A l'initiative du Centre Al Kawakibi pour la transition démocratique, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), près de 50 représentants de partis politiques ont débattu, tout au long de la journée d'hier, des bonnes pratiques en matière de législation et de financement des partis politiques et ont découvert les expériences de pays arabes et européens en la matière. La conférence-débat intitulée : «Législation des partis politiques en Tunisie : perspectives comparatives» a permis, en effet, à plusieurs représentants des jeunes partis, nés à la faveur de la Révolution du 14 janvier, de faire entendre leur voix sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre afin de financer les partis politiques par l'Etat pour éviter les dérives et les dérapages qui pourraient découler de «cet argent qui coule à flots pour certaines parties et dont personne ne semble avoir le courage d'identifier la source, y compris le gouvernement provisoire dont la position nage dans le flou». Appel à un conseil national des partis politiques Les intervenants ont convenu, pour la plupart, de la particularité de la révolution de la liberté et de la dignité d'une part, et de la spécificité du choix adopté par le peuple tunisien pour faire réussir sa transition démocratique. «Les Tunisiens ont opté pour la voie la plus difficile, estime M. Mustapha Belletaïef, membre de la commission des experts relevant de la Haute Instance de réalisation des objectifs de la révolution, en décidant d'opter pour le processus civil, processus dans lequel les partis politiques jouent un rôle de premier plan, d'où la spécificité de l'expérience tunisienne». Pour M. Mohamed Belhocine, représentant résident du Pnud, «la Tunisie s'est engagée dans une période cruciale de transition et s'est assigné un agenda de réformes juridiques et politiques majeures qui lui permettront d'aller vers une démocratisation qui sera un modèle pilote pour la région arabe et au-delà». Et M. Belhocine de mettre l'accent sur la nouvelle stratégie d'appui 2011 et 2012 du Pnud à la Tunisie qui comprend cinq axes : l'appui au processus démocratique, l'appui à l'Etat de droit, l'appui à la réforme de l'administration publique, le développement local et l'emploi des jeunes et le soutien à la cohésion sociale dans les zones affectées par le conflit en Libye. Quant à M. Mohsen Marzouk, président du comité exécutif du Centre Al Kawakibi, il a insisté sur le rôle spécifique que les partis politiques ont assumé en cette période transitoire qui peut être longue (pour certains pays elle est allée jusqu'à 10 ans) et qui peut échouer également, d'où l'impératif de se mobiliser à fond et de demeurer en veille constante contre les forces anti-révolutionnaires qui n'ont pas abandonné la partie et ne le feront jamais. M. Marzouk revient à la charge en appelant cette fois-ci à la constitution d'un Conseil national des partis politiques, une structure qui servira d'espace pour la concertation et le dialogue sur les défis de l'étape. Beaucoup parmi les représentants des partis politiques présents, surtout ceux écartés de la Haute Instance de la réalisation des objectifs de la révolution, n'ont pas manqué de soutenir cette proposition estimant que la création de ce conseil pourrait former un «lobby» ou un contre-pouvoir qui leur permettrait de faire entendre leur voix et de faire passer leurs messages. Le pouvoir tribal toujours déterminant Dr Taleb Iwadh, coordinateur scientifique des programmes de contrôle des élections relevant du Centre Kawakibi, et Mme Hanadi Foued du centre d'Al Qods ont axé leurs interventions sur «Les législations des partis politiques entre la liberté de l'action et le besoin d'un cadre juridique» et «La loi sur les partis politiques en Jordanie». Dr Iwadh a notamment insisté sur la liberté d'adhésion du citoyen à tout parti politique dont les programmes et les orientations répondent à ses attentes, précisant que le financement des partis politiques doit être opéré sur un pied d'égalité (30% au départ et 70% en fonction des résultats enregistrés lors des élections) et appelant aussi à la mise en place d'une structure indépendante qui aura pour charge le suivi de l'action des partis politiques. Conseiller à l'Assemblée nationale française et enseignant à l'université Paris II Panthéon Assas, le Pr Eric Thiens a précisé dans son intervention que «la démocratie est fondée sur le multipartisme et que la liberté sans cadre juridique équivaut à l'anarchie et à la négation de la démocratie.» Après avoir traité de la reconnaissance constitutionnelle des partis, des droits des partis comme garantie de leur liberté et de la liberté d'organisation, il a livré des détails sur le financement des partis politiques tel que pratiqué en France. Il en ressort que les ressources d'un parti politique doivent provenir des cotisations de ses militants, des dons des personnes privées, des revenus, notamment immobiliers, des emprunts et des dotations publiques. Il en ressort également que les dons de personnes morales et les dons étrangers sont interdits Des aides limitées à des montants raisonnables Mme Ingrid Van Biezen, professeur de politique comparative à l'université de Leiden, estime que l'Etat doit fournir une aide aux partis politiques et que les aides publiques doivent être limitées à des montants raisonnables. «Pour l'attribution de ces aides, l'on doit mettre en place des critères objectifs, équitables et raisonnables», précise-t-elle. A propos des dépenses relatives aux campagnes électorales, elle relève que les «Etats devraient exiger l'enregistrement de toutes les dépenses directes ou indirectes effectuées par chaque parti politique, chaque liste de candidats et chaque candidat». Ces expériences de pays arabes et européens étant analysées, il est significatif de relever que le débat général a focalisé essentiellement sur la question du financement des partis. Ainsi, M. Jalloul Azzouna (Parti populaire pour la liberté et le progrès) appelle-t-il à faire la lumière «sur ces sommes d'argent qui sont dépensées ces derniers jours et dont personne n'est en mesure de dévoiler la source». De son côté, M. Abderrazak Larbi, président du Parti de la justice et du développement, exprime sa conviction qu'il doit y avoir une solution consensuelle à la question du financement des formations politiques. Avis partagé par Zouheïr Nasri (Mouvement unioniste du peuple) et Samir Ben Amor (Congrès pour la République) qui dénoncent le soutien étranger et attirent l'attention sur «les sociétés et les associations écrans» qui permettent à l'argent étranger de circuler à flots et de détourner la législation tunisienne, d'où la nécessité de demeurer vigilants vis-à-vis de «ceux qui commencent déjà à acheter les voix» en vue de l'élection de la prochaine Assemblée constituante.