Quelques semaines nous séparent de l'élection de nos représentants à l'Assemblée constituante qui aura la charge de désigner un président et un gouvernement de transition et d'élaborer la Constitution de la Tunisie. Ce texte constitutionnel définira les droits et les obligations des citoyens, réglementera la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Il fixera le type de régime qui présidera aux destinées du pays : présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire. Il organisera l'ensemble des rapports entre gouvernants et gouvernés, il définira et limitera le pouvoir de chaque institution. Cette nouvelle Constitution sera donc élaborée par les membres que nous élirons le 24 juillet prochain. C'est d'eux et d'eux seuls que dépendra la nature de ce texte. D'ores et déjà, la question se pose. Faut-il confier le destin de notre pays et de nos enfants à ceux qui continuent à monter sur les toits des maisons pour s'assurer de la parution du croissant lunaire naissant qui annonce le début du mois de Ramadan alors que les connaissances astronomiques permettent de déterminer sur plus d'un siècle, avec une marge d'erreur n'excédant pas la minute, la position des astres les uns par rapport aux autres? A majorité moderniste, Constitution moderniste et à majorité islamiste, Constitution obscurantiste. Bien que les Tunisiens soient à 99% de confession musulmane, nous voyons s'activer désespérément ceux dont le seul projet de société à nous offrir consiste à être «plus musulmans que les autres». On sait jusqu'où peut conduire ce type de «programme» prôné par ceux qui «s'attachent à la religiosité apparente» comme le dit si bien le célèbre journaliste égyptien Ibrahim Issa. Je ne veux pour mon pays ni des talibans afghans, ni des salafistes saoudiens et de leur police religieuse. Ni de la lapidation ni de la polygamie. J'ai entendu un dirigeant islamiste parler du modèle turc qui représente, il est vrai, un succès. Mais il oublie de nous dire que la Constitution turque est laïque et dans ce cas, il devrait arrêter d'entretenir la confusion entre laïcité et athéisme. L'honnêteté intellectuelle et morale devrait conduire ce même dirigeant à se prononcer clairement pour une Constitution laïque ! Celui-ci oublie de nous dire également que lors de son exil en Grande-Bretagne, il a pu pratiquer et afficher sa foi en toute liberté sans être inquiété, sans qu'on ait tenté à le convertir au christianisme ou à toute autre religion. Il est symptomatique qu'il ait, in fine, choisi refuge en Grande-Bretagne et non en Afghanistan ni même en Turquie ! Pour une République citoyenne Ce que je veux pour mon pays c'est une République citoyenne qui garantisse toutes les libertés individuelles, qui dise non à la ouissaya (Tutelle) d'où qu'elle vienne et qui dise oui pour la karama (Dignité), qui dise oui à la parité hommes-femmes, qui réponde enfin aux espoirs et aux attentes de sa jeunesse. Une République juste, équitable et solidaire où l'éducation, la santé, la sécurité soient assurées pour tous, où le progrès économique aille de pair avec le progrès social tout en harmonisant le niveau de développement entre les régions. C'est bien là que résident les objectifs de la glorieuse révolution tunisienne. Nous avons subi en Tunisie le parti unique, la présidence à vie, la dictature, le népotisme, la corruption, la torture, les prisons, le chantage exercé sur les familles des opposants, l'accaparation des biens publics et privés par une poignée de mafieux, le musellement des médias, la justice aux ordres, l'absence de contrôle des institutions étatiques laissant libre cours aux malversations. Cela a duré un demi-siècle ! Faut-il prendre le risque d'élire des hommes et des femmes connus, les uns par leur conservatisme, les autres par leur intolérance et leur violence ? Ces derniers, au nom de la confiance que nous investirions en eux, auraient, s'ils étaient majoritaires dans cette Assemblée constituante, les mains libres pour bâillonner, avec notre consentement cette fois-ci, nos libertés pour un demi-siècle de plus. Tout le monde se souvient des années 80 où des jeunes femmes ont été défigurées avec de l'acide sulfurique parce que leur tenue vestimentaire était jugée par leurs agresseurs islamistes non conforme aux recommandations de l'Islam. Ces dernières semaines, ces mêmes gens qui se proclament convertis à la démocratie se sont lancés dans la destitution d'imams jugés insuffisamment musulmans car nommés à ces postes par l'ancien régime pour les remplacer par d'autres plus conformes à l'interprétation qu'ils ont de l'Islam. Avec leurs imams, ils entendent transformer nos lieux de culte en cellules d'agitation et de conspiration politique. Ces espaces alternatifs du politique pouvaient à la limite être admis dans le cadre du régime de Ben Ali qui a étouffé tous les espaces d'expression du politique. Mais aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Il est clair que c'est aux pouvoirs publics démocratiquement élus et à personne d'autre que devra revenir la tâche de sélection et de nomination des imams de nos mosquées et non à une prétendue volonté populaire dont on sait comment cette dernière peut être manipulée sur des questions aussi sensibles que les sujets religieux. On les a vus ça et là intimider et menacer les citoyennes et citoyens au nom d'el ouadh wal irchad reprochant aux unes de ne pas porter le voile ou d'assaisonner leurs mets avec du vinaigre et aux autres de consommer des boissons alcoolisées… Ils sont aussi capables de décréter la musique et le cinéma comme œuvres de Satan. Ces gens-là ne reconnaissent pas les libertés individuelles. Ils se sentent investis d'une mission que personne ne leur a confiée et dont ils pensent que l'accomplissement leur ouvrirait les portes du paradis. On le sait, aujourd'hui, la prédication est devenue un métier bien lucratif. Il suffit pour s'en convaincre de s'interroger sur les revenus mirobolants des téléprédicateurs qui ont envahi les chaînes satellitaires ! Cette mission consiste à imposer à toute la société leur vision de l'Islam tant dans la sphère privée que publique. Que cette gabegie s'installe et nous pourrons dire adieu à notre tourisme et aux emplois qu'il génère, adieu aux investisseurs tunisiens et étrangers parce que l'investissement a besoin de stabilité et de visibilité, adieu à la relance économique de notre pays. D'où l'importance de cette première élection libre et transparente fixée au 24 juillet 2011. L'enjeu est de taille. J.S. * (Directeur d'entreprise)