Dans un passé qui ne date en fait que de quelques mois, le développement régional a servi de sujet à des milliers de pages, des milliers de documents et de conférences. Des mécanismes de tous genres sont mis en place, discutés, vus et revus dans tous les sens. Le bruit était tel autour de la question, la propagande si forte, si bien orchestrée que ce fut très facile de croire au miracle. Après tout, le pouvoir ne pouvait ou ne devait pas, moralement, aller au-delà d'un certain seuil de décence qui exclue le mensonge. Et pourtant les régions intérieures notamment n'ont pas évolué d'un iota. C'était facile de le vérifier. Il n'y avait qu'à regarder les chiffres : sur les onze délégations du gouvernorat du Kef, sept observent un taux de chômage de plus de 20%. Certaines d'entre elles arrivent même à atteindre les 39%. Le gouvernorat détient à ce titre la palme du chômage dans le pays. Il est suivi par Jendouba (6 délégations) Gafsa (6 délégations), Bizerte et Kasserine (5délégations pour chaque gouvernorat). Et si pour quelques gouvernorats du littoral, le taux de chômage peut osciller entre 0 et 20%, pour tous les gouvernorats de l'intérieur, notamment de l'Ouest, le taux de chômage ne descend pas en dessous de 10%. Pourtant ces régions ne manquent ni d'attrait ni de ressources naturelles. Le Nord-Ouest par exemple participe à hauteur de 5 à 6% à la valeur ajoutée nationale alors que démographiquement il pèse 12%. Le chômage a continué pourtant de frapper de plein fouet des jeunes, de surcroît diplômés, accentuant le fossé qui se creusait entre un littoral relativement prospère, et un arrière-pays qui se perdait dans l'oubli et la désolation. Une culture de développement hypercentralisée Aujourd'hui, ces régions demandent et exigent leur place au soleil. Et alors que les partis politiques s'organisent et se perdent dans un cafouillage de projets et de programmes, la société civile prend le relais sur le terrain. L'initiative citoyenne l'emportant sur le politique, on assiste aujourd'hui à un foisonnement d'associations sans précédent. Dans cette fièvre de citoyenneté toute neuve, l'Association El Izza pour le développement de l'Ouest (AIDO) voit le jour. Elle le doit à un groupe d'originaires de la région de l'Ouest dont notamment Boujemâa Rmili, Tahar Bellakhdhar… Que faut-il faire pour qu'une région arrive à s'en sortir ? Tout simplement l'aider à se développer, répond M.Boujemâa Rmili, président de l'association. Ce développement doit être fait grâce aux mécanismes endogènes qui entretiennent la durabilité. «A condition, ajoute-t-il, que l'Etat mette le paquet en matière d'infrastructures et d'équipements supérieurs tels que CHU, hôtellerie, loisirs, qui attirent, entretiennent et créent une synergie». D'autre part, ce qui a manqué cruellement au développement régional tout au long des dernières décennies, selon M. Rmili, c'est la volonté d'associer et d'impliquer les gens de la région dans le développement de leurs régions alors que ces dernières disposent de compétences humaines très respectables. La culture de développement était en effet très centralisée malgré tout ce qui se disait sur la décentralisation et sur la soi- disant autonomie de certaines structures régionales. Le processus de la planification régionale en est l'exemple type. «Les régions expriment leurs besoins dans des documents de planification régionale qui parviennent à Tunis», explique M Rmili qui ajoute: «Leur sort, c'est des coupes sombres et en général, on revient à la conception centralisatrice du développement. Ainsi et quelque part, il n'y a même pas une croyance en la capacité de ces régions à participer au développement national. Elles sont considérées en régions de coût et non de bénéfice». Cette façon de voir et de faire engendre un mécanisme pervers : ces régions deviennent des régions de fuite des ressources humaines. Attrait de la côte et fuite de la force de travail Sur dix ans, la population des régions côtières augmente d'un million. «330.000 personnes proviennent des régions intérieures. Autrement dit, toujours selon M.Rmili, le tiers de la force de travail à l'origine de la richesse des zones côtières se présente sous la forme d'une ponction de la force de travail des régions intérieures. Avec un dispositif pareil, on ne peut évidemment espérer aucun développement réel pour les régions intérieures. Car, dit-il, quand on met un pôle réceptif en rapport direct avec un pôle répulsif, on ne peut aboutir qu'à un rapport très fort à sens unique». C'est en partant de ce constat difficile et à la fois prometteur que l'association compte agir dans la région ouest en s'appuyant en premier lieu sur une dotation de «capital physique» devant transformer les régions en régions contributrices. Pour cela, elle compte également agir au niveau du changement de la philosophie du développement, s'implanter dans les régions en créant des coordinations. D'ores et déjà, elle dispose de deux antennes à Siliana et au Kef et le 1er mai elle s'implante à Jendouba. Là où elle va, le succès est encourageant car le discours est neuf, accessible, sincère. «Les gens ressentent qu'il y a du sérieux et une coupure totale avec ce qui se faisait avant», déclare M. Rmili. L'association ne fait pas seulement que s'implanter. En recourant au coaching, elle identifie le promoteur et le degré de maturation pour ensuite faire le suivi dans le déroulement et la mise sur pied du projet. A une plus large échelle, elle contribue dans la formulation de la demande régionale en permettant de mettre en relief les priorités qu'elle fait d'ailleurs parvenir au gouvernement. En même temps elle fait la promotion des projets privés qui sont de trois ordres: national, local et international. Tout ce travail se fait en étroite collaboration avec les structures de l'Etat et de l'avis de M. Rmili «cela se passe bien».