« La Lettre de l'IRMC », bulletin trimestriel publié par l'Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, a consacré son dernier numéro (janvier-mars 2011) à la Révolution tunisienne. Le dossier comporte quinze articles dus pour la plupart à des universitaires du pays. Mourad Chebbi (urbaniste) passe en revue l'actualité des « trente jours qui changèrent la Tunisie ». Pierre-Noel Denieuil (sociologue) établit quant à lui le lien entre la révolte de la rue et la révolution des esprits pour finalement exalter chez les Tunisiens « la force de l'insoumission ». L'article d'Abdelhamid Hénia (historien) prévient contre l'action néfaste des élites tunisiennes capables de faire échouer cette révolution! Quant à Houda Laroussi (sociologue de l'Université de Carthage), elle plaide « pour un renouveau politique du lien social ». La réflexion de Sihem Najar (sociologue de l'IRMC) porte plutôt sur l'important rôle joué par les TIC dans le processus révolutionnaire tunisien. Dans un autre article, Amel Aouij Mrad (juriste) retient les principales leçons de la Révolution et appelle à plus de vigilance et de persévérance pour la préservation et la concrétisation des idéaux de ce soulèvement historique. Pour sa part, Imed Melliti étudie les différentes formes contestataires par lesquelles s'est exprimée la revendication du « droit à la reconnaissance », dans une Tunisie longtemps frustrée de parole et d'action politique et civile libres. Abdelkader Zeghal revient quant à lui sur la mobilisation générale qui a suivi le suicide de Mohamed Bouazizi, mouvement débordant qu'il assimile à « une onde tsunamique ». Sous le titre « Le miracle de la liberté », Dorra Mahfoudh (sociologue) écrit un article sur l'impression qu'avaient les intellectuels de sa génération d'avoir vécu un miracle avec la chute jusque-là inespérée de Ben Ali. Pour l'historienne Kmar Bendana, il faut rendre hommage aux jeunes héros de notre révolution mais en même temps œuvrer pour qu'à l'avenir, il n'y ait plus de nouveaux martyrs de l'injustice sociale. La réflexion de Hassen Boubakri (géographe) effectue d'abord un retour sur la « propagation géographique du soulèvement du peuple tunisien pour se réapproprier sa liberté et sa parole » et s'interroge à la fin sur le rôle futur des milieux d'affaires et des bénéficiaires des générosités de l'ancien régime. Dans l'article de Hamadi Redissi (politologue), l'auteur montre que ce qui s'est passé en Tunisie a toutes les caractéristiques d'une véritable révolution, remarquable par le processus qui l'a amenée, par l'enthousiasme qui l'a accompagnée et par les acquis qu'elle a apportés aux Tunisiens et à d'autres pays musulmans ; sans pour autant être apparentée à une révolution religieuse. Intitulé « Entre mille fleurs et la boîte de Pandore : la transition démocratique », l'article de Mahmoud Ben Romdhane (économiste) célèbre lui aussi les vertus de cette révolution mais évalue surtout ses chances de réussir ainsi que les facteurs qui peuvent la faire avorter. Chérif Ferjani aborde quasiment le même sujet et réfléchit sur « les perspectives à venir de la révolution tunisienne » et sur les défis qu'elle est appelée à relever. C'est enfin un article de Larbi Chouikha (politologue), très élogieux à l'égard des jeunes, qui clôt le dossier en rendant hommage à ces acteurs de la première « révolution numérique » de l'Histoire. La menace des élites Dans cette somme d'opinions diverses, nous avons d'une manière très subjective et sans doute arbitraire (qu'on nous en excuse, cette fois), choisi de citer quelques unes parmi celles que le Professeur Abdelhamid Hénia a émises sur les conditions à réunir pour atteindre les principaux objectifs de la révolution. L'historien écrit dans ce sens : « Il faut militer pour empêcher l'avortement de cette révolution salutaire pour le peuple tunisien, pour ne pas retomber dans la dictature, dans le culte de la personnalité et la centralité de la pensée unique… Plus question de laisser surgir un nouveau président qui finira forcément par rééditer les épisodes de Bourguiba et de Ben Ali. Il ne faut pas oublier que notre pays est fortement marqué par la domination des élites. Ces dernières tendent à imposer leur diktat en favorisant l'unicité en tout (dans le domaine politique et culturel plus particulièrement)…Ces élites sont le produit, qu'on le veuille ou non, d'une forte hiérarchisation de la société…C'est cette hiérarchisation qui a généré des élites très soudées –malgré les apparences- et surtout très conscientes de leurs intérêts. Elles se sont concentrées pour l'essentiel à Tunis avec des assises solides dans les villes de l'intérieur. Ces élites (soudées et centralisées) qui fonctionnent sous le mode de l'unicité (ne l'oublions surtout pas) ont tout fait pour renforcer les conditions de la centralisation politique et du monopole de l'exercice du pouvoir…Dans tout cela, le peuple (représenté de nos jours par ce qu'on appelle les classes moyennes) ne constitue dans la stratégie de ces élites que le milieu où l'on recrute des « clients » potentiels pour asseoir leur monopole de l'exercice du pouvoir et surtout renforcer leurs assises respectives au sommet de la hiérarchie politique. C'est ce peuple aujourd'hui qui dit non à ces élites (toutes catégories confondues), et ce sont ces mêmes élites qui manœuvrent maintenant pour récupérer les acquis de la révolution populaire et reprendre le pouvoir qu'elles sont sur le point de perdre pour toujours… J'ai encore confiance dans la volonté de ce peuple qui a affirmé, et continue à le faire, sa volonté de prendre son destin en main… Le rôle des intellectuels (non élitistes) est de soutenir l'élan populaire en contribuant à le penser…Il faut une totale congruence avec ce mouvement populaire (qui) a prouvé sa maturité. Il est très lucide, en tout cas mieux que tous les intellectuels tunisiens jusque-là. Cessons de donner des leçons à ce peuple si mûr, si intelligent et si efficace. » Compte-rendu de Badreddine BEN HENDA