Par Mohamed Ridha BOUGUERRA M. Farhat Rajhi a-t-il outrepassé le droit de réserve inhérent à ses fonctions ou bien n'a-t-il fait qu'user de son légitime droit à s'exprimer librement ? A-t-il été piégé par deux jeunes journalistes stagiaires, lui, le juriste chevronné, ou bien a-t-il donné son clair consentement à la diffusion de ses propos ? Sa déclaration était-elle le fruit d'une mûre réflexion ou bien ne s'agissait-il que de simples hypothèses improvisées dans le feu de la discussion ? Ces questions et bien d'autres sont sur toutes les lèvres depuis quelques jours et chacun pourra leur donner la réponse qu'il juge la plus plausible ou pertinente. L'affaire Rajhi : un épiphénomène Mais est-ce vraiment là le fond du problème ? L'affaire Rajhi, ou ce que l'on peut désormais désigner comme telle, n'a-t-elle pas, finalement, le mérite, si l'on ose dire, d'avoir mis en plein jour ce que chacun d'entre nous soupçonnait, à savoir que le roi est nu, je veux dire que le pouvoir est d'une faiblesse préoccupante et que les fauteurs de trouble et autres contre- révolutionnaires sont à l'affût de la moindre occasion pour lui asséner le coup mortel, siffler la fin de la récréation, empocher la mise et revenir à la case départ? Qu'on le veuille ou non, l'affaire Rajhi n'est, en fin de compte, qu'un révélateur de la situation des plus critiques que nous traversons. Ce n'est là, à l'évidence, qu'un épiphénomène qui ne doit pas nous masquer l'essentiel qu'il a, volontairement ou involontairement, manifesté au grand jour. A savoir que pour tous ceux que la Révolution du 14 janvier dérange, il s'agit de mettre le plus à mal le processus de transition démocratique, empêcher la tenue des élections du 24 juillet, créer le maximum de difficultés au gouvernement provisoire. Et là point de scrupules, tous les moyens sont bons : les établissements scolaires dégradés, incendiés et pillés. Les stades transformés en champs de batailles. Les commerces saccagés et les véhicules carbonisés. Et ce ne sont là que quelques-uns des moyens utilisés pour perturber l'année scolaire, donner une image spectaculaire de l'absence d'ordre et de sécurité, décourager les investisseurs et accroître le taux de chômage. Tout le pays soupçonne des forces occultes derrière ces menées criminelles qui paient des jeunes pour accomplir le sale boulot et causer le maximum de déprédations aux biens publics et privés. Le Premier ministre vient de confirmer ce soupçon dans son interview de dimanche soir. Il a invoqué la loi pour ne pas désigner les parties en cause alors qu'il a révélé l'arrestation de deux personnes qui distribuaient généreusement de l'argent dans le but de semer la pagaille. Il a, également, évoqué la présence d'un cadre d'un parti politique, sans plus de précisions, parmi les accusés déférés devant les tribunaux à la suite des incidents qui ont eu Siliana pour cadre récemment. Il a reconnu aussi, voire déploré, les lenteurs de la justice mais se refuse à intervenir dans des affaires en cours. Ce que l'on ne peut, dans un Etat de droit, lui reprocher évidemment. L'indispensable rétablissement de la confiance Il n'empêche que pour préserver le capital de sympathie dont a joui M. Béji Caïd Essebsi dès son arrivée au pouvoir et afin d'asseoir sa crédibilité, des mesures énergiques et des gestes symboliques s'imposent. Le peuple, dans une période aussi troublée, a besoin de connaître qui sont les meneurs du jeu, ceux qui complotent contre sa sûreté, nuisent si impunément à la Révolution et n'ont de cesse que de la voir échouer. Le peuple a besoin de savoir que l'hydre tentaculaire, dont les ramifications agissent dans l'ombre dans différentes régions du pays, est, ou, peut être mise hors d'état de nuire. Le peuple a besoin de voir des signes qui manifestent une réelle volonté politique de rupture radicale avec l'ancien pouvoir. Il ne comprend pas, à titre d'exemple, comment Imed Trabelsi peut avoir pour juge, en première instance, celui-là même qui, sous Ben Ali, l'avait déjà blanchi et avait prononcé un non-lieu dans la fameuse affaire du yacht dérobé à un homme d'affaires français. Est-ce là le signe que le corps de la magistrature a été assaini après le 14 janvier ? Les violences perpétrées par les forces de l'ordre au cours des deux ou trois journées de manifestations que vient de connaître la capitale et qui ont touché particulièrement de nombreux journalistes indiquent-elles un réel renoncement à des pratiques répressives courantes du temps de la dictature ? Fallait-il s'acharner d'une manière aussi violente sur des jeunes dont l'âge moyen est de seize ans environ alors que personne n'ignore qu'ils ont été poussés à ces actes répréhensibles contre des pièces sonnantes et trébuchantes ? Peut-on espérer que les dernières arrestations opérées ces derniers jours parmi ces jeunes nous conduiront vers les commanditaires? Peut-on espérer aussi que des révélations seront bientôt faites dans ce sens sans trop recourir au voile d'un légalisme trop pointilleux qui n'est pas de circonstance ? Nous ne voulons, certes, ni sortir du cadre légal et civilisé, ni procéder à un quelconque acte de vengeance, mais les lenteurs de la justice ne sont pas de mise en ce moment. Nous comprenons le souci louable de l'appareil judiciaire de respecter les droits des prévenus, mais nous tenons aussi à la nécessité impérieuse d'apaiser la rue. L'opinion publique a le légitime droit de savoir que la paix civile peut être préservée par l'arrestation et la condamnation des véritables instigateurs des violences et non par celles de simples comparses et autres boucs émissaires plus victimes que coupables. Ce sont là quelques mesures susceptibles d'aider, actuellement, au retour de la confiance dont a tant besoin le gouvernement. Le retour aussi du calme tant souhaité pour un achèvement normal de l'année scolaire et universitaire. Afin de respecter l'échéancier fixé aux élections de la Constituante. Afin de rétablir la confiance et amorcer une saine reprise de l'activité économique et sauver un tant soit peu la saison touristique. Afin, tout simplement, de nous consacrer pleinement à la défense de l'inviolabilité de nos frontières menacées tout en commençant la construction d'une Tunisie moderne, tolérante, égalitaire et démocratique.