Par Dr Moncef GUEN(*) La visite de M. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, en Tunisie le 20 avril revêt une importance particulière. Elle fait suite à celle de Mme Christine Lagarde qui a affirmé le soutien de la France à la Tunisie de la Révolution et qui intervenait alors que Mme Michèle Alliot- Marie était encore au Quai d'Orsay. La France et le Tunisami Il est important de noter franchement que la France avait tourné le dos au peuple tunisien pendant les années de dictature. De Chirac à Sarkozy, la France se bernait en pensant que cette dictature était un rempart contre l'islamisme et l'immigration clandestine. Ce faisant, elle feignait d'oublier les atteintes aux droits de l'Homme et les servitudes imposées au peuple tunisien. Comme tous les autres partenaires techniques et financiers de la Tunisie, elle, qui aurait dû être bien informée, était sous l'illusion du soi-disant " miracle économique", encourageait le modèle de la sous-traitance en faveur de ses industries ainsi que le "capitalisme des copains" (cronyism) dont bénéficiaient pas mal d'entreprises françaises. Il est difficile de penser que les avoirs des clans de l'ancien régime, y compris les immeubles, amassés pendant 23 ans, étaient ignorés par les autorités françaises. Il est difficile de penser que les violations des droits de l'Homme, y compris la torture, étaient ignorées par les autorités françaises. Les bombes de gaz lacrymogène et autres outils de répression étaient normalement vendus et acheminés, parfois en avion, aux tortionnaires. La dame du Quai d'Orsay, accueillie avec beaucoup d'égards, proposait même en pleine séance de l'Assemblée nationale française le savoir-faire français pour mieux réprimer les manifestants tunisiens pour la dignité et la liberté. Sarkozy a vite compris que le Tunisami, parti le 14 janvier vers Le Caire, Tripoli, Sanaâ, Manama et Damas, était irrépressible. Pour la première fois depuis longtemps, la patrie des droits de l'Homme, le pays du 14 juillet et de la conquête de la Bastille, alliait ses valeurs avec ses intérêts. Les premiers avions qui ont bombardé les troupes du sanguinaire libyen aux portes de Benghazi étaient français. Le premier pays qui reconnaît le régime révolutionnaire libyen est la France. Alain Juppé fait tourner la page en Tunisie, en présentant une aide de 350 millions d'euros par l'intermédiaire de l'Agence française de développement et en réaffirmant le soutien total de la France au pays qui a lancé le "printemps arabe". Et ce, malgré les difficultés économiques et financières que connaît la conjoncture actuelle de la France. Tunisie-France : un renouveau En même temps, la France ferme ses frontières aux émigrés tunisiens de Lampedusa. La plupart de ces émigrés sont contraints de repartir en Italie et une député UMP a même osé dire que l'on devrait les mettre dans des navires pour retraverser la Méditerranée vers la Tunisie. Les relations entre notre pays et la France ont besoin de ce souffle nouveau d'Alain Juppé mais sur des bases très claires. Il ne suffit pas de fournir de l'aide. Il faut aider la Tunisie nouvelle à se développer rapidement et assurer le plein emploi à ses jeunes si elle n'en veut pas à Vintimille. Pour cela, il faut un appui sans faille auprès des organisations financières internationales, une redéfinition de ses investissements non pas vers la sous-traitance mais vers les industries innovantes dont sont capables les entreprises du CAC 40 en vue du marché tunisien mais aussi africain et mondial. Il faut ouvrir les barrières douanières européennes aux produits agricoles tunisiens. Il faut appuyer des flux publics importants en faveur de la Tunisie de la part de l'Union européenne. Il faut organiser une politique commune de formation de la main-d'œuvre tunisienne dans le cadre d'une émigration provisoire programmée. Autrement dit, accepter des Tunisiens pour mieux les former avec retour au pays. Il ne faut pas spolier notre pays de nos cadres mais leur donner un complément de formation pour en faire mieux bénéficier leur pays d'origine. Il faut aider la Tunisie à récupérer les avoirs des clans de l'ancien régime, non pas seulement les avoirs en France mais aussi les avoirs dans les paradis fiscaux et les pays de l'Organisation de coopération et de développement économique.