Un contrôle par le politique de l'espace maraboutique par la réhabilitation des zaouias a constitué l'un des «points forts» du régime déchu afin de contrecarrer l'Islam politique et propager un «Islam populaire», apolitique qui ne dérange pas le pouvoir en place. Au contraire, l'exercice de la légitimité symbolique des marabouts est un système pour gérer les enjeux politiques et mieux régner car le politique est constamment à la recherche de reconnaissance. «Le recours au sacré à travers le rituel a aussi une fonction d'éradication de la violence : calmer les esprits, créer un équilibre social, canaliser les revendications et réglementer la vie sociale» explique M. Mohamed Jouili, sociologue qui ajoute que «tout pouvoir politique a besoin d'un équilibre qu'il trouve dans les marabouts à travers deux ordres de valeurs, la baraka et l'honneur. Le capital politique et symbolique à travers l'adhésion à la pratique du maraboutisme forme une sorte d'assemblage pour réunir les partisans autour de préceptes qui n'ont rien à voir avec la religion.» Coupole hémisphérique sur tambour hexagonal et base carrée largement ouverte sur les côtés, l'ensemble sert de porte d'entrée au mausolée de Saïda Mannoubia, célèbre pour avoir accaparé toute l'attention de Leïla Ben Ali et sa famille durant de longues années. Une harmonie de la cour n'offre aux regards que les murs de ses façades. Située dans un quartier populaire de La Manouba, l'espace est à la fois accueillant et fermé, où s'installent des femmes dont certaines aux mains décorées de motifs qui rappellent les anciens tatouages des nomades. Pr Slim Annabi : «Agent de renseignements» Dans une ambiance feutrée par la fumée de l'encens, l'officiante, Jazia de son nom, 70 ans, abonde dans des légendes et récits relevant du parcours de Saïda Mannoubia, indiquant que son savoir s'y renouvelle grâce aux confréries et aux cérémonies de transes organisées chaque dimanche. La visite guidée révèle des graffitis de henna sur les murs d'une salle sombre qui, selon les dires de Jazia, sert à soigner les malades souffrant d'une pathologie mentale ou d'une impuissance sexuelle. S'érigeant en «véritable thérapeute», Jazia se veut guérisseuse de tous les maux allant d'un choc affectif, du besoin de se ressourcer, aux maladies organiques. Des graffitis, que la bonne femme essaie de déchiffrer sans parvenir à en lire un mot puisqu'elle n'a jamais mis les pieds à l'école, semblent provenir de personnes délirantes qui, selon Pr Slim Annabi, neuropsychiatre, qui a conduit des travaux sur «les thérapies traditionnelles» à Sidi Ammar, «servent à niveler par le bas. Des individus qui n'ont aucun code d'honneur ni morale et servent d'agent de renseignements de la police pullulent depuis les années 90 et sont les premiers recours des gens qui ont une pathologie mentale ou sexuelle, autrement dit une maladie honteuse. C'est aussi quelque chose de voulu par Ben Ali. Les imposteurs figurent sur les journaux et apportent même des attestations et observations médicales. Une femme a été empoisonnée par une piqûre d'un guérisseur par le miel et a été hospitalisée en urgence dans une clinique, ou cette autre femme convulsante qui a subi des attouchements par un guérisseur. Ben Ali, le président au Bac moins 7, comme aimait l'appeler Bourguiba a encouragé les imposteurs, qui n'ont pas une qualification, à s'enraciner dans la société». Le ministre ne répond pas A la question de savoir si Leïla Ben Ali rendait visite régulièrement au mausolée et offrait des billets de 50D, Jazia nie en bloc et déclare avoir vu cette femme une seule fois lors d'une fête religieuse. La visite achevée, nous nous dirigeâmes vers la sortie, lorsqu'une femme, apparemment habituée des lieux, nous révèle les pratiques illicites pour soustraire de l'argent aux visiteurs. «Cette femme (l'officiante) est une menteuse, elle se sert des lieux pour se livrer à des pratiques illégales. Elle était là chaque mercredi lorsque Leïla Ben Ali venait au mausolée. D'ailleurs, nous avons écrit au ministère des Affaires religieuses pour dénoncer ces pratiques mais notre lettre est tombée dans l'oreille d'un sourd». A la question de savoir quelle serait la place des zaouias après la révolution, M. Jouili indique que «ce climat d'incertitude et ce manque d'équilibre et de vision claire dans les instances politiques renvoient à une autre forme de sainteté et au retour de la mosquée. Un Islam politique ne se substitue pas à un Islam maraboutique, populaire. La zaouia gardera sa propre efficacité symbolique. Le marabout et la mosquée sont deux champs différents et chaque espace apporte ses propres réponses aux besoins de l'homme. Cette conjoncture de l'incertain pousse les gens à recourir à ces deux espaces sans interférence entre les deux d'autant que les frontières ne sont pas si rigides et l'on assiste à une multiplication de l'identité». Sacro-saint, quand tu nous tiens L'acte de donation en faveur d'un saint est un acte de purification pour réaliser un rêve. Ainsi, Leïla Ben Ali aurait rêvé de Sidi Satouri situé à Sidouikech, un bidonville de Djerba, qui lui aurait annoncé la naissance d'un garçon. L'ex-première dame a investi 800 MD pour restaurer le mausolée, goudronner et asphalter les routes y menant. F.R.