Par Mustapha Ennaifer Etre citoyen, en temps ordinaire, est un métier. Un vrai. En période de révolution ça l'est encore plus. En Tunisie, les citoyens qui veulent être à la hauteur de l'évènement doivent méditer sur leurs nouvelles missions ainsi que sur les compétences et les comportements nouveaux qu'elles impliquent. Pour beaucoup de citoyens cela va être dur ! dur ! Ou alors il faut renoncer à être un citoyen digne de notre exemplaire révolution. Pour ma part, en révolutionnaire convaincu, j'ai voulu procéder méthodiquement. J'ai pensé à me recycler et j'ai cherché dans les petites annonces du journal La Presse une offre de stage pour devenir un citoyen modèle. J'étais prêt à tous les sacrifices pour cela. Mais rien. Aucune offre dans ce sens. Il y avait par contre toutes autres sortes de stages : •pour perdre l'usage de la langue de bois et de la démagogie ; •pour corrompus souhaitant se refaire une virginité ; activités de remords et de contrition sur demande ; •pour adeptes de sit-in avec une variété d'exercices visant le renforcement des muscles fessiers ; •pour coupeurs de routes et casseurs avec entraînement au lance-pierre et au coupe-coupe avec moniteurs expérimentés venus tout droit d'Anarchistan ou de Talibanie ; •pour fondateurs et dirigeants de partis : activités strictement individuelles de blablabla et ronron ; travaux de groupes totalement exclus ; •en haute couture pour porteurs de djellabas et de niqabs noirs pour initiation aux lumières, à l'ouverture et aux contacts ; •pour recycler en exploration masculine gynécos et autres médecins bientôt en manque de clientèle féminine ; •en couture et confection pour anciens membres du RCD pour les initier à la rénovation de vestes et manteaux usagés. Techniques diverses : retournement, décoloration et recoloration. Plus de deux millions de formateurs disponibles. •pour recycler les affreux tortionnaires en gentils agents démocrates ; •pour futurs fonctionnaires titulaires et qui seront payés à ne rien faire en vue de les préparer à gérer l'inactivité ; •pour les gardiens de prison afin de les former spécialement à l'ouverture rapide des portes ; • pour footballeurs évoluant dans des stades vides : activités d'auto-applaudissement, d'autosatisfaction et de congratulation animées par d'anciens responsables du RCD ; •pour réorienter les jeunes juristes à intégrer des postes d'avenir dans des commissions chargées de récupérer les fonds cachés de Zaba et consorts ; contrats de longue durée postformation garantis ; •pour les personnalités au pouvoir (hier, aujourd'hui ou demain) ainsi que pour leurs parents et leurs amis, pour leur apprendre à garder les pieds sur terre ; •pour les nostalgiques de l'ère Zaba avec massages intensifs et douleurs garanties. Non décidément. Aucun ne me convenait. En désespoir de cause j'ai pu dénicher, dans une très petite annonce, très simplement rédigée, la proposition qui me convenait :«stage de formation à la citoyenneté, à prix raisonnable, pour former en clairvoyance, en revendication pacifique, en tolérance et en modestie. Garantie de retrouver la passion du travail et la conscience professionnelle. Conviendrait parfaitement à tout citoyen tunisien qui serait atteint de toute forme d'excès postrévolutionnaire.» C'était ce qu'il me fallait. Je m'y suis vite inscrit. J'en suis très satisfait et le recommande à tous mes concitoyens.