parfois à l'origine de cet endettement comme les tentions géopolitiques internationales, le faible pouvoir de négociation des tarifs entre les entreprises hôtelières agissant seules et les T.O, faillite des voyagistes…» L'étude entreprise par La FTH prévoit même des solutions pour remédier au problème et pour empêcher que les mêmes erreurs du passé ne se reproduisent. «L'assainissement du secteur serait facile à réaliser si les banques respectent la réglementation en vigueur et enlèvent directement la bonification des taux d'intérêt et si elles annulent toutes les capitalisations d'intérêts impayés. L'application de l'article 35 de la BCT et l'annulation des intérêts de retards peuvent largement contribuer dans la pérennité des unités hôtelières tunisiennes».